Le choc et la frustration étaient visibles sur le visage d’Abdelaziz Ali alors qu’il sortait de l’école maternelle où il travaillait à Khartoum. Comme beaucoup d’autres lieux de la capitale du Soudan, cette école était jonchée des décombres de la guerre.
Il émergea de l’un des bâtiments avec un obus d’artillerie non explosé qu’il avait trouvé sous un amas de chiffons.
Il déclara au service d’actualité de Reuters : « Comment ne puis-je pas avoir peur ? Chaque jour, je découvre des munitions, des [grenades lancées à la roquette] et d’autres explosifs en quantité suffisante pour remplir deux conteneurs, le tout ici, dans une école d’enfants. Tout cela doit être dégagé. »
La guerre civile du Soudan se déroule en grande mesure dans les villes et les villages : les zones à forte population où les civils vivaient et travaillaient avant de d’enfuir en grand nombre. À la fin 2024, plus de 14 millions de personnes étaient déplacées, soit près du tiers de la population du pays, selon les Nations unies.
« Des milliers d’écoles se trouvent dans les zones de guerre … les mosquées où les gens se rendent cinq fois par jour … les hôpitaux, les cliniques, les routes. … La situation est extrêmement risquée », déclare Mohammad Sediq Rashid, chef du service d’action anti-mine des Nations unies (UNMAS) au Soudan, à l’agence de presse Anadolu.
« Des armes qui produisent d’énormes quantités de munitions dangereuses non explosées ont été utilisées. Les gens qui retournent dans ces zones … trouveront des munitions non explosées chez eux, sur les toits, logées dans les murs. »
Pendant plus de deux ans de combat, les membres des Forces de soutien rapide (FSR), un groupe paramilitaire, armés de pièces d’artillerie et d’armement anti-aérien, se sont répandus dans les zones peuplées. Les avions chasseurs et les hélicoptères d’attaque des Forces armées soudanaises (FAS) ont lancé des missiles et largué des bombes.
Depuis la reconquête par les FAS de Khartoum et Omdourman, villes jumelles séparées par le Nil, des milliers de Soudanais sont revenus, y compris M. Ali.
Il en est de même pour Moezr Monzir, âgé de 16 ans, et sa famille qui sont rentrés chez eux dans l’île de Tuti entre Khartoum et Omdourman, et qui ont trouvé un obus anti-aérien de 23 mm.
L’oncle du jeune garçon, Al-Noourany Mahmoud, déclare à Reuters : « Nous étions en train de nettoyer la maison normalement … lorsque nous avons entendu une explosion. Il était assis sur une chaise et soudainement l’obus a explosé sans avertissement. »
Le jeune garçon a perdu son bras gauche et subi d’autres blessures graves.
Les experts déclarent que ce sont les civils qui sont massivement affectés par l’emploi des armes explosives dans les zones peuplées. Maintenant que certains Soudanais sont revenus, ils font face à la menace des munitions non explosées (UXO), des mines terrestres et des munitions abandonnées et éparpillées dans les quartiers urbains et ruraux.
Clémentine Nkweta-Salami, coordinatrice résidente de l’ONU et coordinatrice humanitaire au Soudan, a déclaré le 3 avril : « La présence généralisée des munitions non explosées est un assassin silencieux dans les villages et les villes du Soudan. Chaque jour qui passe sans action accroît les risques pesant sur la vie des civils. »
Il est impossible de déterminer le nombre exact de civils tués et blessés par les UXO. Ce nombre est aussi largement sous-estimé parce qu’une grande partie du Soudan est toujours engagée dans le conflit armé qui a décimé le système de soins de santé du pays.
Le major-général Khalid Hamdan, directeur du centre national d’action anti-mines du Soudan, déclare que le nombre de victimes des vestiges de la guerre pourrait être beaucoup plus élevé dans les zones contrôlées par les FSR. Les coupures de communication y limitent l’accès et les civils sont souvent incapables de signaler les incidents ou de chercher une assistance médicale.
« Avant la guerre, il était plus facile d’identifier et d’isoler les zones dangereuses. Mais aujourd’hui les affrontements ont englouti des régions très peuplées, ce qui rendent essentiels les campagnes de sensibilisation et les rapports des résidents », dit-il au journal Asharq Al-Awsat.
Le général Hamdan déclare que plus de 49.000 vestiges d’explosif ont été détruits jusqu’à présent, y compris 37.000 munitions de grande taille et 12.000 obus plus petits.
Depuis le début de la guerre, l’UNMAS a offert une éducation sur les risques liés aux munitions explosives à 246.474 personnes ; il a conduit des briefings de sensibilisation auprès de 1.540 agents d’assistance et fourni des conseils techniques sur la sécurité des UXO en réponse aux demandes de plusieurs acteurs humanitaires.
Rashid est préoccupé par le nombre de résidents urbains du Soudan qui ne sont toujours pas sensibilisés aux risques des UXO.
« La population du Soudan, en particulier les gens qui vivent dans les zones urbaines, sont en grande mesure ignorants des risques posés par les munitions non explosées, dit-il. Nous utilisons l’éducation directe concernant les risques des munitions explosives, où les équipes entraînées sont actives … et l’éducation indirecte qui consiste à diffuser des messages sur la radio. Nous l’avons fait des centaines de fois. »
En avril, les UXO et les mines terrestres ont tué 24 personnes, selon l’UNMAS.
« Au cours du premier mois après avoir obtenu un accès à l’État d’Al-Jazirah, plus de vingt décès ont été signalés dans une seule ville, déclare M. Rashid. Le risque existe que les gens retourneront et, avec le temps, les dangers des explosifs seront oubliés et ils deviendront un assassin silencieux. »