PAS SEULEMENT UNE STATISTIQUE
Les femmes valorisent les missions de maintien de la paix mais des problèmes de participation subsistent
PERSONNEL D’ADF
Le caporal Laker Doris Patricia de la Force de défense du peuple ougandais conduisait chaque jour un gros camion d’approvisionnement. Elle transportait de tout, depuis les munitions jusqu’aux bombes. Lorsqu’elle ne tournait pas l’énorme volant du camion, elle attendait, prête à boucler sa ceinture et à repartir. Et elle le faisait au cœur de la Somalie, l’un des endroits les plus dangereux de la terre.
Le major-général Kristin Lund de Norvège a passé deux ans comme commandant de la Force de maintien de la paix des Nations unies en Chypre. C’était la première femme à commander une mission de maintien de la paix de l’ONU. En avril 2018, elle a servi comme chef de mission et chef d’état-major de l’Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve au Moyen-Orient.
Priscilla Makotose du Zimbabwe est commissaire de police de la mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour. Elle a 30 ans d’expérience, notamment dans des postes de commandement de police. Elle était directrice adjointe pour l’administration dans le service d’investigation criminelle de la police de la République du Zimbabwe et a participé à la mission de l’ONU au Liberia en 2005.
Le lieutenant-colonel Hoe Pratt des Forces armées de la République de Sierra Leone était l’officier chargé de la cellule du pistage, de l’analyse et de la réponse concernant les victimes civiles de la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) en 2016. C’est la première femme de la Sierra Leone participant à une mission d’imposition de la paix. En tant que chef de cellule, elle supervisa la surveillance des victimes civiles associées à la mission et s’efforça de protéger les Somaliens en utilisant des mesures préventives.
Dans toute l’Afrique et au-delà, les femmes accomplissent avec succès leurs tâches dans les missions multinationales de maintien de la paix. Dans l’AMISOM, les femmes conduisent les camions, soignent les blessés, patrouillent sur les canonnières, commandent les bataillons de combat et font bien plus encore.
La preuve est faite : les femmes peuvent accomplir la totalité des tâches liées au maintien de la paix. Toutefois, les chiffres sont décevants. Dans l’AMISOM en 2016, le nombre de femmes s’élevait seulement à 586, soit moins de 3 % des plus de 20.000 soldats africains déployés.
Les chiffres ne sont guère meilleurs pour les missions de l’ONU. Selon des statistiques de mars 2018, seulement 3,7 % de tous les gardiens de la paix militaires affectés à sept missions basées en Afrique sont des femmes. En tout, les femmes représentent environ 4 % des gardiens de la paix, y compris les experts militaires et les officiers d’état-major. En ce qui concerne les forces de police, les femmes sont dans une situation légèrement meilleure. Dans les missions basées en Afrique, elles représentent 10,9 % de tous les officiers de police ; globalement, elles en représentent 10,7 %.
Bien que leur nombre soit réduit dans ces missions, leur importance n’est pas sujette à dispute.
LA VALEUR DES FEMMES
Les femmes ont démontré qu’elles pouvaient avoir les mêmes rôles que les hommes dans un contexte militaire. Elles peuvent aussi ajouter une dimension importante aux opérations de maintien de la paix.
« Pour commencer, les gardiennes de la paix aident les missions à renforcer les relations avec les communautés et à gagner un meilleur accès à l’information que les contingents constitués uniquement d’hommes », selon un article de 2017 pour IPI Global Observatory. « Elles servent de modèles en inspirant les femmes des pays hôtes à rejoindre elles-mêmes les services de sécurité. L’augmentation du nombre de femmes dans les missions de l’ONU est aussi cruciale pour mettre fin au fléau de l’exploitation et de l’abus sexuels par les forces de maintien de la paix, qui provoque des souffrances énormes chez ses victimes et diminue la crédibilité générale des opérations de paix de l’ONU. »
Lorsque le personnel d’une mission entre dans un pays, il est chargé de protéger tous les habitants, quel que soit leur sexe. Dans certains pays, les normes culturelles et traditionnelles empêchent les interactions utiles entre les gardiens de la paix du sexe masculin et les civils du sexe féminin. Lorsque les missions font l’objet d’accusations d’inconduite sexuelle par les gardiens de la paix ou les combattants armés, la capacité de communiquer efficacement avec les femmes et les enfants est vitale.
