Àla fin 2024, la sécurité au Sahel restait effroyable. Les attaques terroristes menées par un groupe affilié à l’État islamique (Daech) se produisaient presque chaque jour et la région représentait près de la moitié de tous les décès dus au terrorisme dans le monde. Au moins 2,8 millions de personnes avaient été forcées de s’enfuir de leur foyer, y compris 2,1 millions rien qu’au Burkina Faso. Les groupes extrémistes avaient étendu les territoires sous leur contrôle dans les pays dirigés par les militaires (Burkina Faso, Mali et Niger) et ils menaçaient les états du littoral.
Les responsables d’Afrique de l’Ouest ont fait appel à une réponse commune face à la crise.
Le Dr Michael Imran Kanu, représentant permanent de la Sierra Leone aux Nations unies, a déclaré lors d’un briefing devant le Conseil de sécurité sur la menace du terrorisme : « La magnitude et la complexité du problème sont alarmantes et exigent des mesures concertées. On ne saurait trop insister sur une approche coordonnée face à cette menace transnationale. »
Les défis communs aux pays d’Afrique de l’Ouest mettent en lumière le besoin de stratégies régionales pour traiter les préoccupations immédiates de sécurité et les questions socio-économiques sous-jacentes. L’augmentation générale du nombre d’incidents terroristes est dramatique, en hausse de plus de 2.000 % au cours des quinze dernières années. L’insécurité alimentaire, la pauvreté, les tensions ethniques et les gouvernements faibles en sont quelques-unes des causes. Des millions de jeunes font face à un avenir précaire avec peu d’opportunités d’emploi ou autres avantages économiques. Ils sont devenus des cibles vulnérables de recrutement par les terroristes.
Les extrémistes cherchent à tirer profit des tensions ethniques telles que le conflit sur le droit à la terre entre les pastoraux nomades peuls et les cultivateurs sédentaires. En exacerbant ces tensions et attisant les flammes de la colère chez les jeunes, les terroristes augmentent leurs effectifs.
Amar Bendjama, ambassadeur d’Algérie à l’ONU, déclare que « les groupes terroristes démontrent leur adaptabilité ». Il ajoute que les groupes terroristes sont déterminés à maîtriser l’instabilité sociale, économique et politique à leurs propres fins. « Ces phénomènes créent un terrain fertile pour recruter de nouveaux adeptes dans leurs rangs. »
La montée des organisations telles que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans et les groupes séparatistes de Daech a intensifié la violence dans la région. Ces groupes prennent pour cible non seulement les forces gouvernementales mais aussi les civils, ce qui conduit à des crises humanitaires généralisées. Les tactiques terroristes incluent les attentats à la bombe, les enlèvements, la torture, les viols, les mariages forcés, le recrutement des enfants combattants et les attaques contre l’infra-structure gouvernementale, les écoles et les chefs traditionnels et religieux.

L’ALLIANCE DES JUNTES
Les gouvernements putschistes du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont formé l’Alliance des états du Sahel en juillet 2024 pour se distancer de leurs partenaires de sécurité de longue date. L’alliance a choisi de coopérer avec des entités non occidentales telles que le groupe Wagner de mercenaires russes pour obtenir un soutien militaire. Les gouvernements militaires de l’alliance n’ont pas réduit la menace du terrorisme. Leurs critiques déclarent que les juntes ne donnent en général pas priorité à la stabilité ou la bonne gouvernance. Dans chaque pays, disent-ils, les juntes ont de plus en plus recours à la répression pour rester au pouvoir.
À la fin 2024, les trois pays de l’alliance se sont retirés de la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest (Cédéao), laquelle a offert six mois de dialogue pour qu’ils changent d’avis. Dans le sillage de ce retrait, la Cédéao a été généralement louée pour essayer d’inciter les trois pays à organiser des élections libres et retourner vers la démocratie.
