Photos de MINUSCA
Le lieutenant-général Humphrey Nyone a commencé sa carrière dans les forces armées zambiennes en 1994. Il a assumé plusieurs rôles, notamment commandant du collège de commandement et d’état-major des services de Défense de Zambie, directeur général de l’Armée de terre de Zambie pour la doctrine politique et la stratégie, et commandant de la 1ère division d’infanterie. Il avait participé précédemment aux missions de maintien de la paix des Nations unies en République démocratique du Congo et en Sierra Leone. Il a été nommé commandant de la force de la mission de l’ONU en République centrafricaine (MINUSCA) en mai 2023. Il a parlé à ADF par vidéoconférence depuis Bangui. Ses remarques ont été modifiées pour raison de longueur et de clarté.
ADF: Le mandat de la MINUSCA a été prolongé jusqu’en novembre 2025, alors même que d’autres missions des Nations unies sur le continent ont été forcées de prendre fin ou ont fait face à une résistance de la part des pays hôtes. Comment la MINUSCA peut-elle satisfaire à son mandat et conserver le soutien du public ?
Général Nyone : Dans le secteur du maintien de la paix, selon mon expérience, la plupart des gens font confiance à la mission s’ils constatent des résultats tangibles. Les résultats tangibles développent la confiance du public et je pense que c’est ce que nous faisons à la MINUSCA. Depuis le moment où j’ai rejoint la mission, nous avons vraiment encouragé cette confiance.
Que faisons-nous donc sur ce point ? En premier lieu, la protection des civils. Dans la plupart des zones où il existait des concentrations d’éléments armés, nous avons établi notre empreinte. Et c’est ce que les gens veulent voir.
En deuxième lieu, Valentine Rugwabiza, représentante spéciale du secrétaire général [RSSG], a déployé ses efforts pour vraiment revitaliser le processus de paix. Elle travaille dur parce que ce processus était moribond pendant deux ans. Nous constatons maintenant qu’il prend vie et nous pouvons reconnaître les progrès.
En troisième lieu, l’un des problèmes persistants du conflit est la question de la transhumance [le mouvement des animaux vers les terres de pâturage]. La plupart des animaux sont amenés depuis le Soudan ou les pays environnants vers les abattoirs de Bangui. C’est un commerce mais, au cours des années, ils ont été pris pour cible par les éleveurs et aussi par les groupes armés. La RSSG a pu parrainer certains des comités de transhumance dans la plupart des préfectures. Vers la fin de l’an dernier, un grand nombre de conférences sur la transhumance ont été conduites au niveau des préfectures, parrainées par la mission. Le résultat est que certaines mesures physiques ont été prises pour soutenir les forces de sécurité internes dirigées par la police de l’ONU. Elles travaillent de concert avec la gendarmerie de Centrafrique et la police nationale, et nous soutenons aussi cet effort pour assurer de combattre ce type particulier de transhumance.
Il y a aussi la question de la réconciliation. La cohésion sociale est importante dans ce pays. La ligne de clivage était très vivide. Le conflit avait une nature sectaire. Vous pouvez constater le clivage séparant les gens en fonction de la religion ou l’ethnie. Beaucoup d’efforts sont déployés pour réunir les gens. Ceci se fait au niveau du terrain, où les chefs de bureau supervisent les programmes locaux de réconciliation pour améliorer la cohésion sociale.
Finalement, nous agissons dans un environnement où il n’existe pas d’infrastructure. Il y a eu une dégradation totale de l’infrastructure. Je peux vous donner l’exemple du réseau routier. Je vous dirai que, pour voyager sur une distance de 500 km dans ce pays, vous nécessitez au moins quatre mois. Pour les voyages par avion, la plupart des aérodromes ont été inutilisés et nous avons dû les réhabiliter pour pouvoir accommoder le trafic aérien. Nous avons commencé à utiliser nos capacités techniques pour construire des ponts et pour les réparer ; nous effectuons beaucoup de nivellement sur les routes. Tout cela sert à assurer la productivité, la mobilité de la force et aussi les mouvements des communautés locales du point A au point B. C’est ce que nous avons fait parce que nous pensons que le maintien de la paix consiste à développer la confiance du public. Les gens doivent constater des résultats tangibles, pas seulement des palabres.

ADF : Quelle est la stratégie actuelle de la MINUSCA pour protéger les civils contre les préjudices, et comment a-t-elle changé au cours des années ? Avez-vous des preuves récentes de succès ?
Général Nyone : Nous savons que la protection des civils est toujours une entreprise multidimensionnelle. Ce n’est pas seulement la force ou les gens portant un uniforme ; ce sont toutes les entités de la mission.
