Le procès de six personnes, y compris le membre d’un cartel mexicain notoire de la drogue, devant un tribunal kényan souligne l’évolution et l’influence corrosive du commerce des drogues illicites en Afrique de l’Est.
Les autorités kényanes les ont arrêtées pendant une descente sur un labo de méthamphétamine rudimentaire dans la campagne près de Namanga, localité à la frontière de la Tanzanie. Parmi les personnes arrêtées, on compte trois Kényans, deux Nigérians et Israel Alvarado, membre du cartel de Jalisco Nouvelle Génération qui est l’une des organisations criminelles les plus dangereuses du Mexique, selon la police.
La descente sur le labo de Namanga est la première opération confirmée à grande échelle contre un cartel mexicain au Kenya. La Direction des investigations criminelles du pays signale que le labo n’était pas encore opérationnel au moment de la descente.
Le Kenya et d’autres pays d’Afrique de l’Est servent depuis longtemps de points de transit pour les narcotiques provenant des centres de production d’Asie centrale à destination des marchés d’Europe et d’Amérique du Nord. Toutefois, au cours des 15 à 20 dernières années, les trafiquants de drogue ont commencé à se concentrer sur les toxicomanes africains, en particulier ceux qui consomment la méthamphétamine.
Après avoir pris racine dans la région sud-africaine du Cap-Occidental il y a une vingtaine d’années, la méthamphétamine s’est répandue à tel point que tous les pays d’Afrique orientale et australe ont aujourd’hui un marché local pour sa consommation, selon Jason Eligh, expert principal sur les drogues et les marchés de drogue de l’Initiative globale contre la criminalité transnationale organisée.
Eligh déclare à ADF dans une interview : « En tant que communauté internationale, nous surestimons considérablement ce que nous pensons savoir sur les marchés de stupéfiants de la région. Nous pensons toujours aux cargaisons traditionnelles d’héroïne qui traversent la région vers des destinations lointaines, alors que la région elle-même est devenue au cours des quinze dernières années grande consommatrice d’un certain nombre de drogues illicites. »
Bien que distant, le labo de Namanga se trouvait sur des routes de trafic traditionnelles avec un accès facile aux ports maritimes et aux aéroports du Kenya, de l’Ouganda et de la Tanzanie, observe Jason Eligh.
La police régionale signale que le labo se trouvait derrière plusieurs clôtures et qu’il était recouvert de tôle ondulée. La propriétaire affirmait qu’elle allait utiliser la propriété pour l’élevage de volaille.
« Nous sommes allés là-bas, nous avons trouvé l’endroit. Quelque chose nous a frappé : il y avait un gardien au portail », déclare Hassan Elema, sous-commandant de police du comté de Kajiado, à NTV Kenya. À l’intérieur, la police a découvert des tonneaux pleins de produits chimiques et du matériel pour fabriquer la meth en cristaux.
Eligh suggère que l’opération aurait pu être semblable à une franchise de restauration rapide, dans laquelle des membres du cartel mexicain seraient présents pour former les Nigérians et les Kényans sur les techniques de production de drogue. Les cartels mexicains ont établi des labos similaires dans d’autres régions du continent.
Les enquêteurs internationaux avertissent que les opérations de drogue telles que celle démantelée à Namanga sont à la fois des sources et des bénéficiaires de la corruption au Kenya et ailleurs. La quantité d’argent liée au commerce des drogues peut facilement assurer que les inspecteurs portuaires, les policiers et les responsables du système de justice détournent les yeux.
Jason Eligh déclare : « On se pose la question suivante : “Est-ce que les trafiquants de drogue incitent la corruption, ou est-ce que les environnements corrompus attirent les trafiquants de drogue ?” Je suggérerais que, dans beaucoup de cas, c’est cette dernière hypothèse qui est vraie. »
Les chercheurs de l’Indice du crime organisé – Afrique classent le Kenya en première place des pays d’Afrique de l’Est en termes de criminalité, et en quatrième place parmi tous les pays africains. L’indice montre un taux de criminalité en hausse dans le commerce des drogues synthétiques telles que la méthamphétamine, et la présence des réseaux criminels dans le pays. D’un côté positif, l’indice a découvert que le Kenya améliorait son système juridique ainsi que ses opérations conjointes avec les autres pays pour contrôler les activités criminelles.
Le système juridique, qui aujourd’hui a inculpé les six personnes arrêtées pour cause de trafic de drogue à Namanga, est un domaine où l’indice note un recul de la part du gouvernement kényan. Plus de six mois après leur arrestation, le procès a été reporté le mois dernier parce que les responsables des tribunaux ne pouvaient pas trouver d’interprète espagnol pour M. Alvarado.
Les observateurs déclarent que le système juridique kényan est inefficace, paralysé par le nombre d’affaires et parfois corrompu. La mauvaise collecte des preuves de la part de la police affaiblit aussi l’accusation au moment des procès. De ce fait, les trafiquants de drogue sont souvent libérés.
« Les trafiquants de drogue utilisent les vides juridiques du système de justice pénale pour échapper aux poursuites et aux condamnations, alors que les produits du crime sont employés pour offrir des pots-de-vin aux responsables corrompus ou pour financer de longues batailles judiciaires », a écrit l’analyste Halkano Wario de l’Institut d’études de sécurité en 2024.
Le Dr Wario a fait appel aux autorités kényanes pour donner priorité aux affaires de trafic de drogue afin de préserver la confiance dans le système de justice.
Il écrit : « La répétition des arrestations, de l’abandon des poursuites et de la libération des suspects notoires sape la confiance dans le système de justice et fait perdre à l’état du temps et des ressources. »