Les deux affiliés de l’État islamique en Afrique de l’Ouest s’appuient sur la cryptomonnaie moderne et l’échange traditionnel entre individus appelé hawala pour financer leurs activités. Les autorités nigérianes resserrent leur contrôle de ces deux filières financières pour saper les groupes terroristes.
Le bureau Furqan de l’État islamique, basé au Nigeria, supervise les opérations financières de la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique (PAOEI), active dans le bassin du lac Tchad, et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS), basé dans le Nord du Mali.
Les deux groupes collectent des revenus à hauteur de plusieurs millions de dollars grâce à un mélange complexe d’escroqueries, d’enlèvements et de zakât, sorte d’obligation religieuse que Daech exploite dans toute l’Afrique et au Moyen-Orient. Dans le bassin du Tchad par exemple, les pêcheurs doivent verser chacun environ 40 dollars pour un permis. La PAOEI exige une « taxe » pour chaque caisse de poissons ou tête de bétail sur son territoire.
Malik Samuel, chercheur pour l’Institut d’études stratégiques, écrit dans une analyse des finances de Daech en Afrique de l’Ouest : « Limiter le financement du terrorisme n’est pas facile. Ceci exige d’identifier et d’éliminer les sources de revenu grâce à la sensibilisation de la participation communautaire, la prise de conscience des dangers liés aux affaires conduites avec la PAOEI et les offres d’emploi pour empêcher les civils de chercher d’autres moyens de subsistance auprès du groupe terroriste. »
Une grande partie de l’argent collecté par la PAOEI est convertie en Monero, cryptomonnaie qui augmente en popularité à cause de ses mesures de sécurité conçues pour rendre les transactions non traçables. Les Nigérians ont accueilli les cryptomonnaies de toute sorte pour se protéger contre les fluctuations du naira, la monnaie nationale. On estime qu’un tiers des 200 millions de Nigérians utilisent la cryptomonnaie, ce qui fait aujourd’hui du Nigeria le deuxième crypto-marché mondial après l’Inde.
Selon le Counter ISIS Finance Group, l’intérêt des Nigérians dans la cryptomonnaie a fait de l’Afrique de l’Ouest un point focal mondial pour les crypto-transferts. Le marché croissant de cryptomonnaie du Nigeria, censé atteindre 1,6 milliard de dollars cette année, produit des fonds massifs qui rendent difficile le dépistage des transactions terroristes.
À l’opposé extrême du spectre technologique, le système hawala reste une méthode fiable de transfert d’argent de l’autre côté des frontières et parmi les branches de Daech. La PAOEI emploie des transferts entre individus, qui exige typiquement des agents de chaque côté de la transaction et un mot de passe d’identification. Ainsi, les terroristes peuvent transférer de l’argent entre le lac Tchad et le Sahel et au-delà tout en évitant les banques conventionnelles.
« Il est probable que les réseaux hawala jouent un rôle important dans l’influence croissante de Daech en Afrique de l’Ouest, en particulier en ce qui concerne les transferts entre groupes facilités par le bureau Furqan », écrit l’analyste Adam Rousselle pour le Global Network on Extremism and Technology.
Le Nigeria a commencé à réprimer les deux méthodes financières afin d’essayer de perturber la capacité de la PAOEI pour se financer elle-même et soutenir ses homologues du Sahel. En 2021, la banque centrale du Nigeria a interdit aux institutions financières de traiter les transactions de cryptomonnaie, décision qui a eu un impact limité puisque la plupart des crypto-transactions se font hors des filières bancaires conventionnelles. Le Nigeria a révoqué cette interdiction au début 2024.
« Refusant d’être intimidé par ces défis, le gouvernement a continué sa lutte contre la cryptomonnaie, en partie en réponse à une hausse des cas de blanchiment d’argent dans le pays liés à la technologie », a écrit récemment l’analyste Kingsley Charles pour New Lines Magazine.
La nature informelle du hawala le rend plus difficile à contrôler. Jusqu’à présent, l’approche du Nigeria consiste à adopter de nouvelles directives de licence qui mettraient en œuvre les transactions financières par l’intermédiaire des banques conventionnelles.
Il existe aussi des défis liés aux divisions de la supervision régionale. Sur le territoire de la PAOEI, le Cameroun et le Tchad appartiennent au Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique centrale. Le Niger et le Nigeria font partie du Groupe d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest. Ces deux organisations sont membres du réseau mondial Groupe d’action financière contre le blanchiment d’argent.
« Le démantèlement des réseaux financiers de la PAOEI exige une stratégie robuste employant des efforts conjoints de la part des quatre pays affectés du bassin du lac Tchad, et d’autres, à mesure que le groupe étend ses opérations », écrit M. Samuel.