Nous avons une stratégie en trois phases : la première phase concerne la protection par le dialogue et l’engagement. Nous encourageons le dialogue pacifique et nous soutenons les prochaines élections. La deuxième phase concerne la protection physique. C’est là que nous jouons un rôle crucial en tant que force. Lorsque j’ai assumé ce poste, cette mission était éparpillée dans de nombreuses bases opérationnelles temporaires (TOB). Elles étaient plutôt devenues des forteresses militaires. La force n’avait pas la flexibilité nécessaire pour pouvoir conduire des patrouilles et dissuader l’influence de ces éléments armés. Nous avons dû changer notre présence pour être plus mobiles. Nous avons décidé de fermer plus de 48 TOB. Nous avons amélioré notre alerte précoce, amélioré notre réponse aux alertes ; nous conduisons davantage de patrouilles de dissuasion. La troisième phase de notre stratégie est la création de cet environnement protecteur. Ceci est réalisé principalement par nos collègues du secteur humanitaire. Nous avons un afflux élevé de réfugiés, en particulier dans la Vakaga, en provenance de la région Nord-Est du pays. Ils y viennent à cause de ce qui se passe au Soudan, où les combats ont repris. Chaque semaine, nous recevons au moins 1.000 réfugiés. Nous en avons maintenant 23.000 et comparé à la population de Birao, elle a seulement 16.000 habitants, donc nous avons plus de réfugiés que d’habitants. Ceci crée un problème en termes de ressources. Nos collègues humanitaires sont vraiment exténués et la force les appuie pour fournir des escortes de sécurité et une intervention en temps opportun.

ADF : Mme Rugwabiza, la RSSG et chef de mission, a fait appel à une « posture proactive et préventive » des forces de la MINUSCA. Qu’est-ce que cela signifie en termes de positionnement de vos gardiens de la paix et de leur riposte aux menaces ?
Général Nyone : La force est un mélange. Nous provenons de pays différents qui contribuent des soldats, et les forces ont des doctrines différentes, des cultures différentes, des états d’esprit différents et des postures différentes à cause de leur entraînement. Lorsqu’elles arrivent ici, vous devez avoir une unité d’objectifs. Lorsque la RSSG a donné ce discours, elle a voulu parler du changement du concept opérationnel de la force pour se pencher davantage sur les opérations qui sont liées à une réponse proactive et aussi sur la dissuasion. Pour réaliser cela, nous devions d’abord travailler sur notre système d’alerte précoce. Nous avions beaucoup de cahot que nous devions résoudre avec l’aide de nos collègues des affaires civiles, du chef d’état-major de la mission et aussi de nos chefs de bureau. La force peut répondre efficacement, mais seulement si le système d’alerte précoce est robuste. Sans recevoir ces informations requises, les choses deviennent très difficiles. Nous voulions passer de la réactivité à la proactivité. Nous avons aussi considérer l’état d’esprit et la posture de nos forces. Certains contingents étaient réticents à prendre des risques. Nous avons travaillé là-dessus, et c’est pourquoi nous pouvons maintenant pénétrer dans les zones qui ont été des bastions de l’Union pour la paix [groupe rebelle]. Nous intervenons dans ces zones en utilisant même les transports aériens, les insertions par hélicoptère. Vous pouvez faire cela seulement avec une force robuste qui n’est pas réticente à prendre des risques, qui a une bonne posture et qui est prête à réagir si quelque chose se produit.
ADF : La MINUSCA s’est efforcée d’améliorer l’infrastructure routière de la RCA. Les ingénieurs de l’ONU ont construit ou réhabilité plus de 2.000 km de routes, 131 ponts et 37 pistes d’atterrissage au cours des deux dernières années. Quelle est l’importance de la prospérité du commerce pour avoir une paix durable dans le pays, et quel est le rôle joué par les gardiens de la paix pour protéger cela ?
Général Nyone : Au début de cette mission, le concept du soutien opérationnel était un concept rationalisé qui s’appuyait principalement sur des sous-traitants. Mais à mesure que la mission s’est développée, nous avons réalisé que nous n’avions pas l’infrastructure nécessaire pour le soutenir. Les routes ne pouvaient pas soutenir la mobilité de la force ou les mouvements des habitants. Les pistes d’atterrissage n’étaient pas maintenues et ne pouvaient pas soutenir les ressources aériennes telles que [l’avion-cargo] C-130, qui pouvait atterrir seulement dans deux zones de la mission. La mission n’était pas prête. Ce pays a près de 623.000 kilomètres carrés et il est traversé par des fleuves. Il est vaste. Comment donc soutenir les troupes ? Comment assurer la protection des civils ? Comment étendre l’autorité de l’état. C’est devenu très difficile. Ce que nous avons fait, c’est d’utiliser les capacités à notre disposition. Nous avons cinq unités militaires du génie. Ces unités ont des capacités horizontales et verticales pour construire des bâtiments ainsi que des routes, des ponts et des pistes d’atterrissage. Les 2.000 km de route qu’elles ont réhabilités permettent aux rations alimentaires et autres fournitures d’être livrées à nos soldats sur le terrain. Les capacités de piste d’atterrissage signifient que les C-130 sont capables d’atterrir là-bas. Cela a facilité la rotation des troupes. Cela a aussi permis aux représentants du gouvernement de se rendre dans plus de sites et visiter la population. Les acteurs humanitaires emploient ces mêmes routes.
