Les Émissions De Radio, Les Groupes Whatsapp, Les Programmes Parascolaires Et Même Les Bandes Dessinées Ciblent Les Groupes Radicaux
PERSONNEL D’ADF
L’ appli de réseaux sociaux TikTok vise les adolescents qui créent et partagent des vidéos de 15 secondes. Elle possède 500 millions d’utilisateurs dans le monde, ce qui en fait l’une des applis les plus populaires de la planète. L’EIIL comprend son potentiel comme outil de propagande.
En octobre 2019, TikTok a commencé à éliminer les comptes que le groupe extrémiste utilisait pour recruter des adhérents. Le Wall Street Journal signale que les vidéos présentaient des cadavres que l’on faisait défiler dans les rues, ainsi que des combattants de l’EIIL armés de fusils.
TikTok, qui appartient à la société chinoise ByteDance, déclare qu’elle a interdit en permanence de tels comptes et qu’elle élabore des moyens de contrôle pour déceler les activités suspectes. Les vidéos de l’EIIL ont été découvertes par Storyful, société de renseignement sur les réseaux sociaux. Un porte-parole de Storyful déclare que le « volume considérable » du contenu de TikTok complique les efforts de la société pour s’auto-réglementer.
Il y a des années, les extrémistes recrutaient leurs partisans en téléchargeant de longs discours furieux et des sermons de leurs religieux sur l’Internet, quelque chose qui attirait peu les jeunes habitués aux vidéos courtes. Les extrémistes ont adapté et personnalisé leurs messages pour cibler leur auditoire, en affichant des exposés remplis de violence, d’armes à feu et de promesses d’aventure. Aujourd’hui, les extrémistes utilisent l’Internet pour diffuser leur propagande, collecter des fonds, recruter de nouveaux membres et communiquer avec les activistes.
« Aujourd’hui, 90 % des activités terroristes sur l’Internet utilisent des outils des réseaux sociaux », déclare Evan Kohlmann, expert en cyberterrorisme, au Washington Post. « Ces forums agissent comme des pare-feu virtuels qui aident à protéger l’identité de ceux qui y participent, et ils offrent aux abonnés la possibilité d’un contact direct avec les représentants terroristes pour leur poser des questions et même pour contribuer au cyber-djihad et pour le soutenir. »
Les adversaires de l’extrémisme ont des difficultés pour lutter contre de tels messages. La fermeture des sites Internet des extrémistes tels que les pages de Facebook n’est pas une réponse : les extrémistes se relocalisent simplement sur un autre site ou une autre page de réseau social. Les solutions à long terme peuvent provenir uniquement des projets et des programmes qui combattent l’extrémisme violent, appelés aussi programmes CVE.
LES RÉSEAUX SOCIAUX
Les programmes CVE utilisent des mesures positives et négatives. Les mesures positives incluent la production de contenu pour contrer les messages extrémistes et défier la propagande extrémiste. Les stratégies négatives peuvent bloquer, filtrer ou éliminer le contenu extrémiste.
Une étude de 2016 intitulée « Le rôle des réseaux sociaux/en ligne pour lutter contre l’extrémisme violent en Afrique de l’Est » note qu’une stratégie de lutte contre les récits extrémistes possède trois composantes : le message, les messagers et les médias.
Le message devrait être multidimensionnel, imaginatif et suffisamment polyvalent pour l’adapter à des groupes spécifiques. Il peut être lié à des narrations existantes. Le chercheur William Robert Avis déclare qu’un message qui fait appel aux connexions émotionnelles et utilise l’humour avec soin peut avoir du succès.
Le messager doit être considéré comme crédible par l’auditoire cible. Les responsables de l’état, les chefs religieux et les radicaux réformés peuvent être des messagers efficaces, selon l’auditoire. Les radicaux réformés ont été sous-utilisés à cet égard parce que certains responsables gouvernementaux pensent que les radicaux doivent être punis.
Les médias nécessitent une distribution et une diffusion soigneuses du message de riposte. En Afrique de l’Est, la radio est un média essentiel, mais d’autres formats plus récents sont aussi utilisés, par exemple les réseaux sociaux et les applis de communication pair-à-pair telles que WhatsApp.
Ces messages de riposte sont devenus cruciaux pour empêcher la conversion extrémiste. Les actes terroristes sont devenus plus difficiles à prédire, ce qui rend inadéquates les techniques traditionnelles des forces armées et du maintien de l’ordre. Les extrémistes ne sont plus limités à agir au sein de groupes hiérarchiques organisés. Dans son rapport de 2012 intitulé « Les loups solitaires dans le cyberespace », le chercheur Gabriel Weimann se concentre sur les extrémistes qui travaillent seuls.
