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L’ Afrique a de loin la plus jeune population de tous les continents : environ 40 % de sa population, ou près de 600 millions, ont 15 ans ou moins. C’est l’auditoire principal ciblé par les groupes militants, et l’une des nombreuses raisons pour lesquelles les experts pensent qu’il est si difficile de vaincre l’extrémisme en Afrique.
Le professeur Barend Prinsloo déclare à ADF : « Les groupes terroristes prennent pour cible une population vulnérable et influençable. Les attaques contre les villages s’accompagnent souvent de l’assassinat des aînés, alors que les jeunes sont faits prisonniers ou endoctrinés mentalement. Ce jeune segment démographique massif fournit une source pratiquement illimitée de recrues. »
Le professeur Prinsloo, chef de programme de sécurité internationale et nationale à l’université sud-africaine du Nord-Ouest, qualifie les groupes terroristes d’organisations opportunistes qui exploitent toutes les doléances sociétales qu’elles rencontrent.
Dans la province mozambicaine du Cabo Delgado, un groupe affilié à l’État islamique (Daech) a eu du succès en tirant profit de la négligence politique dans la région. Dans les provinces rétives de l’Est de la République démocratique du Congo, de multiples groupes extrémistes se font passer pour des « combattants libérateurs ».
« En Somalie, déclare le professeur, les chebabs mélangent des idées nationalistes avec leurs objectifs islamistes. Et en Afrique de l’Ouest, les groupes djihadistes obtiennent un soutien en rejetant l’influence étrangère, en particulier celle provenant des anciennes puissances coloniales. »
Caleb Weiss, analyste pour la Foundation for Defense of Democracies et la Bridgeway Foundation, dit que les groupes extrémistes violents sont résilients parce qu’ils appartiennent à un mouvement idéologique. Leurs chefs sont aptes à employer des messages et des directives de la religion conçus pour un auditoire mondial et à les adapter à un contexte local. Les doléances locales sont facilement cooptées pour attirer les recrues.
M. Weiss déclare à ADF : « Beaucoup d’activités des groupes djihadistes sur le terrain concernent essentiellement des campagnes de relations publiques, ce qu’ils appellent la “da’wah” ou invitation en langue arabe. Ceci aide à développer un soutien public et les intègre encore plus dans les environnements locaux. Résultat : les campagnes exclusives de contre-terrorisme peuvent rarement en tuer suffisamment pour résoudre ce problème. »
Le professeur Prinsloo explique pourquoi une approche uniquement militaire au contre-terrorisme a des difficultés pour gagner les cœurs et les esprits des gens affectés par les groupes terroristes.
« Les groupes terroristes comptent sur la guerre asymétrique, en ignorant les règles conventionnelles des droits de l’homme, ce qui fait ressembler de plus en plus le terrorisme africain à une guerre civile. Cette dynamique amplifie l’idéologie extrémiste de ses origines, en transformant le conflit en lutte profondément personnelle et moralement influencée pour beaucoup de ces jeunes combattants. »

De nouvelles alliances
Le financement des groupes militants continue à évoluer. Leurs objectifs sont souvent alignés avec les résidents et les groupes engagés dans le commerce illicite et le crime organisé. Toutes les parties se responsabilisent mutuellement et s’habilitent à réaliser leurs buts, dit le professeur.
« Leurs motifs sont souvent axés sur les ressources et le financement : recruter les gens, contrôler les commodités et, de plus en plus, contrôler des territoires tout en jouant le rôle d’un quasi-gouvernement. Dans cet espace, les syndicats du crime transnational organisé deviennent les fournisseurs et les facilitateurs de ces groupes terroristes. »
Les sources de financement des groupes terroristes africains sont restées essentiellement les mêmes au cours des dernières années : taxation illégale, pillage, extorsion, sociétés de façade, enlèvements contre rançon et donations.
M. Weiss déclare : « Elles sont toujours incroyablement fréquentes. Ce qui a évolué concerne plutôt les méthodes de blanchiment et de mouvement d’argent. Oui, les anciens réseaux hawala [transfert d’argent] éprouvés et les comptes d’argent mobiles sont toujours très actifs pour transférer l’argent mais les choses comme la crypto-monnaie deviennent plus populaires. »
Son alignement avec des groupes de bandits dans la région centrale du Nigeria a permis à un groupe séparatiste de Boko Haram de rester pertinent et opérationnel. Mais les enlèvements et les attaques révèlent que le financement est au cœur de cette alliance. James Barnett, associé de recherche de l’Hudson Institute au Nigeria, déclare que les habitants locaux ne peuvent plus distinguer les bandits des terroristes.