Ce pays est axé sur une route principale (MSR 1) qui relie le port de Douala (Cameroun) à Bangui. Assez récemment, la mission a eu des problèmes. La route avait été coupée par des bandits armés. Ils avaient en fait bloqué la route pendant deux semaines. Nous ne pouvions pas obtenir de livraisons de Douala. Beaucoup d’efforts ont été nécessaires pour expulser ces bandits armés et ouvrir cet accès. Ensuite, nous avons affecté deux contingents à cette MSR. Mais nous avons pensé : « Sommes-nous certains que nous n’aurons pas un autre problème de ravitaillement ? » Aussi, nous avons œuvré pour ouvrir une autre route, la MSR 4, qui relie le Kenya par le Soudan du Sud à Bambouti et Obo, afin de pouvoir l’ouvrir en cas de fermeture de l’autre route, quelle qu’en soit la raison.

ADF : De nombreux Centrafricains sont toujours déplacés. On estime que 465.000 personnes sont des déplacés internes, et 675.000 sont des réfugiés dans d’autres pays. Que peut faire la MINUSCA pour créer les conditions nécessaires pour que ces gens rentrent chez eux ? Êtes-vous préoccupé par le nombre de réfugiés qui pourrait augmenter et par la violence qui se propagerait à cause de la guerre au Soudan ?
Général Nyone : Je vais commencer par la deuxième partie de votre question. Nous sommes vraiment préoccupés. Le pays est toujours stressé et, maintenant, vous avez un afflux de réfugiés qui paralyse complètement toutes les ressources qui seraient disponibles. Deuxièmement, il existe des effets de contagion. Nous voulons nous assurer que la guerre entre factions différentes et entre pays différents n’atteindra pas la RCA. Sinon, cela changerait la dynamique de sécurité et altérerait nos efforts de stabilisation.
Les déplacés internes et ceux qui retournent – oui, nous en avons beaucoup mais les statistiques ont baissé dramatiquement. La plupart vivent dans les communautés hôtes. La plupart d’entre eux ne vivent pas dans des camps, mais pour ceux qui vivent dans les camps, les agences humanitaires sont là pour fournir l’eau, la nourriture et les médicaments. Où qu’il y ait des déplacements, nous fournissons des escortes. Nous œuvrons étroitement avec nos collègues de l’agence onusienne des réfugiés.
ADF : Les gardiens de la paix de la MINUSCA ont fait face à la menace des attaques par EEI. La première attaque documentée s’est produite en 2020, et une autre attaque meurtrière s’est produite au début 2024. Le pays affronte aussi la menace des mines terrestres et des munitions non explosées. Comment est-ce que vos effectifs combattent cette menace ?
Général Nyone : Lorsque cela a commencé à se produire, nous avions peur que ça se propagerait à travers la mission. Mais c’est limité au secteur Ouest et le nombre des incidents est en baisse. Notre première question était : d’où viennent les mines, existe-t-il un champ de mines terrestres qui est exploité ? Deuxièmement, où sont les réseaux ? Parce que lorsque vous bouchez la source, vous pouvez être plus sécurisé.
Qu’avons-nous fait ? En travaillant étroitement avec nos collègues du Service de la lutte antimines des Nations unies (UNMAS), nous avons développé les capacités de nos contingents. Nous avons demandé des véhicules résistant aux mines pour les contingents du secteur Ouest. Nous avons aussi bâti une capacité de recherche et détection au sein de ces contingents. Nous avons demandé une compagnie d’élimination des munitions explosives (EOD) et le quartier général de l’ONU a rapidement accéléré le déploiement de la compagnie EOD cambodgienne. Au début 2024, la RSSG a sanctionné un projet pilote. Nous avons réalisé que nous avions des lacunes de connaissance. Puisque les victimes n’étaient pas seulement des gardiens de la paix mais aussi, pour la plupart, des civils qui utilisaient ces mêmes routes, l’UNMAS a passé deux mois à sensibiliser la population locale du secteur Ouest en créant des réseaux d’alerte de sorte qu’ils puissent nous avertir en cas de suspicion quelconque d’EOD.

ADF : Vous essayez donc de faire en sorte que les habitants locaux aident à mettre fin à ces attaques ?
