La Turquie introduit des mercenaires dans le mélange violent du Sahel
PERSONNEL D’ADF
L’aggravation de l’instabilité au Burkina Faso, au Mali et au Niger a créé une opportunité pour que la Turquie déploie des entrepreneurs militaires privés dans la région. Toutefois, ce déploiement se produit alors que les extrémistes islamistes prennent pour cible les sous-traitants russes et pourraient se tourner aussi contre les combattants de Turquie, selon les analystes.
En début d’année, la Sadat International Defense Consultancy, société militaire privée turque étroitement liée au président Recep Tayyip Erdoğan, a envoyé au Niger 1.100 combattants recrutés dans les camps de réfugiés de Syrie.
Les combattants ont pris position dans la région hautement disputée du Liptako-Gourma, où les trois pays sahéliens ont des frontières communes. La violence perpétrée dans cette région par des organisations tels que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) a aidé à faire du Sahel le premier centre mondial du terrorisme.
La Turquie déclare que les combattants se trouvent au Niger pour des consultations et pour protéger les intérêts de la Turquie, notamment les mines. Mais cela ne les a pas empêchés de participer au conflit.
Rami Abdel-Rahman, directeur de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH) basé à Londres, déclare au Monde : « Au Niger, les mercenaires syriens sont censés garder les mines, les installations pétrolières ou les bases militaires. Mais ils finissent par participer aux combats contre les groupes djihadistes. Neuf combattants syriens sont morts à ce jour. »
La Turquie intensifie ses activités au Niger au moment où les mercenaires russes de l’Africa Corps (ex-groupe Wagner) ont échoué dans leur tentative de vaincre les combattants extrémistes dans la région. Les mercenaires russes ont subi des défaites remarquables, notamment une embuscade par des combattants touaregs en juillet dernier au Mali qui a tué des dizaines de combattants de l’Africa Corps et des soldats maliens.
Le Mali et le Burkina Faso avaient invité les combattants de Wagner après avoir renversé leur gouvernement démocratiquement élu et exigé le départ des forces anti-terroristes françaises. Le Niger a aussi recruté des combattants de l’Africa Corps après son propre coup d’État en 2023.
Le Niger, qui avait des liens solides avec la Turquie avant le coup d’État, a reçu six drones Bayraktar TB2 turcs en 2022. Les liens après le putsch se sont renforcés en juillet lors de réunions qui ont permis à la Turquie d’envoyer des mercenaires dans le pays.
L’analyste Liam Karr écrit pour l’Institut pour l’étude de la guerre : « La Turquie a aussi des opportunités d’améliorer la coopération militaire et économique avec le Burkina Faso et le Mali, mais la présence plus forte de la Russie dans ces deux pays pose un obstacle plus important. »
Pour pourvoir en personnel leurs groupes de mercenaires, la Russie et la Turquie ont fortement recruté en Syrie. Avant son effondrement au début décembre 2024, le gouvernement syrien avait reçu un soutien crucial de la Russie. La Turquie, voisin du Nord de la Syrie, recrute ses combattants parmi les gens déplacés par la guerre civile syrienne.
Les membres de l’opposition syrienne, tels que celui utilisant le nom d’Abu Mohammed, déclarent à la BBC que la Turquie offrait 1.500 dollars pour un engagement de six mois (environ cinq fois plus que ce que gagnent les soldats de l’opposition syrienne) afin de surmonter la réticence pour rejoindre Sadat.
Une autre recrue syrienne adoptant le nom d’Ahmed dit à l’Agence France-Presse qu’une milice syrienne soutenue par la Turquie et appelée Division du sultan Murad l’avait recruté en mai pour partir au Niger. Selon lui, plusieurs groupes ont déjà participé à des camps d’entraînement avant d’être déployés.
« Les deux premiers groupes de combattants sont déjà partis et un troisième suivra bientôt. »
Lorsque les combattants de Sadat arrivent au Niger, ils pourraient découvrir que la réalité sur le terrain n’est pas ce qu’on leur avait promis. Certains ont signalé qu’ils avaient été placés sous les ordres des Russes et qu’ils combattaient les extrémistes au Liptako-Gourma.
Bien que la Turquie prétende que les combattants de Sadat sont au Sahel simplement pour protéger ses intérêts économiques, leur seule présence pourrait être suffisante pour qu’ils soient pris pour cible par les mêmes extrémistes qui se battent contre les combattants russes, selon l’analyste Jacob Zenn.
Si c’est le cas, a récemment écrit cet analyste pour Orion Policy Institute, Sadat pourrait bien apprendre la même leçon que l’Africa Corps : les sociétés militaires privées ne sont pas suffisantes pour vaincre les groupes extrémistes dans la région.
« La situation sécuritaire de la région ne s’améliorera probablement pas, sauf si les problèmes plus sérieux liés à la représentation politique sont affrontés. Si les questions politiques sous-jacentes restent ignorées, il est possible que non seulement les juntes, mais aussi la Turquie et la Russie elles-mêmes, soient expulsées de la région par le GSIM. »