Africa Defense Forum

LA PRUDENCE EST DE RIGUEUR

Avec Les Produits Pharmaceutiques, Les Apparences Sont Trompeuses

PERSONNEL D’ADF

La Kényane Dolphin Anyango découvrit un matin que l’infection qu’elle avait autour de l’œil gauche avait commencé à enfler. Elle savait qu’elle avait besoin d’un médicament pour la traiter mais elle n’avait pas le temps d’aller à l’hôpital. Elle s’est donc rendue dans une pharmacie locale du quartier Kibera de Nairobi et elle a acheté un médicament.

« Après avoir pris ce médicament pendant deux jours, je pensais que l’enflure se résorberait », a-t-elle déclaré à un journaliste de la BBC en 2018. « Malheureusement, l’enflure a empiré. La blessure sur mon visage était tout à fait horrible », dit-elle en se frottant la pommette gauche. « Deux jours après, j’ai amené le médicament à mon médecin. Il m’a dit qu’on m’avait donné un mauvais médicament. Après qu’il m’en ait donné un autre à l’hôpital, j’ai commencé à constater que mon œil s’améliorait. »

Des médicaments illégaux et falsifiés sont en vente à Abidjan (Côte d’Ivoire). REUTERS

À Ouagadougou (Burkina Faso), Moustapha Dieng avait commencé à souffrir de douleurs abdominales et il s’est rendu chez un médecin. Le médecin lui prescrivit un traitement contre le paludisme, mais il était trop cher pour ce tailleur âgé de 30 ans, aussi est-il allé voir un vendeur des rues sans permis pour acheter des comprimés moins onéreux.

Quelques jours plus tard, il fut hospitalisé après être tombé malade à cause des médicaments qu’il avait achetés, selon un reportage de Reuters. Pour une nuit à l’hôpital, M. Dieng dut payer le double du prix du médicament légitime que son médecin lui avait prescrit.

Au Nigeria en 2009, plus de 80 enfants sont morts pour avoir consommé un sirop contre le mal de dents qui avait été contaminé par un produit chimique utilisé dans les liquides de refroidissement des moteurs de voiture, selon Reuters.

Toutes ces histoires indiquent un problème plus grand du continent : les médicaments falsifiés, contaminés, expirés, gâtés et mal conditionnés rendent les gens malades chaque année, et provoquent même des décès.

Les médicaments contrefaits représentent à eux seuls une industrie de 30 milliards de dollars, selon un reportage de novembre 2018 de la BBC. Ce chiffre a presque triplé en cinq ans. Il est estimé que les médicaments falsifiés constituent une industrie de 200 milliards de dollars.

Les médicaments contrefaits peuvent avoir expiré ou être mal étiquetés ou mal conditionnés ; ils peuvent posséder de mauvais ingrédients ou des quantités insuffisantes des ingrédients actifs appropriés. AFP/GETTY IMAGES

Une étude de 2017 conduite par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime qu’un produit médical sur 10 est falsifié ou de mauvaise qualité dans les pays aux revenus faibles ou moyens, selon ENACT, groupe de recherche sur le crime financé par l’Union européenne.

Le problème présente un défi insurmontable pour les autorités africaines, malgré des efforts en cours pour limiter la pénétration de ces produits sur le continent.

LA TAILLE DU PROBLÈME

Les produits pharmaceutiques falsifiés présentent un énorme problème pour un grand nombre de pays africains. Ce problème ne se reflète pas seulement dans l’argent qui proviendrait des ventes non réalisées d’articles légitimes. Il a aussi un impact considérable sur la santé publique. Un rapport de l’ENACT de novembre 2018 indique que les médicaments contrefaits, uniquement relatifs au paludisme, peuvent provoquer jusqu’à 158.000 décès annuels qui pourraient être évités.

De multiples opérations visant à éliminer les médicaments falsifiés vendus dans les rues ont eu lieu récemment, et chacune semble découvrir une grande quantité de produits de contrebande atteignant le continent.

Entre le 31 août et le 14 septembre 2016, les responsables de l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et de l’Institut international de recherche contre les médicaments contrefaits (IRACM) ont lancé l’opération ACIM (Action contre les médicaments contrefaits et illicites). Cet effort a commencé par trois jours de formation à Mombasa (Kenya), puis 10 jours d’interceptions douanières dans 16 ports maritimes de 16 pays subsahariens.