Général Nyone : Je vais vous donner un exemple. Lorsque nous avons eu un incident à Nzakoundou en décembre 2023 [où 23 civils ont été tués], je me suis envolé vers la localité pour évaluer l’ampleur de l’attaque. Nous avons parqué notre hélicoptère à environ 3 km de distance et nous avons marché sur cette distance jusqu’au village, puis nous sommes retournés. Pendant que je revenais du village, j’ai rencontré la patrouille camerounaise que nous avions activée. Les civils qui se cachaient dans la brousse nous ont vus et ont commencé à venir vers nous, et nous avons interfacé avec eux pendant une heure environ en les assurant de notre soutien. La patrouille, qui revenait sur la même route, a été frappée par un EEI et nous avons perdu un gardien de la paix. Cinq autres ont été blessés. Plus tard, les habitants locaux nous ont dit qu’ils avaient vu deux éléments armés à cheval qui posaient l’engin. Ils les ont vus poser l’engin, puis ils sont partis. Nous avons déterminé qu’il existait une lacune en termes d’alerte. Nous avons lancé ce projet pilote et nous enregistrons beaucoup de résultats positifs. Nous recevons beaucoup d’information de la part des habitants locaux.
ADF : La MINUSCA aidera à sécuriser le pays pour les prochaines élections législatives et présidentielles. Quel est le rôle que les gardiens de la paix joueront dans ce processus, et pourquoi est-ce important ?
Général Nyone : Cette mission va être évaluée en termes de performance si ces élections se passent bien. Nous ne laissons rien au hasard. Une élection est une compétition entre ceux qui briguent ou postulent le pouvoir politique. Nous devrions nous souvenir que la RCA avait tenu des élections locales en 1988. Depuis lors, tous les postes locaux de leadership, tels que les maires, ont été nommés par la présidence. Cela faisait partie intégrante [de l’accord de paix signé en 2019] de tenir ces élections pour que la population locale puisse élire ses propres leaders. La MINUSCA fournira non seulement le soutien technique, logistique et sécuritaire, mais elle examinera aussi d’autres groupes marginalisés, notamment les femmes, pour assurer que ces groupes participent aux élections, non seulement en votant mais aussi pour ceux qui souhaitent accéder au leadership.
Nous avons un plan pour sécuriser les élections. Nous avons déjà accompli la première phase de l’inscription des votants ; nous passons à la deuxième phase et nous œuvrons étroitement avec les forces nationales, la police et la gendarmerie pour assurer que ces élections ne soient pas perturbées.
ADF : On relate de façon très générale que les mercenaires russes continuent à être actifs dans le pays et qu’ils contrôlent l’accès à certaines régions productrices de minerai. Comment les mercenaires étrangers affectent-ils votre mission ? Avez-vous la capacité d’être actif partout dans le pays ?
Général Nyone : Nous avons notre mandat et des objectifs clairs. Oui, ils sont actifs dans cet environnement. C’est un environnement contesté en ce sens que nous ne sommes pas les seuls acteurs. Nous avons aussi les Forces armées centrafricaines [FACA] et nous avons des groupes armés dans le même espace. C’est un espace contesté mais notre obligation consiste à satisfaire à notre mandat dans cet espace contesté. Nos partenaires de sécurité sont les FACA, donc nous collaborons avec elles, pas avec tout autre groupe. Dans ce pays ou dans cette mission, il n’existe pas de zone qui soit dépourvue de notre présence. Nous avons le mandat de traverser la RCA et nous l’avons fait. Même dans les zones dont l’accès est difficile ou qui sont contrôlées par des groupes armés, nous avons fait des percées.

ADF : Quels sont vos objectifs pour le reste de votre affectation en tant que commandant de la force ?
Général Nyone : Mon objectif est de contribuer à l’héritage durable de maintien de la paix de la mission. Le meilleur héritage que nous puissions laisser est une paix durable. Lorsque j’observe la Sierra Leone aujourd’hui, je souris du fait de nos accomplissements là-bas. Et lorsque j’observe le Liberia, et ce qu’ont fait les autres missions de l’ONU, vous constatez les succès. C’est ce que j’espère. Comment puis-je contribuer à cet héritage de stabilité dans ce pays pour que les citoyens puissent à nouveau vivre une vie normale ? Une façon consiste à assurer de soutenir les objectifs stratégiques de la RSSG, notamment l’extension de l’autorité de l’État. Il devient très difficile de stabiliser un pays si des groupes armés sont actifs dans certaines régions. Ce que nous faisons, c’est de suivre la meilleure approche. Étendre l’autorité de l’État, assurer que le gouvernement puisse être actif dans ces régions, soutenir le déploiement des FACA et la capacité des FACA pour pouvoir assumer la responsabilité de la sécurité du pays. Je pense que ce sont mes objectifs. Et si je suis capable de contribuer à cela, lorsque je rentrerai chez moi, je regarderai en arrière et je sourirai parce que je pourrai dire : « Nous avons fait quelque chose. »