Dans les anciens conflits, deux états étaient le plus souvent en guerre l’un contre l’autre, mais cette situation est moins probable aujourd’hui. Les plupart des conflits actuels concernent des insurrections et des acteurs non gouvernementaux qui combattent les forces d’un état. Cela complique les réponses et élargit la définition et le caractère des opérations de paix, écrivent Nancy Annan et Serwaa Allotey-Pappoe dans « Les femmes et les opérations de soutien de la paix en Afrique », un des chapitres de « Annual Review of Peace Support Operations in Africa: 2016 » [Revue annuelle des opérations de soutien de la paix en Afrique : 2016].
« À mesure que de nouveaux conflits se manifestent, la violence contre les civils, en particulier les femmes et les jeunes filles, s’intensifie ; le viol et la violence sexuelle sont de plus en plus utilisés comme armes de guerre », écrivent-elles. C’est pour cela, et pour d’autres raisons, que la participation des femmes au maintien de la paix est vitale.
« Ce sont très souvent les gardiennes de la paix qui peuvent établir des relations avec les femmes locales, peut-être les enfants et d’autres, pour rassurer les communautés locales sur ce que nous faisons », déclare Diane Corner, ancienne représentante spéciale adjointe de la mission de l’ONU en Centrafrique, dans une vidéo de l’ONU de 2015. « Je crois que cela a été démontré à maintes reprises : lorsqu’il s’agit de gérer des questions spécifiques, en particulier sur la violence sexuelle, mais peut-être aussi des questions liées aux droits humains, il est préférable que des femmes interviennent. »
Les capacités et la valeur des femmes sont bien établies. Pourquoi donc n’y a-t-il pas davantage de femmes participant aux missions de maintien de la paix en Afrique ?
OÙ SONT TOUTES LES FEMMES ?
Toute explication concernant la raison pour laquelle il n’y a pas plus de femmes dans les missions de maintien de la paix doit commencer avec les pays contributeurs de soldats. Elle doit adresser un certain nombre de questions, depuis les préjugés politiques et sociaux jusqu’aux pratiques de recrutement et au rôle perçu des femmes dans une société donnée.
Malgré ces défis, il incombe aux pays qui envoient des soldats et des policiers de s‘assurer de réaliser un équilibre approprié entre hommes et femmes dans les missions, conformément aux exigences des Nations unies et de l’Union africaine, écrivent Mme Annan et Mme Allotey-Pappoe. Lorsque cela se produit, les résultats sont évidents dans les missions elles-mêmes.
Le Dr Sabrina Karim, professeur adjointe dans le département du gouvernement à l’université Cornell, a passé plusieurs années sur le terrain avec la mission récemment achevée des Nations unies au Liberia. Elle a observé que le Ghana, qui participait à la mission, avait un pourcentage élevé de femmes dans ses forces armées, en partie à cause d’un système de recrutement attractif pour les femmes et offrant des opportunités de leadership.
« L’argument est donc comme suit : si on peut avoir davantage de soldats provenant de ces types de pays contributeurs qui font quelque chose de bien, cela va améliorer l’ensemble de la mission », déclare-t-elle à ADF.
Parmi les sept missions de paix actives de l’ONU sur le continent, deux seulement ont plus de 4 % de femmes dans des rôles militaires. La mission du Sahara occidental possède 9,7 % de femmes sur un total de 226 militaires déployés là-bas. La mission à Abiyé sur la frontière soudanaise compte 8,5 % de femmes dans des rôles militaires sur 4.485, provenant presque exclusivement de l’Éthiopie.
Les missions en République démocratique du Congo et en République centrafricaine, qui ont une réputation d’incidents de violence sexuelle et de violence basée sur le sexe, comptent respectivement 3,7 % et 3,2 % de femmes. Le nombre d’officiers de police féminins est bien plus favorable, allant de 7,2 % au Mali à 32,4 % à Abiyé.
Donc le recrutement est un bon point de départ. Mais cela ne peut pas être seulement une question de statistiques. Le simple ajout de femmes dans une opération de maintien de la paix ne va pas assurer que leur présence soit utile pour la mission. Le Dr Karim déclare que, selon ses recherches, il est fréquent que les femmes ne soient pas envoyées dans les missions les plus dangereuses ou dans les missions où la violence sexuelle pose un problème.
