Les chalutiers chinois déciment les stocks de poissons d’Afrique de l’Ouest alors que les océans se réchauffent
PERSONNEL D’ADF
Des gouttes de sueur apparaissent sur le front de George Kowukumeh alors qu’il s’efforce de tirer un filet de pêche sur le rivage à Accra (Ghana).
Ce pêcheur de longue date est consterné par sa prise. Il a souvent ressenti cette émotion au cours des dernières années, car la pêche de tous les petits poissons pélagiques, aliment de base du pays, a baissé de 59 % entre 1993 et 2019.
La tendance continue à cause de l’arrivée constante des gros chalutiers industriels étrangers, surtout chinois, qui attrapent sans discrimination tous les types d’animaux marins, et aussi à cause des effets du changement climatique.
« La prise aujourd’hui est décevante et pleine de déchets, déclare-t-il au Pulitzer Center. Plusieurs heures de travail éreintant ont produit moins de 500 cedis (62 dollars) de poisson pour l’équipage de neuf personnes. Que faisons-nous avec ça ? »
La situation difficile de M. Kowukumeh se retrouve dans les communautés de pêche d’Afrique de l’Ouest, où 7 millions de personnes dépendent du poisson pour la nourriture et l’emploi.
De la Côte d’Ivoire au Nigeria, les pêcheurs artisanaux déclarent que les chalutiers chinois détruisent fréquemment les filets et l’équipement des pêcheurs locaux. Les chalutiers emploient des pratiques de pêche illégales telles que le chalut de fond, qui détruit les écosystèmes cruciaux pour la survie de la faune marine. Ils pêchent aussi avec des lampes et des explosifs, et dans les zones interdites ou pendant les périodes de fermeture.
La Chine régit la plus vaste flotte de pêche en eau distante du monde ; elle est aussi le pire contrevenant de la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) du monde, selon l’indice de pêche INN. Parmi les dix premières compagnies pratiquant la pêche illégale dans le monde, huit sont chinoises.
Les effets de la pêche INN sur les populations de poissons sont graves. En Côte d’Ivoire par exemple, la prise annuelle a chuté au total de près de 40 % entre 2003 et 2020, en grande mesure à cause de la pêche illégale, écrit Robert Paarlberg, associé du programme de science de durabilité à la Harvard Kennedy School, dans The Conversation.
Selon l’International Collective in Support of Fishworkers, la pêche illégale a aussi conduit à la perte de plus de 300.000 emplois dans la pêche artisanale en Afrique de l’Ouest. Certains pays tels que le Sénégal ont conclu des accords de pêche avec des sociétés chinoises, ce qui attriste les résidents locaux.
Le pêcheur sénégalais Siaka Fai a déclaré à China Dialogue : « Notre gouvernement a conclu des accords de pêche et émis des permis pour que d’autres chalutiers pêchent dans nos eaux. Ils ont une plus grande capacité et nous leur faisons même concurrence dans les zones où nous pouvons accéder. De ce fait, les pêcheurs de petite échelle [rentrent] avec une prise très minime, ce qui est frustrant. »
Le changement climatique, en particulier le réchauffement des océans, chasse aussi les poissons de la région, écrit le professeur Paarlberg. Des eaux océaniques plus chaudes contiennent moins d’oxygène, ce qui menace toute la faune marine. Des eaux plus chaudes forcent aussi le poisson à sang froid à partir lorsque les températures sont trop élevées.
« Les prises de poisson sont liées fortement aux températures de la surface de l’eau et de l’atmosphère », déclare Opoku Pabi, maître de conférences et associé de recherche principal à l’Institut pour les études environnementales et sanitaires de l’université du Ghana, au Pulitzer Center. « En général, plus la température est basse, plus on pêche de poissons. »
Au Ghana, certaines espèces de poisson qui contribuent aux plus grandes prises, notamment le vivaneau, le denté congolais et le mérou, sont très sensibles au changement climatique. Et les espèces attrapées par les pêcheurs artisanaux sont en général plus sensibles au changement climatique que celles capturées par les flottes semi-industrielles et industrielles, selon le Journal for Coastal Conservation.
Des études ont montré que le potentiel de prise maximum pour la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Nigeria pourrait baisser d’environ 50 % vers le milieu du siècle.
Les pêcheurs artisanaux contribuent aussi à l’épuisement des stocks de poissons, mais dans une mesure bien moindre. Le nombre de pirogues artisanales actives en Afrique de l’Ouest a en fait augmenté, malgré le manque de poisson. Au Ghana, il y avait 8.000 pirogues artisanales en 1990. Ce chiffre est passé à 13.650 en 2017. L’an dernier, le pays a imposé un moratoire de trois ans sur l’entrée de nouvelles pirogues artisanales dans le secteur maritime, afin d’aider à régénérer les populations de poissons.
« Avec cette mesure, en plus des autres mesures que le gouvernement met en œuvre, on estime que tout cela contribuera à une réduction de la pression sur nos ressources de pêche, afin de restaurer les stocks des petits poissons pélagiques surexploités », déclare Mavis Hawa Koomson, ministre des Pêches et du Développement de l’aquaculture du Ghana, dans un reportage du journal ghanéen The Business & Financial Times.
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