Le plus petit pays de l’Afrique définit les normes des mers sécurisées et durables
PERSONNEL D’ADF
Alors que les six membres d’équipage seychellois du bateau de pêche Galate dormaient en mer au Sud-Est de l’île de Mahé, ils n’auraient dû avoir d’autre souci que de s’affairer le lendemain à remonter les thons pêchés dans l’océan Indien.
Néanmoins, des bandits armés rodaient en mer. Les patrouilles navales internationales avaient repoussé les pirates à des centaines de kilomètres des côtes somaliennes et du golfe d’Aden. Certains de ces pirates ciblaient à présent les marins pêcheurs.
Vers 2 heures du matin le 30 mars 2010, neuf pirates somaliens qui s’étaient récemment emparés d’un boutre de pêche iranien et de son équipage de 21 marins, cherchent à rajouter le Galate à leur butin. Selon un rapport paru dans afrol News, ils auraient capturé le bateau iranien quatre jours auparavant.
Au moment où les pirates somaliens montent à bord du Galate, les équipages des navires Serenity, Indian Ocean Explorer et Alakrana avaient déjà été attaqués et capturés par d’autres pirates. Le président James Michel était déterminé à empêcher que d’autres Seychellois ne deviennent à leur tour des objets de marchandage pour les pirates Somaliens.
Le président Michel ordonne alors à un vaisseau des Garde-côtes des Seychelles, le Topaz, d’intercepter le boutre, qui remorquait le Galate, et de l’empêcher de rejoindre la Somalie. Si le Topaz échoue dans sa mission, une autre épreuve prolongée et dangereuse promet de s’ensuivre afin d’obtenir la libération de l’équipage.
Avec l’aide d’un avion de l’Union européenne en patrouille maritime, le Topaz localise le boutre et tire des coups de semonce. Le Topaz vise ensuite le moteur du boutre et immobilise le bateau en provoquant un incendie. Les pirates et les pêcheurs iraniens et seychellois se jettent tous à la mer et sont secourus. Au cours du voyage de retour, le Topaz doit repousser une nouvelle attaque de piraterie, tirant sur un skiff et son vaisseau mère, qui coulent tous les deux. Un autre skiff prend la fuite.
« Nous nous souvenons tous de la douleur et de l’incertitude ressenties lorsque nos compatriotes à bord du Serenity, de l’Indian Ocean Explorer et de l’Alakrana ont été pris en otages par des pirates l’année dernière », déclare le président Michel après l’incident du Galate, selon afrol News. « Nous étions déterminés à empêcher que de tels incidents ne se répètent et il était important que le vaisseau ne soit pas autorisé à atteindre la Somalie. »
Après la crise du Galate, les Seychelles ont montré la voie pour poursuivre et emprisonner les pirates de l’Afrique de l’Est, pour renforcer sa petite Garde côtière, pour établir des accords et des alliances avec des puissances étrangères, et pour assurer la préservation et la protection de son vaste domaine maritime. Ce travail porte ses fruits. Le plus petit pays d’Afrique définit les normes pour tout le continent.
UN VASTE DOMAINE
Les Seychelles sont un archipel de 115 îles d’une superficie totale de 455 kilomètres carrés, mais la nation est responsable d’une zone économique exclusive marine de 1.336.559 kilomètres carrés, une étendue plus vaste que l’Afrique du Sud. Les 90.000 habitants des Seychelles font face à des enjeux maritimes qui dépassent de loin ceux relevés par des nations bien plus importantes en taille et en population.
Alors que la piraterie et les autres menaces maritimes sont en augmentation dans l’océan Indien, les Seychelles ont bénéficié de leaders visionnaires disposés à s’engager avec des partenaires internationaux. La taille réduite du pays ainsi que ses caractéristiques géographiques ont facilité ce processus, selon le Dr Ian Ralby, professeur associé de droit maritime et de sécurité auprès du Centre africain pour les études stratégiques.
« D’une certaine façon, leur taille leur donne l’avantage de l’agilité, explique le Dr Ralby à ADF. Il est bien plus facile de changer les choses et de changer d’approche avec une population de 90.000 personnes qu’avec une de 200 millions. »
Toutefois, la taille des Seychelles amplifie aussi les effets de la piraterie et des autres menaces. Les menaces pesant sur l’industrie de la pêche et sur le tourisme sont fortement ressenties partout dans le pays. Il n’est pas possible d’ignorer le problème.
