Les routes d’Afrique de l’Ouest sont plus que des voies commerciales. Elles sont devenues les lignes de front dans la guerre régionale qui se propage.
Au Burkina Faso, une embuscade terroriste en 2022 contre un convoi de 200 véhicules près de Djibo a provoqué la mort de plusieurs dizaines de personnes et déclenché une crise politique qui a conduit à un coup d’État militaire. Plus à l’Est dans l’État nigérian de Borno, les militants ont employé des mines terrestres et des engins explosifs improvisés pour paralyser la route entre Maiduguri et Monguno, en coupant l’accès aux marchés et forçant les civils dans des « super campements » pour leur protection.
Dans la région malienne de Mopti, les terroristes ont détruit des ponts pour isoler des localités entières. Tout récemment dans la région de Sikasso, les insurgés ont détruit un convoi d’environ 50 camions citernes qui étaient entrés dans le pays en provenance de la Côte d’Ivoire.
Ces incidents révèlent une réalité croissante : l’infrastructure de transport d’Afrique de l’Ouest est devenue une cible et une arme. Une nouvelle recherche du projet ACLED (Armed Conflict Location and Event Data) sur plus de 58.000 événements violents recensés dans 17 pays montre que près des deux tiers de toutes les attaques se produisent à moins de 1 km d’une route. L’analyse souligne l’importance du contrôle des routes pour contrôler le territoire.
Les routes sont les artères d’un État. Elles permettent de transporter les biens, les soldats et l’influence. Mais dans une grande partie du Sahel et de sa périphérie côtière, les mauvaises conditions routières et les réseaux peu denses ont transformé la mobilité en pari dangereux.
La violence est plus intense le long des couloirs majeurs qui relient les capitales fragiles aux frontières distantes. Au Mali, la route de 640 km connectant Mopti à Gao est l’artère la plus meurtrière du Sahel, marquée par plus de 400 incidents violents depuis 2012.
Les chercheurs ont découvert que le niveau de violence baisse fortement en fonction de la distance aux routes : 65 % des incidents violents ont lieu à moins de 1 km d’une route, mais seulement 4 % se produisent à une distance de plus de 10 km.
Les forces de sécurité aussi bien que les civils doivent utiliser les mêmes couloirs étroits de transport pour le déplacement des personnes et des vivres. Les terroristes exploitent cette prévisibilité en lançant des embuscades ou dissimulant des explosifs sur les rares routes goudronnées existantes. En même temps, les états comptent sur ces couloirs pour rétablir le contrôle, ce qui crée une boucle de rétroaction mortelle.
La géographie de la violence évolue également. Pendant les phases précoces des insurrections de la région, les attaques étaient axées sur les villes et les routes principales. Mais à mesure que les groupes terroristes se sont propagés, ils ont commencé à frapper plus loin dans les zones rurales.
En 2011, lorsque la violence urbaine avait atteint son point culminant en Afrique de l’Ouest, près de 90 % de toutes les attaques se produisaient à moins de 1 km d’une route. En date de 2024, ce chiffre a baissé de près d’un tiers. Cette « ruralisation » du conflit a lieu lorsque les terroristes et les groupes rebelles cherchent à se réfugier et obtenir une assistance auprès des communautés distantes, loin de la portée des gouvernements centraux.
Le siège de Djibo dans le Nord du Burkina Faso en est un exemple. Entre 2020 et 2024, les terroristes ont encerclé la localité, en coupant toutes les principales voies d’accès et empêchant les vivres et les fournitures médicales d’arriver, sauf par les airs. Des centaines de civils sont morts et l’isolement de la ville a incité des troubles politiques qui ont déstabilisé les responsables du pays. Lorsqu’il y a seulement quelques routes viables qui connectent les villes principales, un simple blocus ou la destruction d’un pont peut isoler des régions entières.
Pour les terroristes, les routes offrent plus que des cibles. Ce sont aussi des outils de contrôle. Dans une grande partie du Sahel, les groupes armés peuvent établir des points de contrôle pour imposer des taxes aux commerçants et surveiller les déplacements de population. Un seul barrage routier peut devenir un poste de douane en miniature, un site de propagande ou un lieu d’embuscade.
Parfois, les groupes terroristes détruisent les ponts et les caniveaux pour isoler les communautés ou punir les populations qui semblent coopérer avec l’État. Au centre du Mali, la destruction de deux ponts à la mi-2021 a coupé des villages entiers entre Mopti et Bandiagara pendant plus d’un an, ce qui a forcé les Nations unies à financer une reconstruction d’urgence. Ce n’est qu’en fin décembre 2022 que les nouveaux ponts ont été ouverts.
Ces actes de destruction soulignent la puissance symbolique et stratégique de l’infrastructure de transport. Contrôler qui peut se déplacer, quand et à quel prix est devenu un élément central de l’autorité politique dans les guerres de la région.
L’amélioration de la sécurité en Afrique de l’Ouest exigera des investissements, non seulement en soldats mais aussi en moyens de transport. L’expansion et la maintenance des réseaux routiers pourraient réduire l’isolement, faciliter le commerce et permettre d’accélérer les réponses militaires et humanitaires. Comme le note le Club du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest de l’Organisation de coopération et de développement économiques, le manque de transport accessible reste l’un des obstacles majeurs à la sécurité et au développement.
Au sujet des auteurs : Steven Radil est un consultant en matière de sécurité internationale et le directeur de GeoPublic Analytics, LLC ; Olivier Walther est professeur associé au département de géographie de l’université de Floride ; Alexander Thurston est professeur associé à l’école des affaires publiques et internationales de l’université de Cincinnati. Leur article complet sur ce sujet sera publié dans le numéro V19N2 du magazine ADF en 2026.