La décision prise par la junte du Niger de suspendre la coopération militaire avec les États-Unis change la dynamique de sécurité dans toute la région. Dimensions for Strategic Studies signale que les pays de l’alliance ont « acheté de grandes quantités d’armes auprès de sources non traditionnelles (Russie, Turquie, Iran et Chine) au nom de la “diversification des partenariats” ».
À mesure que les groupes terroristes se développent, il existe un risque accru de violence qui se propagerait dans les régions urbaines considérées précédemment comme sécurisées. La zone du Liptako-Gourma, région des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, est devenue un point sensible pour des attaques qui pourraient facilement se propager dans les territoires du littoral.
L’instabilité au Sahel n’est pas limitée à l’intérieur des frontières. Elle menace maintenant directement les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest, en particulier le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo. Les terroristes apprécient les pays du littoral pour leurs ports, qui fournissent l’accès aux crimes lucratifs tels que : trafic d’armes, détournement du pétrole, piraterie, contrebande des drogues, traite humaine.

Les pays côtiers s’efforcent de renforcer leurs défenses contre l’empiétement des terroristes. La Côte d’Ivoire, qui a l’une des économies les plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest, est devenue un chef de file du contre-terrorisme. Elle a créé une initiative nationale pour combattre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Elle a construit des bases militaires et déployé des unités de contre-terrorisme sur ses frontières du Nord avec le Burkina Faso et le Mali. En janvier 2022, Patrick Achi, Premier ministre à l’époque, a lancé un programme visant à empêcher les terroristes de recruter les jeunes des régions frontalières. À la fin de cette année, le programme avait travaillé avec environ 23.000 jeunes. Il développe des stages d’apprentissage et autres opportunités d’emploi.
Le Ghana s’est aussi efforcé d’empêcher les terroristes d’entrer dans le pays en demandant une assistance additionnelle auprès de ses partenaires internationaux, par exemple un kit de soutien de 22 millions de dollars de l’Union européenne. Le Ghana a rejoint les initiatives de prévention des conflits telles que la Loi américaine sur la fragilité mondiale qui crée un financement des programmes antiterroristes. Il a déployé plus de 1.000 membres des forces spéciales d’élite et des centaines d’officiers de sécurité vers la région de la frontière Nord tout en restructurant largement les forces de sécurité du pays.
LES INITIATIVES RÉGIONALES
Dans une tentative visant à traiter la propagation du terrorisme, empêcher les attaques terroristes et réprimer le crime organisé, le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo ont créé l’Initiative d’Accra en 2017. C’est un mécanisme de sécurité collaboratif ancré sur trois piliers : partage de l’information et du renseignement, formation du personnel de sécurité et de renseignement, conduite d’opérations militaires transfrontalières conjointes. L’Institut pour les études de sécurité déclare que les réunions de cette initiative sont organisées à deux niveaux : les chefs des services de sécurité et de renseignement, et les ministres gouvernementaux chargés de la sécurité.
Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA) note : « Étant donné la liste de membres, l’Initiative d’Accra représente l’organisme le plus logique pour coordonner une meilleure coopération sécuritaire régionale sur le littoral d’Afrique de l’Ouest. La conception contextuelle de l’Initiative d’Accra vise à encourager une plus grande coordination en réunissant une coalition des volontaires sous forme d’intermédiaire de la coopération. L’initiative sert de médiatrice entre une série de pays qui sont géographiquement rapprochés, partagent des objectifs de sécurité régionaux et ont besoin de construire une mobilisation collective. »

La Force multinationale mixte (FMM), qui inclut principalement des unités militaires du Bénin, du Cameroun, du Niger, du Nigeria et du Tchad, est une autre institution antiterroriste régionale. Elle est basée à N’Djaména (Tchad) et son mandat vise à mettre fin à l’insurrection de Boko Haram. En 2024, elle a 10.000 soldats provenant de ses pays membres. Elle est chargée de protéger les civils contre les attaques violentes, d’établir des programmes de stabilisation pour les communautés du bassin du Tchad et d’établir des opérations humanitaires et d’assistance dans les zones affectées.