Les Seychelles bénéficient également d’une autre caractéristique unique. Dans un article co-rédigé avec Anders Wivel en Mai 2018, le Dr Christian Bueger pose la question : « Comment se fait-il qu’un pays avec des ressources humaines et financières si limitées puisse être reconnu en tant qu’acteur diplomatique majeur et décideur stratégique en matière de gouvernance maritime ? »
Le secret, explique le Dr Bueger à ADF, se trouve dans l’histoire ethnique et culturelle de la nation.
UNE FORME UNIQUE DE DIPLOMATIE
Il n’existe pas de culture ou de population indigène aux Seychelles. En réalité, il n’y avait personne dans le pays avant les années 1770, lorsque des planteurs français sont arrivés avec des esclaves provenant de l’Afrique de l’Est. La population actuelle du pays est constituée des descendants de colons français, africains et britanniques, ainsi que de ceux des commerçants africains, indiens, chinois et du Moyen-Orient qui résidaient sur les trois îles majeures, principalement Mahé et à un moindre degré Praslin et La Digue.
Le Dr Bueger et M. Wivel racontent comment les esclaves étaient vendus individuellement et non en groupe ou par famille, leur culture n’ayant donc pas pu être préservée. Au fil du temps, d’autres populations sont également arrivées de l’Est et de l’Ouest, faisant des Seychelles un pays créole. Ce mélange des cultures où il n’existe pas de croyance forte spécifique fait des Seychelles une nation qui pratique la « diplomatie créole » selon le Dr Bueger.
« Dans la diplomatie créole, vous avez beaucoup d’amis et pas d’ennemis et vous parlez à tout le monde, donc vous pouvez être très pragmatique pour faire fonctionner les choses plutôt que d’avoir toutes sortes de problèmes idéologiques et historiques », explique le Dr Bueger, professeur de relations internationales à l’université de Copenhague. « Donc le pragmatisme, l’ouverture à toutes sortes de cultures et d’autres pays, ce sont les principes créoles ; c’est ainsi que la culture créole fonctionne. »
Le gouvernement seychellois coopère avec divers pays et organismes en ce qui concerne les questions maritimes. Il a travaillé avec les organisations internationales pour lutter contre le crime maritime, il a participé à des exercices navals internationaux et il a établi des accords bilatéraux avec les nations étrangères pour renforcer sa formation et ses capacités d’interdiction par l’acquisition de moyens maritimes et aériens. En voici quelques exemples :
• En 2014, l’Union européenne (UE) a fait don d’un logiciel de planification de vol et d’analyse d’images aux Seychelles et a formé des officiers à son utilisation. Le système permet à l’Armée de l’air de surveiller le domaine maritime et d’analyser avec efficacité les images radar, vidéo et infrarouges, selon defenceWeb. Cette capacité permet de fournir des preuves admissibles dans le cadre des poursuites contre les pirates.
• En 2015, les Seychelles deviennent la première nation régionale à présider le Groupe de contact sur la piraterie au large de la côte de Somalie, pour un mandat de 2 ans. Les participants coordonnent les efforts politiques, militaires et non gouvernementaux pour lutter contre la piraterie en Afrique de l’Est et assurer que les pirates soient traduits en justice. Le Groupe compte près de 80 pays et plusieurs organisations internationales.
• En 2016, les matelots allemands du FGS Bayern, vaisseau amiral du pays dans la flotte de patrouille de l’opération internationale Atalante de l’UE, ont entraîné l’unité de police maritime des Seychelles sur l’arraisonnement, la sécurisation des zones d’atterrissage, et la lutte contre les incendies à bord, selon defenceWeb.
• En Janvier 2018, les Seychelles furent le pays d’accueil pour Cutlass Express, exercice naval en Afrique de l’Est mené par l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique. Les pays participants ont pu tester leur capacité à combattre le trafic, la piraterie et la pêche illégale, et à mener des opérations de recherche et de sauvetage. Les participants provenaient de l’Afrique du Sud, de l’Australie, du Canada, des Comores, du Danemark, de Djibouti, des États-Unis, de la France, du Kenya, de Madagascar, de l’île Maurice, du Mozambique, de la Nouvelle Zélande, des Seychelles, de la Somalie, des Pays Bas et de la Turquie.
• Les Forces populaires de défense des Seychelles (SPDF) ont rejoint l’Armée indienne en Février 2018 pour un exercice de 8 jours dénommé Lamitye, mot créole pour désigner l’amitié. Le lieutenant-colonel Jean Attala des SPDF a déclaré à la Seychelles News Agency que cet exercice biannuel avait débuté en 2001 et qu’il permet d’améliorer les opérations de lutte anti-insurrectionnelle, anti-terroriste et anti-piraterie des deux forces. L’exercice a inclus le personnel des SPDF, de la Garde côtière et de l’Armée de l’air.
