PERSONNEL D’ADF
Des milliers de lions vivent en Afrique du Sud, mais la plupart n’ont aucun contact avec la nature.
Cet animal iconique est plutôt élevé comme du bétail : parqué dans des enclos sur des douzaines de fermes mal réglementées, dans des conditions parfois insalubres. À partir du moment où ils naissent, ces lions sont destinés à l’abattoir : les parties de leur corps seront vendues comme bibelots sur les marchés asiatiques et leurs os serviront d’ingrédients dans les potions de la médecine traditionnelle chinoise (MTC).
Ce faisant, l’expansion du trafic d’animaux sauvages entre l’Afrique et la Chine, qu’il soit approuvé ou braconné, est en train de décimer les ressources naturelles du continent, alors même qu’il continue à accroître les risques de pandémie future comme celle du Covid-19 en créant les conditions nécessaires pour l’apparition des maladies zoonotiques, qui sont transmises entre les animaux et les êtres humains.
« C’est une question de probabilité », déclare Chris Walzer, directeur exécutif du Programme de santé pour la World Conservation Society (WCS, Société pour la conservation de la vie sauvage) et vétérinaire de la faune sauvage, au magazine Mother Jones. « Vous offrez beaucoup d’opportunités pour les interactions entre humains et animaux, avec beaucoup d’espèces différentes abritant des virus inconnus qui se mélangent à d’autres. »
Les maladies zoonotiques sont celles qui se transmettent entre les animaux et les humains. L’interruption du commerce illégal de la faune protègerait l’héritage naturel de l’Afrique et aiderait en même temps à enrayer la propagation de ces maladies, selon l’African Wildlife Foundation (Fondation pour la faune sauvage africaine).
« Si nous pouvons protéger la faune contre les braconniers, rendre difficile le transport des produits à base d’animaux sauvages, impliquer activement les acteurs locaux essentiels et réduire la demande pour ces produits, les animaux magnifiques de l’Afrique auront une bonne chance de s’en sortir », écrit le Dr Philip Muruthi, responsable scientifique basé au Kenya de la fondation, sur le blog de l’organisation.
Des marchandises de grande valeur
Alors même que la fondation et les autres groupes luttent contre le braconnage, on estime que 8.000 lions sont élevés dans des fermes réglementées par le gouvernement d’Afrique du Sud, qui a établi un quota annuel de 800 squelettes de lion, chiffre qui avait été fixé auparavant à 1.200, avant que le tollé général ne force le gouvernement à le réduire en 2019.
Le squelette intact d’un lion mâle peut rapporter plus de 50.000 rand (environ 3.000 dollars), selon le Conservation Action Trust du Cap (Afrique du Sud). Une fois que le squelette est transporté en Chine, ses os deviennent un substitut pour les os de tigre, qui sont un ingrédient populaire dans les recettes de potion de la MTC qui prétendent tout traiter, depuis l’arthrite jusqu’à l’impuissance.
Les lions sont seulement une composante du gigantesque commerce de faune sauvage entre les pays africains et la Chine. En Afrique du Sud, 33 espèces d’animaux sauvages, y compris des lions, des guépards, plusieurs espèces d’antilope, des girafes, des zèbres, des rhinocéros noirs et des rhinocéros blancs ont été reclassés comme animaux d’élevage, selon Africa Geographic. Les ânes aussi sont abattus en grand nombre, et leur peau sert à fabriquer l’ejiao, substance gélatineuse utilisée dans les potions de la MTC.
Que ce soit pour des cornes de rhinocéros (30.000 dollars la livre), des écailles de pangolin (1.500 dollars la livre) ou de l’ivoire d’éléphant (1.100 dollars la livre), d’énormes sommes d’argent changent de main sur les marchés noirs aussi bien que les marchés légitimes, lorsque les Africains jouent le rôle de fournisseurs pour le marché chinois affamé, selon le Council on Foreign Relations.
Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, et l’épidémie précédente de SARS, la Chine fait l’objet d’un examen minutieux pour son penchant pour les viandes d’animaux sauvages et les marchés appelés « humides » qui les fournissent. Lorsque le Covid-19 s’avéra provenir d’un marché humide de Wuhan, la Chine céda à la pression internationale et le ferma.
Depuis lors, la Chine a retiré les écailles de pangolin de sa liste d’ingrédients approuvés pour la MTC. Toutefois, on ne sait pas pendant combien de temps cette interdiction existera, déclare Tim Davenport, directeur du programme africain de la WCS basé en Tanzanie.
« Il semble probable que les écailles de pangolin resteront sur la liste des annexes de la MTC, déclare M. Davenport à ADF. Elles listent certaines drogues qui ne font pas partie de la pharmacopée, et peuvent inclure les écailles de pangolin. Le problème pourrait toujours résider dans les détails. »
Un commerce visible
Une grande partie du trafic d’animaux sauvages entre l’Afrique et la Chine se passe sous le nez du public, sous forme d’envois quotidiens effectués par les transporteurs internationaux tels que DHL, le plus grand livreur de colis du monde.
À cause de l’énorme volume de trafic commercial et de colis entre la Chine et le reste du monde, le transport des parties d’animaux sauvages est un processus simple, selon le rapport sur le trafic du site de surveillance « In Plane Sight: Wildlife Trafficking in the Air Transport Sector » [Des vols en pleine vue : le trafic des animaux sauvages dans le secteur des transports aériens].
« Beaucoup de sociétés de ce type, ainsi que les lignes aériennes et les entreprises de transport, pourraient faire beaucoup plus pour résoudre ce problème, déclare M. Davenport. Le commerce illégal de la faune sauvage n’existerait pas sans le transport des “marchandises”. »
Il existe aussi un obstacle financier à l’élimination du commerce de la faune entre l’Afrique et la Chine. Depuis l’épidémie de Covid-19, les dirigeants africains ont été de plus en plus forcés à remanier leurs budgets nationaux, en donnant priorité aux soins de santé plutôt qu’à d’autres efforts tels que la conservation de la faune sauvage.
Le Conseil d’affaires d’Afrique de l’Est estime que la chute de l’économie associée au Covid-19 pourrait coûter plus de 5,4 milliards de dollars à l’industrie régionale du tourisme lié à la faune. Pour un surcroît de complexité, les confinements ont provoqué la mise à pied de nombreuses personnes, ce qui a rendu plus attrayant l’argent de la collecte et des ventes illégales de la faune, selon l’African Wildlife Foundation.
En fin de compte, la responsabilité pour mettre fin au commerce des os de lion, des ormeaux et autres animaux sauvages entre l’Afrique et la Chine incombe aux Africains, déclare Kaddu Sebunya, PDG de la fondation.
« Les routes commerciales remontent aux décisions prises sur le terrain », déclare M. Sebunya à la conférence sur le commerce international de la faune sauvage. « Notre expérience montre que le leadership à tous les niveaux, depuis les familles qui vivent dans les zones riches en faune sauvage jusqu’aux chefs d’état, est un ingrédient essentiel. »