Le terrorisme du loup solitaire est la forme de terrorisme qui enregistre la plus forte croissance, déclare M. Weimann. « La vraie menace provient maintenant de la personne seule, du “loup solitaire” qui vit juste à côté, qui s’est radicalisé sur l’Internet et qui complote pour frapper dans l’ombre. »
Dans une étude de 2013, les chercheurs Stephen White et Kieran McEvoy ont déterminé qu’une approche de partenariat réunissant les forces de maintien de l’ordre, les agences de renseignement et d’autres organismes statutaires et organisations non gouvernementales (ONG) basées dans les communautés « ayant une crédibilité communautaire » est plus à-même de conduire à des CVE efficaces. D’autres chercheurs ont noté que les ONG ne devraient pas seulement être considérées comme des organisations formelles : elles doivent aussi inclure des groupes et des personnes au niveau communautaire, par exemple les parents, les femmes, les enseignants, les mentors, les coaches et les chefs religieux.
« Les principes d’un partenariat substantiel dans ce domaine doivent inclure le respect mutuel, la reconnaissance des points forts respectifs, des aptitudes et de l’expertise entre les agences et les organisations basées dans les communautés, et un désir, dans des circonstances appropriées, de prendre des risques calculés pour s’assurer que les groupes soi-disant difficiles à atteindre soient contactés par ceux qui possèdent les connaissances locales et les capacités techniques requises », concluent MM. White et McEvoy.
Les experts ont passé des années à rechercher ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas pour contrecarrer la radicalisation. Ils déclarent que les résultats sont difficiles à mesurer. Par exemple, si rien ne se passe, il est difficile de savoir si une certaine action a permis d’empêcher que quelque chose se produise.
Une étude de 2014 intitulée « Empêcher et contrer la radicalisation des jeunes dans l’Union européenne » déclare que la lutte contre le terrorisme ne devrait pas viser exclusivement les communautés musulmanes, parce que cela risque de les aliéner. Une étude de 2013 conduite par le Centre international pour la lutte contre le terrorisme a noté que le contre-terrorisme devrait se concentrer sur le renforcement et la responsabilisation des communautés d’où pourraient provenir les radicaux et les terroristes.
Dans une étude de 2014 intitulée « Prévention de l’extrémisme violent dans les pays du tiers monde », les chercheurs Magnus Ranstorp et Peder Hyllengren déclarent qu’il n’est pas nécessaire que les programmes CVE soient high-tech.
« Il existe plusieurs bons exemples et plusieurs modèles inspirés qui indiquent comment la société civile peut contrecarrer l’extrémisme islamique violent, déclarent ces chercheurs. Ceci peut être accompli, par exemple, par des initiatives conduites et dirigées par les femmes, par le renforcement des initiatives de jeunes ou par des moyens innovants utilisant la culture populaire et locale, et par l’élaboration et le déploiement de messages spécifiques pour contrer le récit de l’extrémisme. »
Les femmes et les jeunes sont essentiels pour les CVE parce qu’ils ont beaucoup à perdre. Les femmes, les jeunes et même les enfants ont été spécialement recrutés et formés comme kamikazes. Ils ont été influencés par les radicaux qui préconisent la haine et l’intolérance.
« Les femmes et les jeunes ne sont pas seulement les groupes les plus vulnérables face à l’extrémisme et la violence ; ce sont aussi les mieux placés pour combattre l’extrémisme dans la communauté », déclarent les chercheurs.
LES LEÇONS DE LA SOMALIE
Pendant la majeure partie du 21ème siècle, la Somalie a été un terrain d’essai pour les méthodes CVE. Les femmes y jouent un rôle crucial pour prévenir l’extrémisme, à cause de leur fonction respectée de mère à la maison. Elles ont une position inégalée pour observer les changements de comportement inquiétants de leurs enfants.
Les femmes peuvent être des défenseurs importants pour « démystifier la vie des terroristes : pour parler ouvertement des épreuves de la séparation, de l’insécurité, de la perte de revenus, de l’anxiété liée à la clandestinité », conclut le Centre sur la coopération mondiale contre le terrorisme. Contrairement à la perception des femmes musulmanes comme victimes silencieuses, les femmes devraient être considérées comme des défenseurs influents des mesures anti-extrémistes, déclare le centre.
Bien que la société somalienne soit traditionnellement dominée par les hommes, les femmes ont une influence considérable à la maison. Certaines se sont opposées ouvertement à la violence prônée par les groupes extrémistes. La déclaration d’une épouse du chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawahiri exhortant les femmes à élever leurs enfants pour qu’ils deviennent des djihadistes et des martyrs s’est heurtée à une résistance en Somalie. Les Somaliennes ont rejeté largement les instructions similaires provenant d’al-Shebab.
« Les groupes de Somaliennes ont été très sensibilisés par le recrutement de leurs enfants par al-Shebab et se sont aussi opposés au plaidoyer d’al-Qaïda en faveur du martyre », signalent MM. Ranstorp et Hyllengren.