Le mandat de la FMM correspond à un processus en deux étapes. « Premièrement, elle conduit des actions cinétiques contre Boko Haram et ses branches, notamment des opérations de contre-terrorisme, des campagnes de dégagement, des patrouilles, des opérations de recherche et sauvetage des personnes enlevées et des campagnes de messages pour encourager les défections », selon un rapport du CESA. « Deuxièmement, la FMM fournit une plateforme de coordination pour traiter les facteurs de l’extrémisme violent dans la région grâce à sa stratégie régionale pour la stabilisation, la récupération et la résilience de la région du lac Tchad. »
La Cédéao a été créée il y a 50 ans en tant qu’union politique et économique régionale, avec 15 pays membres à l’origine. Son but était d’améliorer les conditions de vie et de promouvoir le développement économique dans toute la région. Depuis lors, elle a évolué pour devenir ce que le CESA qualifie de « structure prééminente de coopération régionale en Afrique de l’Ouest à cause de la volonté politique de ses membres, de son cadre juridique robuste et de son expérience de longue durée dans la paix et la sécurité ». Le Council on Foreign Relations la décrit « indubitablement comme le modèle de coopération régionale qui a eu le plus de succès en Afrique ».
Le protocole historique de 1976 de la Cédéao permet aux citoyens de se déplacer librement entre les pays membres.

L’ambassadeur Abdel-Fatau Musah, commissaire aux Affaires politiques, à la paix et à la sécurité de la Cédéao, déclare : « Le protocole sur les mouvements libres des personnes, des biens et des services donne aux citoyens le droit de se localiser dans tout état membre ; il a été caractéristique de la Cédéao à travers les années. Le fait que les gens d’Afrique de l’Ouest n’aient pas à penser à un visa lorsqu’ils franchissent une frontière de la région est un accomplissement majeur. »
Bien qu’il ne soit pas techniquement une organisation antiterroriste, le Code de conduite de Yaoundé est un accord de sécurité maritime signé en 2013 par 25 pays autour du golfe de Guinée, pour combattre la piraterie, les vols à main armée contre les navires et autres crimes maritimes dans la région d’Afrique occidentale et centrale. Il a créé une architecture sécuritaire zonale pour riposter collectivement aux menaces maritimes dans la région entre le Sénégal et l’Angola. L’architecture de Yaoundé coordonne et met en commun les informations entre ses pays membres.
Depuis sa création, le code a encouragé les pays membres à apporter des améliorations technologiques dans leur capacité de radar et de surveillance pour réprimer le terrorisme, le crime et la piraterie.
L’experte en sécurité maritime Ifesinachi Okafor-Yarwood a écrit dans un article pour The Conversation : « Les pays du golfe sont maintenant mieux sensibilisés aux activités des navires dans leurs eaux et ils sont capables de mieux prendre des mesures éclairées dans les cas d’urgence, comme la piraterie, le vol à main armée ou le vol du pétrole. Sans le Code de conduite de Yaoundé et la nouvelle technologie qu’il a introduite, la mise en commun de l’information, la saisie des preuves et la coopération entre les pays n’auraient pas été possibles. »
Une Riposte Holistique Au Terrorisme
Les Nations unies ont établi six domaines clés pour la coopération régionale pour riposter au terrorisme basé au Sahel :
- Le renforcement de la coopération bilatérale et régionale pour maintenir la paix, la sécurité et le développement socio-économique de la région.
- La poursuite des programmes de développement durable pour améliorer les conditions de vie des gens, en particulier pour assurer l’intégration sociale et économique des jeunes.
- La lutte contre le terrorisme et la criminalité en gagnant l’appui des populations locales.
- Le développement d’une approche antiterroriste intégrée par les gouvernements, les organisations régionales et la communauté internationale.
- Le renforcement de la coopération judiciaire et de la surveillance des flux financiers illicites.
- L’amélioration de la coordination entre les états-majors militaires des pays du Sahel.