La Turquie aide à renforcer la Somalie dans son combat contre la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN) et autres crimes maritimes.
En 2024, les deux pays ont signé un protocole d’accord pour établir les Forces armées turques comme partenaire maritime de la Somalie en matière de sécurité et de police pour une période de dix ans. La Turquie a convenu de reconstruire, équiper et entraîner la Marine somalienne en échange de 30 % des revenus produits par la zone économique exclusive de la Somalie. Ceci signifie que les navires de la Marine turque pourraient bientôt conduire des patrouilles dans les eaux somaliennes, écrit l’analyste Ada Baser dans la Columbia Political Review.
Précédemment, la Turquie avait aidé la Somalie à améliorer son secteur de la sécurité. Elle avait notamment vendu des drones à la Somalie, entraîné ses unités d’élite, établi la base militaire du Camp TURKSOM et participé à des frappes aériennes contre les Chebabs. En outre, des sociétés turques gèrent l’aéroport international et le port maritime de Mogadiscio.
Les chercheurs Samira Aden Abdi et Halkano Wario de l’Institut d’études de sécurité (ISS) écrivent pour le projet ENACT (Enhancing Africa’s Response to Transnational Organized Crime) que la promesse d’Ankara pour développer la capacité navale de Mogadiscio « aura probablement du succès, en améliorant la capacité de cette dernière à contrôler sa zone maritime, arrêter les vaisseaux illégaux, réduire les déversements de produits toxiques et empêcher la piraterie, avec la collaboration de la marine turque ».
La pêche INN, souvent pratiquée par les chalutiers industriels chinois, fait perdre à la Somalie environ 300 millions de dollars par an et menace les moyens de subsistance de près de 90.000 pêcheurs artisanaux. La Chine régit la flotte de pêche en eau profonde la plus vaste du monde, et elle est de loin le pire contrevenant mondial de la pêche illégale, selon l’Indice de risque de pêche INN. Parmi les dix premières entreprises mondiales engagées dans la pêche illégale, huit sont chinoises.
Ce n’est pas seulement la Chine qui pille les eaux somaliennes. Des navires iraniens, sud-coréens, espagnols, taïwanais et d’autres pays y sont aussi actifs illégalement.
Un chercheur de Mogadiscio ayant demandé l’anonymat déclare que les opérateurs de certains vaisseaux de pêche ont obtenu illégalement des permis de pêche. Il dit à l’ISS : « Il est impossible pour le gouvernement de connaître la quantité de poisson capturée, car ils le déclarent rarement. Ils transforment le poisson et l’exporte vers les marchés internationaux. »
L’octroi des permis de pêche dans les régions semi-autonomes telles que le Pount et le Somaliland complique leur mise en application. Par exemple, le ministère des Pêches et des Ressources maritimes du Pount peut émettre des permis de pêche sur une période de plus d’un an, ce qui est plus long que la période standard de trois mois du gouvernement fédéral somalien.
En décembre 2018, Abdillahi Bidhan, à l’époque ministre des Pêches de Somalie, a conclu un accord d’un million de dollars permettant à des sociétés chinoises de pêcher à moins de 24 milles marins du littoral du pays. Le ministère des Pêches et de l’Économie des océans de Somalie a déclaré à l’ISS que l’accord serait renouvelé selon des évaluations annuelles indépendantes des stocks de poissons. Il est toujours en vigueur et les pêcheurs locaux disent qu’ils ont vu des chalutiers chinois qui ne respectent pas les lois locales.
Mohamoud Khalid Hassan, aîné de la collectivité d’Eyl, déclare à Al Jazeera : « Ils [les chalutiers] se rapprochent beaucoup de la côte lorsqu’ils pillent les poissons, et ils sont armés. Nous pouvons seulement rester sur la rive et observer ce qui se passe. Nous sommes impuissants. »
Mohamoud Nur Hasan, membre du sous-comité parlementaire des pêches et des ressources naturelles, déclare à l’ISS que ces accords manquent aussi de transparence.
La pêche illégale a conduit au déclin des stocks de thon jaune très prisé de Somalie. Ces stocks sont près de s’effondrer. En septembre dernier, les autorités somaliennes ont dévoilé de nouvelles procédures d’exploitation normalisées (PEN) pour octroyer des permis de pêche du thon aux vaisseaux actifs dans la zone économique du pays, qui s’étend sur près de 1,1 million de kilomètres carrés, selon un reportage de Seafood Source. Le plan vise à aider à réduire les activités de pêche illégale des vaisseaux industriels et semi-industriels, tout en augmentant les opportunités des pêcheurs artisanaux.
Abdi Dirshe, directeur général des pêches de Somalie, déclare à Seafood Source : « Cette initiative a pour objet d’encourager les pratiques de pêche durable, d’améliorer la transparence en matière de réglementation et de soutenir le développement économique local à l’intérieur des frontières maritimes de la Somalie. L’introduction de ces PEN et directives est un jalon important dans les efforts somaliens de réglementation responsable de l’industrie de la pêche au thon. »
Selon le Service de recherche du Parlement européen, la pêche illégale est liée à d’autres crimes transnationaux organisés, notamment le blanchiment d’argent, la corruption et la servitude à bord des vaisseaux de pêche. Elle a aussi été mentionnée comme justification de la piraterie.
À la fin novembre 2024, une bande de pêcheurs somaliens, armés et mécontents, a saisi un chalutier de pêche chinois de la flotte Liao Dong Yu à 50 km de la côte. Le navire possédait des permis de pêche obtenus auprès des autorités semi-autonomes du Pount et n’était donc pas suivi par le ministère de la Pêche et de l’Économie des océans de Somalie. Selon le Horn Observer, le permis du chalutier avait été octroyé par le ministère de la Pêche et des Ressources marines du Pount en septembre 2020 et avait expiré en septembre 2024. Les pirates ont libéré le vaisseau et son équipage de 18 membres vers la mi-janvier moyennant une rançon estimée à 2 millions de dollars.
L’un des corsaires a déclaré à Al Jazeera que ni lui ni ses confrères pêcheurs ne sont des pirates ; ils sont des membres d’une « communauté assiégée ». Il a accusé les vaisseaux chinois de surexploiter les stocks de poissons et de menacer les moyens de subsistance des pêcheurs somaliens locaux.