PERSONNEL D’ADF
Alors que le nombre de cas positifs de Covid-19 continue à croître, les pays africains reconsidèrent l’engagement de la Chine sur le continent. Ils demandent un allègement de leurs dettes paralysantes et se rendent compte des relations tendues entre leurs citoyens et le million d’expatriés chinois qui sont estimés vivre dans le continent, après les rapports généralisés de mauvais traitement des Africains de la part de la Chine, en réponse au Covid-19.
Afin de déterminer ce qui pourrait advenir des relations entre l’Afrique et la Chine, il suffit de considérer la Zambie, qui a du mal à supporter le fardeau de ses dettes à l’égard de la Chine, dettes qu’elle ne pourra jamais rembourser selon l’expert zambien Emmanuel Matambo. M. Matambo fait partie du Southern Voices Network for Peacebuilding (réseau des voix du Sud pour la construction de la paix) au Centre Woodrow Wilson de Washington, D.C.
« La plupart des événements qui se sont produits en Zambie ne se sont pas encore produits ailleurs sur le continent, même en ce qui concerne les désillusions à propos des Chinois ou le désenchantement éprouvé par le grand public », a déclaré M. Matambo dans une interview avec le Centre Wilson en décembre 2019.
La Zambie possède 17,3 millions d’habitants ; sa richesse est basée sur les mines de cuivre et de charbon, et elle est l’un des pays africains qui a des relations de longue date avec la Chine. Elles remontent en effet à 1964, l’année où la Zambie a obtenu son indépendance.
Cette relation longue et contentieuse avec la Chine signifie que les simples citoyens zambiens font très attention aux liens entre les deux pays.
« Les autres pays africains peuvent apprendre quelque chose des relations entre la Zambie et la Chine : le fait que l’accord sans réserve de prêts aux économies africaines faibles pourrait avoir des implications massives pour la démocratie africaine », déclare M. Matambo dans une interview avec ADF.
En près de 15 ans d’investissements intensifs, la Chine a alloué des milliards de dollars à la Zambie, notamment en créant le premier district chinois exonéré d’impôts en Afrique. L’ampleur des investissements chinois en Zambie, ainsi que les dizaines de milliers de ressortissants chinois qui y vivent, a suscité une critique populaire de la part de certains Zambiens : leur pays est en fait une colonie chinoise.
« Une perception existe chez les Zambiens, selon laquelle notre gouvernement est prisonnier de la nation chinoise, à cause des prêts que nous avons acquis, et donc nous ne pouvons rien faire contre les ressortissants chinois ou leurs entreprises », écrit le critique Kalima Nkonde dans le Lusaka Times en 2018.
En avril, la dette extérieure de la Zambie était estimée à 11,2 milliards de dollars, dont la moitié était détenue par la Chine, bien que les économistes pensent que le rapport réel pourrait être plus élevé. La moitié des recettes fiscales de la Zambie sont affectées au remboursement des dettes, selon The Economist. Et pareillement à d’autres nations qui font face à ce que certains appellent le « piège de l’endettement », les emprunts chinois de la Zambie sont souvent liés à une infrastructure cruciale, notamment l’aéroport international Kenneth Kaunda de Lusaka, capitale de la Zambie. Ceci transforme tout risque de non-paiement en menace pesant sur la souveraineté nationale.
Comme ses voisins, la Chine affronte un problème double : protéger ses habitants contre une épidémie de Covid-19 qui se propage, et rembourser ses énormes dettes à la Chine, qui jusqu’à présent a refusé d’accorder un répit général sur le continent, contrairement au Fonds monétaire international et à la Banque mondiale.
Trevor Hambayi, économiste et associé principal à l’organisation non gouvernementale Development Finance Associates basée à Lusaka, déclare que la Zambie souffrait déjà : suffoquée par ses dettes, elle épuisait ses réserves de change et souffrait d’une baisse du cours du cuivre et d’une sécheresse, bien avant que le Covid-19 ne se manifeste.
« Les dettes chinoises de la Zambie seront toujours difficiles à évaluer comme modèle, tant que le voile de la transparence ne sera pas levé de ces contrats de financement. Ils ont été drapés dans le secret », déclare M. Hambayi à ADF. « Le côté positif du Covid, c’est qu’il offre au pays une certaine influence pour renégocier ses dettes envers la Chine. »
Les élections zambiennes de 2021 joueront aussi un rôle dans les relations futures avec la Chine, déclare M. Hambayi.
Il dit que l’élection sera « un facteur déterminant pour la stratégie économique que le pays suivra afin de se rétablir potentiellement de la récession imminente, à la suite de Covid ». En outre, les relations futures avec la Chine dépendront de l’ampleur de son fléchissement concernant l’étranglement de l’infrastructure financée, déclare-t-il.
« Ce sera une finale éco-politique qui sera jouée », selon M. Hambayi.
La combinaison de l’économie et du Covid-19 ajoute encore plus de tension aux relations sino-zambiennes. Les nombreuses années de conflit entre les chefs d’entreprise chinois et les employés zambiens ont conduit à une aggravation au printemps, avec la diffusion de vidéos virales montrant des Africains vivant dans la province chinoise de Canton expulsés de leur maison et, dans certains cas, forcés à dormir dans la rue.
De ce fait, il est probable que les relations entre la Zambie et la Chine constitueront un problème majeur l’an prochain.
« Il est probable que les opposants tireront profit de cela, et je prédis davantage de rhétorique antichinoise de leur part », a déclaré Shebo Nalishebo, statisticien économique zambien, à Quartz Africa.
Le petit Parti républicain progressif déclare clairement sa position sur cette question. Son slogan est : « Dis non à la Chine ».
Selon The Guardian, le rappeur zambien PilAlto a exprimé son opposition à la Chine dans les paroles d’une chanson placée sur Twitter en automne dernier : « Les routes appartiennent à la Chine. Les hôtels sont pour les Chinois. Les élevages de poulets sont chinois. Même les briques sont chinoises. »
Alors que la Zambie poursuit son chemin actuel pour traverser l’ère du Covid-19 et affronter ses relations futures avec la Chine, elle offre un bon exemple à ses voisins du continent, qui affrontent déjà ou affronteront bientôt un destin similaire, déclare M. Hambayi.
« Pour les autres pays africains, la leçon est la suivante : dans quelle mesure pouvons-nous redéfinir l’endettement futur envers la Chine pour faire face aux défis uniques affrontés sur le continent, sans accepter aucun financement qui diluerait la souveraineté économique du continent », déclare-t-il.