UN LEADER DES POURSUITES JUDICIAIRES
Les Seychelles excellent dans leur désir de poursuivre les pirates capturés lors d’attaques de navires au large des côtes de Somalie et au-delà. Lorsque les forces navales ont commencé à riposter contre les pirates du golfe d’Aden et de l’océan Indien, ils ont pratiqué « la capture et la relâche » car les nations participantes n’étaient pas disposées à poursuivre les pirates dans leur pays d’origine.
« Afin d’y répondre, la communauté internationale a élaboré une solution selon laquelle les marines internationales pouvaient arrêter les suspects, puis les remettre aux pays régionaux pour être poursuivis », selon les écrits du Dr Bueger et de M. Wivel.
Le Kenya a été le premier pays à se mettre en avant, puis les Seychelles ont convenu de poursuivre les pirates pour bientôt devenir le principal pays de la région à traiter ces dossiers. Des douzaines d’affaires ont été entendues concernant plus de 100 suspects, outre plusieurs cas en appel. Tout au long du parcours le pays a maintenu son engagement à assurer un état de droit.
Initialement selon M. Ralby, les Seychelles ne disposaient pas d’une juridiction suffisante pour les affaires ayant eu lieu en haute mer et n’avaient pas de lois concernant les « tentatives de piraterie ». Le pays avait aussi beaucoup à apprendre sur les règles de preuve, comme la preuve que les suspects avaient plus de 18 ans ou la question de leur nationalité. « Au vu des problèmes juridiques qui sont survenus, ils ont en fait modifié leurs lois afin de pouvoir gérer leurs affaires de façon appropriée, explique M. Ralby. Donc ils disposent d’une expertise de pointe au niveau mondial en ce qui concerne le mécanisme inhérent aux cas de piraterie, survenus n’importe où en haute mer, jusqu’au procès, en passant par les poursuites, la condamnation, l’appel et l’emprisonnement final. »
Cette petite nation constituée d’îles au milieu de l’océan Indien a su voir le mérite d’instaurer l’état de droit dans le domaine maritime. Elle a également compris l’avantage de rendre les mers durables et instaurer la sécurité.
« Si la seule motivation pour la sécurité maritime est de protéger l’état contre les menaces, vous faites face à un problème très déprimant et interminable, du fait que vous dépensez beaucoup d’argent pour arrêter quelque chose qui va constamment se reproduire, explique M. Ralby. Il y aura toujours de nouvelles menaces et il y aura toujours des défis à relever en matière de sécurité maritime. »
UNE PERSPECTIVE MARITIME VISIONNAIRE
Plus que tout autre pays africain, les Seychelles connaissent la valeur et la fragilité de leur économie maritime. Les revenus du pays proviennent principalement de l’industrie de la pêche et du tourisme et le crime en mer constitue une menace pour ce commerce. Alors que les autres pays cherchent à améliorer leur connaissance du domaine maritime, M. Ralby explique que les Seychelles travaillent sans relâche à la protection et au développement de celui-ci, considéré comme une source de richesse et de prospérité.
La politique de traçabilité de la pêche aux Seychelles permet aux consommateurs mondiaux de connaître l’origine des thons attrapés par les navires de pêche du pays. Cette transparence du marché représente une valeur ajoutée pour la pêche légitime, ce qui décourage l’illégalité.
Le pays a aussi mis en place une nouvelle approche à la préservation du domaine maritime tout en remboursant la dette nationale. Cet arrangement financier connu sous le nom de « dette pour dauphins » permet aux Seychelles de convertir de larges zones de son domaine maritime en réserves naturelles protégées en échange de fonds qui permettent de racheter la dette nationale du pays.
Au début 2018, l’association Nature Conservancy a proposé de racheter 22 millions de dollars de la dette des Seychelles. En échange, le pays désignerait le tiers de son domaine maritime comme zone protégée, selon Reuters. La pêche, l’exploration pétrolière et le développement seraient limités dans les habitats fragilisés et contrôlés sous certaines conditions dans le reste de cette première réserve de 210.000 kilomètres carrés. Une zone supplémentaire de 200.000 kilomètres carrés serait sujette à d’autres restrictions.
Les Seychelles se sont engagées à protéger jusqu’à 30 % du domaine maritime grâce à un plan spatial maritime détaillé. Ce plan porte sur la protection des espèces et des habitats, le renforcement des côtes face au changement climatique et la préservation des opportunités économiques en tourisme et en pêche.
« L’économie des océans est devenue le focus de l’économie nationale. Sans doute plus que tout autre état, les Seychelles font face à leur réalité géographique et l’approprient de façon positive plutôt que de la considérer seulement comme une difficulté », ajoute M. Ralby.
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