Le terrain accidenté du Sahel est propice pour recruter les jeunes. Les groupes et les gouvernements doivent offrir des alternatives.
PERSONNEL D’ADF
La vie est dure dans une grande partie du Sahel. Les Nations unies estiment que 80 % environ de la terre arable du Sahel est dégradée. La sécheresse et les inondations deviennent plus longues et plus fréquentes, ce qui déstabilise la production alimentaire. C’est l’une des plus pauvres régions du monde, où 44 % des enfants n’ont pas accès à l’éducation primaire. Seulement un tiers de la population peut lire et écrire.
Hiroute Guebre Sellassie, envoyée spéciale du secrétaire général des Nations unies pour le Sahel, déclare que les gouvernements de la région doivent investir des sommes considérables pour faire face aux menaces croissantes de sécurité, ce qui ne laisse pas beaucoup d’argent pour les problèmes qui affectent les jeunes. Mme Guebre Sellassie déclare à Associated Press que ce problème est aggravé du fait que les trafiquants de stupéfiants travaillent avec les groupes armés et les terroristes qui sont payés en échange d’un passage sûr.
Dans la région de Tillabéri (Niger), les gens ont deux raisons pour rejoindre un groupe extrémiste. Les jeunes hommes au chômage se sentent inutiles. Comme le déclare un nomade peul à International Alert, ces jeunes « iront même jusqu’à s’allier au diable si cela pourrait donner un sens à leur vie ».
Pour ces jeunes bergers, l’alliance avec les extrémistes peut ne pas conduire à la prospérité, mais elle permet de protéger leur bétail contre les bandits et les autres groupes ethniques.
Dans toute l’Afrique, les jeunes forment la charpente des groupes extrémistes. « Al-Shebab » veut dire les jeunes, ce qui n’est pas une coïncidence. Les groupes extrémistes utilisent les jeunes dans les attaques pour montrer leur brutalité et leur détermination de gagner. Lors des raids dans lesquels les armes légères sont beaucoup utilisées, les jeunes sont des combattants fiables.
Comme l’écrit la chercheuse/éducatrice Jessica Trisko Darden dans une étude de 2019, « à la longue, le recrutement des jeunes dans les groupes armés peut fournir la fondation des conflits futurs ». Mme Darden et d’autres chercheurs ont conclu que la réponse ne consiste pas à essayer de réformer les jeunes qui sont déjà intégrés dans les groupes extrémistes. Elle consiste avant toute chose à les empêcher de rejoindre de tels groupes.
Pour conduire leur étude de 2017 intitulée « Nous espérons et nous luttons », les organisations non gouvernementales (ONG) Think Peace et Mercy Corps ont interviewé de jeunes membres des groupes armés, des jeunes non violents et des chefs communautaires dans les zones de conflit. Leur but était de découvrir pourquoi certains jeunes rejoignent les groupes armés alors que d’autres résistent à la violence. Voici les résultats de l’étude :
Le soutien communautaire aux groupes armés encourage les jeunes à commettre des actes de violence par devoir ou par respect. Que ces groupes soient pour le gouvernement ou contre le gouvernement, ou qu’ils soient des extrémistes violents, leurs membres déclarent qu’ils ont le soutien de leur communauté et qu’ils partagent leurs valeurs. Cette acceptation signifie que la participation à la violence n’est pas considérée comme aberrante ou anormale. Comme le note un membre d’un groupe anti-gouvernemental, « ma source de motivation est le soutien que je reçois de ma communauté pour protéger les gens et les biens ».
La perception de l’exclusion communautaire encouragée par le gouvernement, en fonction de la géographie et de l’identité ethnique, nourrit la participation aux groupes armés anti-gouvernementaux. Lorsque les jeunes pensent que leur gouvernement les a négligés ou maltraités, ils sont plus à-même de rejoindre les groupes extrémistes ou anti-gouvernementaux.
Les jeunes gens disent qu’ils sont poussés à rejoindre les groupes anti-gouvernementaux du fait de leur expérience avec l’injustice, notamment les abus et la corruption. Certains mentionnent les abus directs commis par les soldats ; d’autres mentionnent leurs expériences liées à l’extorsion gouvernementale, ou leur perception de celle-ci. Une étude de 2018 conduite par International Alert déclare que les jeunes du Sahel ont souvent éprouvé personnellement les carences de l’état lors de disputes concernant la terre pendant la saison des pluies. « Étant donné l’inaction de l’état, un sentiment d’abandonnement et une perte graduelle de confiance dans les autorités » peuvent pousser les jeunes à prendre les armes pour se protéger eux-mêmes, selon l’étude.
Certains jeunes, qui cherchent la stabilité à long terme d’un emploi avec le gouvernement, pensent que s’ils rejoignent des groupes armés cela pourrait les aider à rejoindre les forces armées. D’autres études montrent que les jeunes, qui font face à de piètres perspectives d’emploi, rejoignent les groupes extrémistes pour être reconnus et pour protester. Les emplois d’agriculteur et de berger « ne procurent souvent plus une respectabilité sociale alignée aux normes existantes », selon un rapport de l’Institut interrégional de recherche des Nations unies sur la criminalité et la justice. « Pour les jeunes hommes, ceci peut facilement conduire à une remise en question de la façon dont la société est organisée économiquement et moralement. L’adhésion à des groupes extrémistes violents peut apporter une solution lorsque la recherche de la renommée éclipse » les autres facteurs.