ACIM a intercepté 129 millions d’unités de tous les types de drogue. Parmi celles-ci, 113 millions étaient des médicaments illicites ou contrefaits, notamment près de 250.000 produits vétérinaires, 13 millions de compléments alimentaires et 5.000 dispositifs médicaux.

Les plus importantes interceptions ont été faites au Bénin, au Kenya, en Namibie, au Nigeria et au Togo. Les médicaments saisis comprenaient des antipaludiques, des antibiotiques, des antiinflammatoires, des analgésiques, ainsi qu’environ 2 millions de doses de médicament anti-cancer. Trois quarts de ces médicaments provenaient de l’Inde. Le reste provenait de la Chine.

L’opération de 2016 est la plus récente des quatre opérations conduites par l’OMD et l’IRACM. Avec des saisies similaires organisées en 2014, 2013 et 2012, les autorités se sont emparées de près de 900 millions de produits médicaux contrefaits ou illicites, d’une valeur d’environ 444 millions de dollars.

Mais la statistique la plus étonnante liée à ces opérations est le fait qu’elles représentent seulement 37 jours d’activités policières en quatre ans, et que chacune ciblait seulement entre 15 et 23 ports maritimes.

L’OMS considère différemment les produits médicaux de qualité inférieure et ceux qui sont falsifiés. Les produits inférieurs sont ceux qui ne sont pas conformes à leurs spécifications. Selon ENACT, ils sont considérés « ostensiblement comme des produits médicaux homologués qui ne satisfont pas aux normes de fabrication, de qualité ou de distribution. Les produits médicaux sans licence ou sans permis sont ceux qui n’ont pas été sujets à un processus d’évaluation ou d’approbation par les organismes réglementaires pertinents. »

Les produits falsifiés « cachent intentionnellement leur identité, leur composition ou leur source, ou fournissent des informations mensongères », déclare ENACT. Ceci pourrait signifier qu’ils sont contaminés, qu’ils prétendent faussement avoir un ingrédient actif, ou qu’ils prétendent l’avoir en quantité incorrecte.

COMMENT LUTTER CONTRE LA FALSIFICATION
Alors que des milliers de personnes perdent la vie et que des milliards de dollars sont gaspillés en Afrique à cause des médicaments falsifiés et inférieurs, les entreprises et les gouvernements nationaux examinent un éventail de solutions technologiques pour combattre le problème.

Selon une certaine approche, IBM, géant mondial de la technologie, travaille avec la technologie blockchain pour éliminer les médicaments falsifiés de la chaîne logistique légitime. Cette technologie permettrait d’assurer le suivi des médicaments à chaque étape, depuis la source jusqu’à l’utilisateur final, pour que les consommateurs puissent être assurés que leurs médicaments sont légitimes.

La technologie blockchain est relativement nouvelle et semble prometteuse pour un certain nombre de secteurs, principalement les industries des finances et de la santé. À titre d’exemple, le commerce de la monnaie cryptographique bitcoin dépend de la technologie blockchain.

Une vendeuse travaille dans une pharmacie d’Abidjan (Côte d’Ivoire). REUTERS

De façon générale, la blockchain est « un registre numérique incorruptible de transactions économiques qui peut être programmé pour enregistrer non seulement les transactions financières mais pratiquement tout ce qui a de la valeur », selon Don et Alex Tapscott, auteurs de Blockchain Revolution: How the Technology Behind Bitcoin and Other Cryptocurrencies Is Changing the World [La révolution blockchain : Comment la technologie à la base de bitcoin et des autres monnaies cryptographiques change le monde].

IBM Research à Haïfa (Israël) a développé une méthode d’utilisation de blockchain pour suivre, tracer et authentifier les médicaments, depuis l’entreprise pharmaceutique jusqu’au patient, et à chaque étape intermédiaire. Selon une vidéo produite par IBM, le processus peut vérifier ce qui est livré, par qui, à qui, quand et où il est livré, pour le bénéfice des médecins, pharmaciens et consommateurs africains.