Il écrit dans une enquête pour HumAngle, quotidien en ligne basé à Abuja qui se concentre sur l’insécurité : « Étant donné ce que l’on sait déjà sur la nature du banditisme au Nigeria, il semble probable que le panorama du militantisme sur l’axe Niger-Kaduna est quelque peu fracturé, avec de multiples groupes armés dont les motivations pourraient varier et les alliances pourraient changer. »
Une nouvelle menace
À la suite d’un atelier régional au Rwanda pour contrer les activités terroristes sur l’Internet, les responsables onusiens ont déclaré que certains groupes terroristes avaient appris à exploiter l’espace virtuel pour en tirer profit. « Au cours du temps, certains l’ont maîtrisé pour créer une présence en ligne vaste et sophistiquée, dans le but de radicaliser, recruter, rançonner et collecter des fonds », a dit l’ONU.
Charley Gleeson, analyste du renseignement de source ouverte à l’initiative mondiale Tech Against Terrorism, a déclaré : « Il est de plus en plus difficile de contrer l’utilisation terroriste de l’Internet car les terroristes migrent vers des sites de niche ou cachés de l’Internet, ce qui rend leurs activités plus difficiles à identifier et perturber. C’est pourquoi cela peut seulement être fait efficacement avec la collaboration entre le secteur technologique, les gouvernements et la société civile pour assurer que les droits de l’homme et les libertés démocratiques soient respectés. »
Les responsables de l’atelier disent que la coopération régionale sera nécessaire pour combattre le cyberterrorisme.
« La lutte contre l’utilisation de l’Internet à des fins terroristes ne pourrait pas être gagnée par un seul pays », déclare Isabel Kalinhangabo de l’Office rwandais d’investigation.
Les experts avertissent aujourd’hui que les extrémistes ont commencé à se tourner vers le cyberterrorisme en utilisant des ordinateurs et des réseaux à des fins politiques, idéologiques ou autres. Les extrémistes emploient des attaques sophistiquées pour gagner accès aux réseaux, où ils peuvent rester sans être détectés et dérober des données. Ils emploient des virus informatiques, des vers ou des maliciels pour cibler les systèmes TI, les réseaux électriques, les systèmes de transport et autres. Ils utilisent des stratégies d’ingénierie sociale et des campagnes d’hameçonnage pour duper les gens afin qu’ils divulguent des informations de valeur.
Une étude de 2024 montre que les pays en développement, en particulier ceux d’Afrique, sont utilisés comme bancs d’essai pour les cyberattaques à cause de leur niveau relativement faible de sécurité informatique. En 2023, le nombre moyen de cyberattaques hebdomadaires contre les entreprises africaines a augmenté de 23 % comparé aux années précédentes, la plus rapide augmentation au monde, selon l’évaluation des cybermenaces en Afrique 2024 par Interpol. Les logiciels de rançon et la corruption des courriels d’affaires sont en tête de la liste des menaces sérieuses.
L’analphabétisme numérique, l’infrastructure vieillissante et un manque de professionnels de la sécurité présentent des défis pour empêcher les pertes économiques au cybercrime, selon un rapport de 2024 d’Access Partnership et du Centre for Human Rights à l’université de Pretoria.
Nicole Isaac, vice-présidente de la politique publique globale pour la société technologique géante Cisco, déclare que « l’Afrique fait face à un impact très important dû aux cybermenaces, comparé à tout autre continent ». La circulaire de cybersécurité Dark Reading signale qu’elle a dit que presque tous les dirigeants financiers d’Afrique « considèrent que le cybercrime est une menace importante, avec les conditions macro-économiques et l’instabilité politique et sociale. »
Des données troublantes
Lors d’une conférence au sommet sur le contre-terrorisme à Abuja en 2024, le président de l’Union africaine Mousa Mahamat a mis en lumière des statistiques qui donnent à réfléchir : le continent a subi en moyenne huit incidents et enregistré 44 décès quotidiens en 2023. On a recensé plus de 16.000 décès, y compris plus de 7.000 civils et plus de 4.000 membres des forces de sécurité.
« Le terrorisme et l’extrémisme violent sont les pires fléaux de notre époque ; ils se propagent dans toutes les cinq régions d’Afrique », a-t-il dit.
Les menaces posées par les organisations extrémistes violentes sur le continent sont en évolution constante, car Al-Qaïda et Daech, les deux plus proéminentes, exploitent « un déficit de capacité de contre-terrorisme », selon un rapport de 2024 par un panel d’experts onusiens. Ils ont écrit : « La situation devient toujours plus complexe à cause de la fusion des disputes ethniques et régionales avec le programme et les opérations de ces groupes. »
Pendant la conférence, la sous-secrétaire générale des Nations unies Amina J. Mohammed a fait appel aux pays dans et près des points sensibles violents d’Afrique pour qu’ils œuvrent avec l’ONU et les autres organisations internationales afin d’adresser les causes fondamentales du terrorisme, telles que le manque d’opportunités économiques. Elle a ajouté que les gouvernements africains doivent restaurer leur « contrat social » ou leur connexion avec les communautés et les gens.