Dans son rapport « Les Somaliennes et la consolidation de la paix », la chercheuse Faiza Jama déclare : « Nous demandons aux mères somaliennes d’élever leurs enfants dans la tolérance et la fraternité et de leur enseigner le droit chemin de l’Islam, qui est très éloigné de l’extrémisme et de la violence ».
Dans une étude de 2018 intitulée « Prévention de l’extrémisme dans la Corne de l’Afrique », l’ISS (Institute for Security Studies, Institut pour les études sur la sécurité) déclare que les projets CVE qui ont du succès « se concentrent fortement sur la promotion de la coopération et de la participation, ainsi que sur la promotion de la tolérance et du multiculturalisme ».
« En Somalie, où les conflits entre les clans et la marginalisation ont été identifiés comme agents de l’extrémisme violent, l’accent est mis sur le développement d’une compréhension entre les différents groupes religieux et ethniques », selon le rapport de l’institut.
En plus de la Somalie, les recherches de l’institut se sont concentrées sur les projets CVE au Kenya, en Tanzanie et dans l’Ouganda. Dans tous ces 4 pays, la pauvreté et le manque d’emplois sont identifiés comme des facteurs de l’extrémisme violent. L’étude déclare qu’il n’existe pas de plan CVE qui puisse fonctionner sans adresser ces deux problèmes.
« Il est difficile d’affronter les impacts si vous ne pouvez pas fournir d’alternatives aux gens, selon l’étude. Les gens doivent se nourrir et doivent travailler et sentir qu’ils sont productifs. La subsistance et les enjeux économiques font partie intégrante de tout projet [CVE]. »
Les Nations unies ont aussi élaboré un plan pour contrecarrer l’extrémisme violent. Ce plan consiste à promouvoir le dialogue et la prévention des conflits, à renforcer la bonne gouvernance, les droits humains et l’état de droit, à engager les communautés, à responsabiliser les jeunes, à promouvoir l’égalité des sexes et à responsabiliser les femmes, à améliorer l’éducation, la formation et l’emploi, et à utiliser la communication stratégique, y compris l’Internet et les réseaux sociaux.
LES BANDES DESSINÉES ET LES GROUPES WHATSAPP
En plus de son analyse des programmes CVE dans la Corne de l’Afrique, l’ISS a publié une étude similaire concernant le Burkina Faso, le Cameroun, le Tchad, le Mali, le Niger et le Nigeria. Cette étude conclut que la radio reste l’un des moyens les plus efficaces pour promouvoir l’éducation et le partage des idées dans le continent. L’étude indique aussi que les réseaux sociaux représentent un outil d’enseignement de plus en plus efficace, en plus de « l’utilisation des arts, y compris la musique, du théâtre et des médias visuels tels que les dessins animés ». L’étude fait part notamment de trois histoires à succès :
• Le Cameroun, observe l’institut, est particulièrement innovant. Dans un projet, il est demandé à des musiciens camerounais populaires de créer une musique contenant des messages positifs. Dans un autre, des bandes dessinées imprimées en français et en arabe racontent les histoires de trois jeunes amis et les défis qu’ils affrontent. Ces histoires expliquent les choix qu’ils font, et comment ces choix affecteraient le reste de leur vie. Les enfants amènent les bandes dessinées à la maison pour que les parents, qu’ils puissent ou non lire, puissent apprendre les mêmes leçons.
• Un projet numérique au Nigeria a demandé aux femmes de tout le pays de créer des groupes WhatsApp et d’inviter 100 autres femmes à rejoindre chaque groupe. Ces groupes servent de plateforme pour discuter des dangers de l’extrémisme violent et des signes précoces de radicalisation dans les familles.
• Dans le Nord du Nigeria, principalement musulman, Michael Sodipo, qui est chrétien, a établi le Réseau de l’initiative de paix pour affronter la radicalisation des jeunes. Son Club pour la paix réunit des élèves d’école et des jeunes de différents milieux religieux et ethniques qui se rassemblent après l’école pour se rencontrer, discuter et jouer au foot. Le Club pour la paix a été créé en 2006 avec 50 membres. Aujourd’hui, il en a plus de 8.000 provenant de quatre états nigérians.
Presque toutes les études CVE incluent un avertissement selon lequel tous les plans CVE doivent avoir une composante permettant de mesurer avec précision les améliorations. L’ISS déclare que les organisations qui travaillent avec les programmes CVE doivent trouver des façons plus efficaces de mesurer les progrès et « de tenir les gouvernements responsables pour leurs obligations concernant la gouvernance, la justice et le développement ».
D’autres études ont conclu que le point le plus faible de la plupart des programmes CVE est la surveillance et l’évaluation.
L’Institut des États-Unis pour la paix note que les tentatives d’évaluation des programmes CVE se heurtent à deux obstacles majeurs : l’impossibilité de « mesurer un négatif » ou de prouver que les activités violentes ou la radicalisation se seraient produites sans programme CVE ; et la prise en compte du grand nombre de variables et de résultats à la suite d’une intervention CVE.