Dans son rapport de 2019 pour l’American Enterprise Institute, Mme Darden déclare que les jeunes sont attirés vers les groupes extrémistes par une série de motivations, notamment la recherche d’une identité basée sur le groupe, l’attrait idéologique d’un groupe et l’exclusion réelle ou ressentie de la société. Son rapport suggère notamment d’analyser, au-delà des jeunes hommes, les jeunes filles et les jeunes femmes pour confronter leur radicalisation et leur recrutement.
FOCUS SUR LES RÉSEAUX SOCIAUX
Mercy Corps déclare que les programmes visant à empêcher les jeunes de rejoindre les groupes extrémistes doivent se concentrer sur les réseaux sociaux, et non pas sur la démographie. Puisque le recrutement est souvent enraciné dans la promotion d’une identité collectiviste soudée, sa prévention devrait se concentrer sur les alternatives basées dans la communauté : l’intégration des jeunes dans les groupes pacifiques, les programmes de mentorat et la création d’opportunités pour les jeunes afin qu’ils développent une identité individuelle et des connexions familiales positives.
Mercy Corps déclare que les programmes de prévention du recrutement devraient soutenir, éduquer et s’associer aux « acteurs locaux pacifiques », notamment les épouses, les mères et les jeunes. Les voix communautaires de confiance sont celles qui offriront le plus probablement des modèles positifs et des points de vue alternatifs. Par exemple, les chefs de tribu et les imams locaux sont très utiles pour façonner les opinions. Les associations de mères peuvent être particulièrement utiles pour endiguer l’attrait des extrémistes. Mercy Corps déclare aussi qu’il faut offrir une place aux anciens combattants pour qu’ils servent de champions de la prévention et de mentors au sein des communautés et des universités. L’ONG déclare aussi que les groupes et les gouvernements doivent accroître le soutien politique et financier des programmes qui font face aux carences gouvernementales qui alimentent l’extrémisme.
Une étude d’International Alert conduite en 2018 s’est concentrée sur les jeunes qui prenaient les armes au Burkina Fao, au Mali et au Niger. Cette étude, intitulée « Si les victimes deviennent des malfaiteurs », montre que l’extrémisme violent au Sahel central est principalement une réponse aux conflits locaux, « et que son lien avec le djihadisme international est plus rhétorique que réel ».
Dans son rapport de 2017, Mercy Corps propose cinq recommandations pour empêcher les jeunes de rejoindre les groupes extrémistes :
Concentration sur la prévention de la violence et l’amélioration de la sécurité au niveau local plutôt que de cibler les jeunes soi-disant « en péril ». De nombreux jeunes membres des groupes armés ont des liens sociaux profonds avec leur communauté, ce qui suggère qu’ils ne sont pas vraiment marginalisés. Les interventions visant à empêcher la violence doivent être inclusives et s’adresser à l’ensemble de la communauté plutôt que cibler des groupes ou des personnes spécifiques.
Création de plans inclusifs et collaboratifs qui montrent que le processus de paix est transparent et répond aux besoins de la communauté. Un processus de paix dépend de la satisfaction des attentes des jeunes. Si le plan inclut ou exclut certains groupes ou certaines régions, cela doit sembler légitime et équitable. Les groupes responsables pour gérer le processus de paix doivent être polyvalents et doivent pouvoir répondre aux changements. Ils doivent s’assurer que les groupes armés qui ne sont pas inclus dans le processus de paix seront pris en compte à l’avenir. Les groupes participant au processus de paix doivent communiquer avec les habitants des zones de conflit pour s’assurer qu’ils connaissent les conditions des accords éventuels et doivent identifier et résoudre les autres facteurs du processus.
Développement de plans de sécurité au niveau des communautés pour spécifier la transition entre les groupes armés et la gestion de la sécurité conduite par l’état. Très souvent, les groupes armés non étatiques bénéficient d’un grand soutien auprès de la communauté et les approches anti-insurrectionnelle traditionnelles peuvent avoir un effet nuisible. Si les préoccupations de sécurité de la communauté et les abus passés commis par les soldats ne sont pas adressés, cela empêchera la mise en œuvre d’un plan de paix.
Amélioration de la gouvernance locale grâce à une meilleure livraison des services et une meilleure prise de décision qui tienne compte des idées et des réactions locales. Ces idées doivent inclure celles des jeunes.
Identification et création d’opportunités pour les jeunes, afin de leur permettre d’obtenir un statut social sans rejoindre un groupe armé. Les jeunes nécessitent des façons non violentes d’être reconnus au sein de leur communauté. Ils ont besoin d’un emploi utile, stable et axé sur la demande, qui élargira leurs horizons au-delà des emplois limités des forces armées et du service civil. La participation aux activités sociales, aux projets d’engagement civique et aux groupes de mobilisation peut aussi aider les jeunes à se sentir reconnus. Mais de tels groupes doivent être liés à des changements réels dans la fourniture des services de l’état et dans l’inclusion.
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