Le professeur Prinsloo est l’un des experts qui pensent que les opportunités de dialogue avec les groupes extrémistes devraient être explorées.
« Un engagement gouvernemental respectueux et formel avec certains groupes terroristes pourrait offrir un moyen de réduire les doléances personnelles au cœur de cette violence, en nous permettant de nous concentrer plus efficacement sur la réponse à l’idéologie extrémiste proprement dite », a-t-il déclaré.
La Terreur Se Propage Dans Les Points Sensibles Régionaux
Au cours des dernières années, cinq régions d’Afrique ont été des focus de la violence extrémiste, selon un rapport d’Août 2024 du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA) :
LE SAHEL : La région qui enregistrait il y a dix ans le moins de décès en a subi le plus au cours des trois dernières années.
Le centre signale : « Les 11.200 décès au Sahel [jusqu’au 30 juin] en 2024, soit le triple de 2021, représentent maintenant plus de la moitié de tous les décès enregistrés sur le continent. La violence des forces de sécurité contre les civils s’est constamment avérée un encouragement pour le recrutement des groupes extrémistes violents. Les juntes militaires sahéliennes et leurs milices alliées ont tué plus de civils (2.430) l’an passé que les groupes islamistes militants (2.050). »
Les experts onusiens notent « un déficit des capacités de contre-terrorisme », que les affiliés d’Al-Qaïda et de l’État islamique (Daech) continuent à exploiter.

LA SOMALIE : Les chebabs y sont depuis vingt ans et ils ont fait de ce pays chancelant le deuxième champ de bataille le plus actif du continent depuis les trois dernières années. Le nombre de décès signalé en 2024 est 6.590, soit plus du double du chiffre de 2020, selon le centre. Les chebabs restent une présence massive en Somalie, alors que le groupe Daech-Somalie a été responsable pour moins d’un pourcent de l’activité terroriste en Somalie et au Kenya en 2024.
Malgré de lourdes pertes dues aux frappes aériennes et aux opérations militaires, les chebabs demeurent résilients. On estime qu’ils ont entre 7.000 et 12.000 combattants et perçoivent 100 millions de dollars par an, principalement par taxation à Mogadiscio et dans le Sud de la Somalie, selon les experts onusiens.
LE BASSIN DU LAC TCHAD : Il y a dix ans, cette région était l’épicentre de la violence terroriste en Afrique, avec 67 % de tous les décès, soit 13.670 annuellement, selon le CESA. Le bassin inclut le Nord-Est du Nigeria et les zones frontalières du Cameroun, du Niger et du Tchad.
Le centre déclare : « La violence islamiste militante dans le bassin du lac Tchad a eu des hauts et des bas au cours des dix dernières années. Les deux dernières années ont enregistré une hausse du nombre d’événements violents après une période de baisse. Toutefois, le nombre annuel de décès liés à ces événements est resté relativement uniforme, en général entre 3.500 et 3.800. »
L’Institut international d’études stratégiques (IIES) signale que l’insurrection extrémiste dans le bassin du lac Tchad est principalement centrée au Nigeria. Le groupe Ansaru affilié à Al-Qaïda et la Province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique sont les deux groupes dominants dans la région. Les attaques concernent de plus en plus des milices non extrémistes qui pratiquent le banditisme, les enlèvements et les vols de bétail. L’IIES déclare que ces milices « sont aujourd’hui plus meurtrières que les groupes djihadistes ».
LE MOZAMBIQUE : La province septentrionale du Cabo Delgado a observé avec horreur une insurrection locale qui s’était manifestée en 2017 et s’est transformée en groupe létal : Daech-Mozambique. Les opérations militaires multinationales ont dégradé les capacités du groupe mais le nombre d’événements violents et de décès a grimpé.
Le CESA écrit : « Les 250 événements et 460 décès projetés en 2024 représenteraient le double de la violence de l’année précédente. »
L’IIES signale que le Nord du Mozambique a subi une nouvelle hausse d’activités militantes dans les zones rurales en 2022, après une réduction de la violence à la suite des interventions de 2021 par les soldats rwandais et sud-africains qui avaient réussi à chasser les militants hors des localités principales du Cabo Delgado.
L’AFRIQUE DU NORD : Du 30 juin 2014 au 30 juin 2015, il y a eu 3.650 décès dus au terrorisme en Afrique du Nord, seconde région du continent. Aujourd’hui, la région a le nombre le plus bas de décès signalé dans les cinq régions.
Le CESA écrit : « Pour la première fois cette année depuis 2010, il n’y a pas eu d’événement violent lié aux groupes islamistes militants en Égypte. Les Nations unies pensent qu’ISL (État islamique – Libye) et Al-Qaïda ont toujours des combattants dans le Sud du pays, bien qu’ils semblent se concentrer sur les profits produits par l’économie illicite. »