D’ABORD, UNE ANALYSE DES SEXES
L’augmentation du nombre de femmes signifie très peu de chose pour la mission si elles ne sont pas déployées dans le cadre d’une perspective générale des sexes, déclare Sahana Dharmapuri, directrice de Notre avenir sécurisé : Les femmes font une différence (programme de One Earth Future). Toutes les missions devraient effectuer une analyse des sexes pour déterminer la meilleure façon d’utiliser les hommes et les femmes pour atteindre les objectifs de la mission.
Une telle analyse peut examiner le plus grand éventail d’objectifs de la mission, par exemple la composition des populations civiles, ainsi que des questions plus détaillées, par exemple les personnes qui utilisent une route donnée pendant une période donnée. Toujours à titre d’exemple, pour planifier les routes des patrouilles dans une zone, une analyse des sexes pourrait examiner la route qui devrait être suivie, puis répondre à des questions comme celles-ci : Quels sont les villages traversés par cette route ? Qui utilise la route, et quand ? Cette route traverse-t-elle un marché ? Si oui, quand ce marché est-il ouvert ? Est-ce un marché pour femmes ?
Une fois que les planificateurs de la mission ont répondu à de telles questions, ils peuvent décider de la composition des troupes des patrouilles. Bien qu’il semble approprié qu’une patrouille constituée seulement de femmes visite le marché pour femmes, Mme Dharmapuri déclare que les patrouilles mixtes sont plus efficaces. Par exemple, une patrouille mixte de six personnes pourrait avoir accès à plus de lieux et de gens qu’une patrouille de six femmes.
Les forces armées effectuent toujours des analyses similaires : Où déployer les divisions blindées ? L’infanterie ou l’artillerie est-elle nécessaire ? L’ajout de la perspective des sexes à l’analyse d’ensemble contribue au succès de la mission. « Elle devrait être intégrée dans votre perception sécuritaire générale », déclare Mme Dharmapuri à ADF.
L’établissement d’un juste équilibre concernant le service des femmes dans ces missions nécessite de surmonter certaines idées fausses. Dans un article de 2014 pour Alliance for Peacebuilding, Mme Dharmapuri examine ce qu’elle appelle « Les trois fictions concernant les femmes participant au maintien de la paix » :
« Tout tourne autour des femmes » : en fait, c’est faux. Il s’agit d’assurer la sécurité de tout le monde : hommes, femmes, garçons et filles. L’inclusion de davantage de femmes dans la force de maintien de la paix et la conduite d’une analyse complète des sexes dès le début aide à réaliser cet objectif. Mme Dharmapuri souligne que les hommes et les femmes peuvent adopter une perspective des sexes pendant qu’ils participent à une mission.
« Un nombre égal d’hommes et de femmes soldats dans les opérations de paix signifie que nous avons obtenu l’égalité des sexes » : c’est faux. L’objectif n’est pas nécessairement d’avoir un nombre égal d’hommes et de femmes, mais d’avoir des femmes qui sont des participantes à part entière à tous les niveaux d’une mission, et d’avoir des hommes qui participent activement à la promotion de l’égalité des sexes. Cela est particulièrement nécessaire puisque les hommes ont de nombreux rôles clés de leadership dans les forces armées et en politique.
« Tout tourne autour de l’acte sexuel » : à cause de cas documentés de violence et d’abus sexuels dans les missions, certains commettent l’erreur de supposer que la raison principale pour inclure les femmes est de prévenir cette violence. Mais les femmes peuvent faire beaucoup plus. Lorsqu’un conflit éclate, les hommes en général se battent et les femmes restent en arrière pour prendre soin des autres. Les équipes mixtes peuvent former des femmes de la population civile sur d’autres questions de sécurité telles que les évacuations en cas de désastre ou de conflit. Les femmes devraient être considérées comme des agents de changement et de stabilité, pas seulement comme des victimes, déclare Mme Dharmapuri. « Si vous avez des nombres égaux, cela ne sera pas suffisant pour changer les préjugés concernant les sexes et le comportement social du système, déclare Mme Dharmapuri. Le système, c’est nous tous. Je crois que c’est le point crucial que les gens oublient. »
Comments are closed.