PERSONNEL D’ADF
Alors que l’épidémie de Covid-19 se propage sur le continent africain, certains pays dépensent plus pour le remboursement de leurs dettes que pour les soins de santé.
Le Ghana dépense cinq fois plus en paiement d’intérêts qu’en soins de santé. Le Nigeria verse trois fois plus, tandis que le Kenya verse deux fois plus, selon une étude conduite par Renaissance Capital.
Une grande portion des dettes africaines sont liées au projet chinois de la Nouvelle route de la soie (One Belt, One Road, OBOR), qui finance les routes, les chemins de fer et les ports pour développer le commerce. Les emprunts africains liés à OBOR se sont élevés à environ 146 milliards de dollars entre 2000 et 2017. La Chine est le plus grand créancier de l’Afrique.
« Puisque les gouvernements de l’Afrique subsaharienne n’ont pas les ressources suffisantes pour mettre en œuvre les grands programmes de stimulus fiscal, nous pensons qu’il est crucial pour les gouvernements de suspendre le paiement des intérêts », déclare Yvonne Mhango, analyste chez Renaissance Capital, à Quartz Africa. « La disponibilité de ces fonds aiderait à alléger l’impact de la crise [du Covid-19]. »
Parmi les pays africains, l’Angola a reçu les plus grandes sommes liées aux prêts chinois entre 2000 et 2017, soit un peu plus de 43 millions de dollars. Elle est suivie par l’Éthiopie, avec près de 13,8 millions, le Kenya avec 8,9 millions et la Zambie avec plus de 8,6 millions, selon l’institut de recherche Chine-Afrique de Johns Hopkins University.
Le président français Emmanuel Macron est parmi les leaders mondiaux qui ont caractérisé l’annulation des dettes chinoises comme une obligation morale pendant la pandémie, parce que des vies humaines sont en jeu.
Le gouvernement chinois a annulé quelques petits emprunts sans intérêt, mais l’élimination des dettes massives liées à OBOR et à d’autres initiatives aiderait les pays africains à renforcer leur infrastructure de santé à un moment crucial.
Le ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré qu’il répondrait aux demandes d’allègement des dettes des pays sur une base individuelle seulement, car les banques chinoises détiennent un collatéral dans les institutions et les entreprises africaines, qui interviendrait en cas de non-remboursement. La viabilité d’un grand nombre de projets OBOR est incertaine à cause du manque de transparence concernant ces emprunts.
« À mesure que les sociétés chinoises pénètrent de plus en plus les marchés émergents, l’application imparfaite des règlements et les mauvaises pratiques commerciales transforment [OBOR] en route mondiale des problèmes », écrit Jonathan Hillman du Centre pour les études stratégiques et internationales. « Une longue liste de sociétés chinoises ont été exclues de la Banque mondiale et autres banques multilatérales de développement pour raison de fraude et de corruption, y compris l’inflation des coûts, les pots-de-vin et tout le reste. »
Certains pays africains ont fait savoir qu’ils ne souhaitaient plus accepter d’augmentation de leurs dettes chinoises.
Il y a deux ans, la Sierra Leone abandonna les plans de construction d’un aéroport de 318 millions de dollars, financé par la Chine, hors de la capitale de Freetown. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international avaient chacun averti que le projet pourrait faire peser un fardeau de dette inutile sur la Sierra Leone.
« À la suite d’une considération et d’une diligence sérieuses, le gouvernement pense [qu’il] serait peu rentable de commencer la construction du nouvel aéroport alors que l’aéroport existant est très sous-utilisé », a déclaré le ministre des Transports et de l’Aviation de Sierra Leone dans une lettre adressée au directeur du projet.
Il pourrait être difficile de persuader la Chine à annuler ces dettes vertigineuses, mais certains déclarent qu’elle pourrait être forcée de le faire si elle souhaite entretenir des relations positives avec les pays africains.
« La Chine peut y répondre en convertissant ses créances… sous forme d’outil pour conserver ses partenaires africains », déclare Angelo Izama, analyste chez le groupe Leo Africa Institute basé en Ouganda. « Si le mouvement en faveur de l’allègement des dettes prend une dimension continentale, [la Chine] n’aura pas d’autre choix. »