La junte militaire qui gouverne le Burkina Faso a annoncé à la mi-mars qu’elle recruterait 14.000 soldats pour combattre les rebelles affiliés à Al-Qaïda et à l’État islamique (Daech). Ces nouveaux soldats sont des civils appelés Volontaires pour la défense de la patrie (VDP).
Ils participeront aux opérations à réponse rapide. Ils reçoivent environ 14 jours de formation civique et militaire avant de prendre les armes et d’être envoyés au front dans le cadre des efforts de contre-insurrection du pays.
« Plus de 14.000 soldats de tous les types et des milliers de (volontaires des forces civiles de défense) ont été recrutés, entraînés et équipés », a déclaré le Premier ministre Jean-Emmanuel Ouédraogo dans un reportage du Defense Post.
La junte dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré avait précédemment entrepris des efforts de recrutement similaires des VDP. En août, elle avait lancé le recrutement de 35.000 combattants volontaires.
« La mission de ces VDP communautaires consiste à protéger, aux côtés des forces de défense et de sécurité, les habitants et les biens de leurs communes d’origine », a déclaré le colonel Boukaré Zoungrana, commandant de la brigade de veille et de défense patriotique, dans un reportage conjoint de la Rédaction Africanews et l’Agence France-Presse.
En octobre et novembre 2022, peu après la prise de pouvoir par le capitaine Traoré, 90.000 personnes s’étaient inscrites pendant un effort de recrutement des VDP, selon le projet ACLED (Armed Conflict Location and Event Data).
Le capitaine Traoré a employé les VDP pour enrôler les dissidents et les activistes afin de réduire ses critiques au silence. Après l’effort de recrutement d’août 2024, Human Rights Watch (HRW) a accusé la junte d’utiliser les forces de sécurité pour punir les juges et les procureurs en les enrôlant pour se battre contre les combattants djihadistes. Selon HRW, six magistrats se sont rendus dans une base militaire de la capitale de Ouagadougou et « n’ont plus donné de nouvelles depuis ».
Selon un rapport de 2024 du projet ACLED, « la mobilisation et l’expansion agressives des VDP » par le capitaine Traoré auront des conséquences à long terme pour le tissu social et les relations intercommunautaires du pays, « en particulier puisque ces tactiques militaires agressives ont été accueillies par la violence croissante des militants contre les forces armées, les VDP et la population civile ».
Les VDP ont aussi été accusés d’atrocités contre les civils. Quelques jours avant l’annonce du recrutement de mars, les VDP furent accusés d’avoir tué des dizaines de civils dans la ville occidentale de Solenzo. On signale que les victimes, dont beaucoup appartenaient au groupe ethnique des Peuls, auraient été prises pour cible dans une attaque potentielle de représailles dans le cadre des opérations de contre-insurrection en cours, selon HRW, qui a visualisé des clips vidéos des réseaux sociaux sur ce massacre qui a duré pendant deux jours .
Les clips vidéos du massacre de Solenzo examinés par HRW sont effrayants. L’un d’eux montre une femme morte, couchée sur le sol et saignant de la tête, à côté d’un nourrisson gravement blessé et gisant sur le dos dans la poussière.
« C’est le travail de vos parents qui vous a amené ici, déclare un attaquant. Vous pensez que vous pouvez avoir tout le Burkina Faso. C’est votre fin. »
Dans un autre, une jeune femme gravement blessée est sur le sol à côté d’un nourrisson. Selon HRW, deux voix masculines se moquent d’elle en lui demandant pourquoi elle ne peut pas se lever et menacent d’emmener l’enfant.
Hors du champ, quelqu’un demande : « Vous, les Peuls, vous pensez que vous pouvez prendre le contrôle du Burkina Faso ? Vous n’y arriverez jamais ! Ce qui vous reste à faire ici, c’est de disparaître. Où sont ceux qui portent des armes ? » La jeune femme dit qu’elle ne sait pas. « Comment se fait-il que tu ne saches pas ? Nous allons t’achever », lui dit une voix masculine. Les attaquants sont partis avec l’enfant.
Ces vidéos « soulignent le manque systématique de responsabilisation de ces forces », déclare Ilaria Allegrozzi, chercheuse principale sur le Sahel pour HRW, sur le site web de l’organisation.
Les VDP sont censés entraîner et armer les civils de toutes les ethnies pour défendre leur communauté aux côtés des forces de sécurité traditionnelles, mais ils ont exclu les Peuls à cause de la paranoïa concernant leurs liens potentiels aux djihadistes, écrit l’analyste Michael DeAngelo pour le Foreign Policy Research Institute.
Les groupes islamistes armés du Burkina Faso ont recruté des Peuls en exploitant leurs frustrations concernant la corruption gouvernementale et la concurrence pour les ressources naturelles.
Malgré la mobilisation des VDP et les autres efforts de contre-insurrection, les insurgés occupent jusqu’à la moitié du territoire national. Des sources ont dit au Defense Post qu’en date de la mi-mars, les groupes armés avaient conquis des territoires à environ 100 km au Nord et à l’Est de Ouagadougou.