Le processus est basé sur un réseau fiable qui permet aux différentes parties de saisir des informations que seuls les membres autorisés peuvent voir, et qui ne peuvent pas être altérées après avoir été saisies. Pour les commandes de produits pharmaceutiques, ce processus peut :

  • vérifier que les médicaments authentiques sont remis aux personnes autorisées à chaque point de transfert
  • garantir la conformité aux conditions correctes de transport et de transfert de produit
  • assurer qu’un registre conjoint de transactions vérifiées soit toujours disponible

Le processus IBM peut être géré sur téléphone portable et il donne à chaque partie autorisée du réseau une méthode pour initier, compléter, suivre et vérifier les transactions. Voici un exemple de la façon dont le processus fonctionnerait :

  • Un médecin nécessitant un médicament particulier vérifie son prix dans les pharmacies locales et passe commande à l’une d’elle. Le médecin établit le bon de commande et de livraison à l’aide de blockchain.
  • Le pharmacien reçoit la commande et l’enregistre dans blockchain. Il prépare ensuite la livraison et scanne les codes QR et les numéros de série des médicaments pour blockchain.
  • Le pharmacien sélectionne un transporteur parmi ceux disponibles sur le système blockchain. Le transporteur, motivé à bien travailler puisque sa réputation dépend de la satisfaction des clients, se rend chez le pharmacien et est authentifié sur blockchain. Le pharmacien initialise la livraison, le transporteur vérifie les numéros de série et les codes QR et accepte la livraison.
  • Le processus est ajouté électroniquement au registre blockchain après vérification par le fournisseur et le transporteur qu’ils sont physiquement présents dans la pharmacie.
  • Le transporteur part avec le médicament. Si un conteneur réfrigéré est nécessaire, ce conteneur envoie des signaux périodiques et toute alarme est enregistrée dans blockchain pour son analyse future.
  • Le transporteur se rend à la clinique du médecin. Le médecin et le transporteur sont authentifiés à l’aide de blockchain. Le médecin vérifie le numéro du code de suivi de la livraison et scanne et vérifie le code QR du médicament.
  • Le médecin accepte la livraison et le transporteur accepte le transfert, ce qui est ajouté à blockchain. Le médicament est maintenant indiqué à sa destination finale. Le pharmacien est capable de vérifier électroniquement que la transaction a été complétée avec succès.

IBM n’est pas la seule société souhaitant travailler avec les pays africains sur les solutions blockchain. Une société appelée MediConnect a organisé une réunion avec le président ougandais Yoweri Museveni et le Dr Jane Ruth Aceng, ministre de la Santé, en juillet 2019 pour discuter de la solution blockchain qu’elle développe pour identifier les médicaments contrefaits et les éliminer de la chaîne logistique.

Au Ghana, l’entrepreneur Bright Simons a développé le système mPedigree basé sur téléphone. Il fonctionne avec l’aide des sociétés pharmaceutiques pour placer un code unique sur le conditionnement des médicaments. Les consommateurs peuvent texter le code du conditionnement vers un numéro de téléphone préétabli. Ce code est vérifié en fonction des codes authentiques stockés sur le cloud. Le consommateur reçoit ensuite un message de texte indiquant si le médicament est authentique. Depuis lors, ce système a été adopté ailleurs en Afrique et en Asie, selon mHealth Knowledge.

Un agent examine un conteneur rempli de médicaments illégaux et falsifiés saisi par les autorités ivoiriennes à Abidjan. REUTERS

Le Kenya progresse aussi dans l’élaboration d’un processus qui permettra aux consommateurs d’utiliser leur téléphone portable pour déterminer si leurs médicaments sont authentiques, selon Daily Nation. Le processus utilisera des codes envoyés par texte pour identifier la qualité et suivre les médicaments dans la chaîne logistique. Les consommateurs kényans peuvent aussi utiliser les codes SMS pour identifier les pharmacies et les pharmaciens légitimes.

« Le déploiement des nouvelles technologies pour aider à assurer le suivi des médicaments est la seule solution, puisque les criminels nous devancent toujours », déclare Fred Siyoi, directeur pharmacien et administrateur du Bureau des pharmacies et des poisons du Kenya. « Nous devons donc nous appuyer sur la technologie pour les appréhender. »  

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