L’OPÉRATION LAFIYA DOLE MET À PORTÉE LA PAIX DURABLE POUR LE NORD-EST DU NIGERIA
PERSONNEl D’ADF
L’importance symbolique de cette opération militaire est aussi grande que son importance stratégique. Le 22 décembre 2016, les Forces armées du Nigeria avancent vers le « Camp Zairo », base située au plus profond de la forêt de Sambisa et servant de centre névralgique à Boko Haram.
L’assaut commence tôt le matin avec un bombardement aérien. Des Alpha Jets, des jets supersoniques F-7 et des hélicoptères de combat Mi-35 frappent le camp. Après le bombardement, les troupes terrestres soutenues par un appui aérien rapproché avancent en rencontrant peu de résistance, et pendant une opération de nettoyage elles arrêtent 1.240 personnes soupçonnées d’être des combattants de Boko Haram, ainsi que les membres de leur famille. Trente autres combattants qui s’enfuient sont interceptés par les forces du Niger qui font partie de la Force multinationale mixte déployée sur les rives du lac Tchad.
La redoute de la forêt porte l’empreinte du groupe de terreur. Des slogans en langue arabe sont peints sur les murs ; des transports de troupe blindés sont retrouvés brûlés, détruits avant une retraite rapide ; et les troupes découvrent des tombes anonymes. Ce qui est peut-être plus significatif, ce sont les drapeaux noirs que les extrémistes de Boko Haram tels que leur chef Abubakar Shekau avaient agités en se moquant sur les vidéos de propagande. Les soldats nigérians s‘emparent d’un drapeau et le présentent à leur commandant en signe de victoire.
« Je peux déclarer en toute certitude que les terroristes de Boko Haram n’occuperont jamais plus une portion quelconque de notre territoire », opine le ministre nigérian de la Défense Mansur Dan Ali lors d’un discours quelques mois plus tard, lorsque la 7ème division de l’Armée de terre organise ses exercices annuels à Camp Zairo.
Toutefois le lieutenant-général Tukur Buratai, chef d’état-major de l’Armée de terre nigériane, avertit que le groupe extrémiste est délogé mais pas anéanti. Il déclare que les combats continueront. « Aujourd’hui, Boko Haram se cache, déclare-t-il. Demain, on se réveillera et il semblera exister une recrudescence des attaques. »
« LA PAIX PAR LA FORCE »
La reconquête de la forêt de Sambisa est la réalisation principale de l’Opération « Lafiya Dole », ce qui signifie La Paix par la Force dans la langue haoussa.
Lancée en juillet 2015, Lafiya Dole marque un changement stratégique dans les efforts anti-insurrectionnels qui étaient entrepris depuis déjà 4 ans à l’époque. Elle vise à répondre aux demandes d’aide des soldats de première ligne. Ils déclarent qu’ils sont mal équipés, que la prise de décision dure trop longtemps et que la corruption entrave la lutte. Lorsque le président Muhammadu Buhari entre en fonction, l’un des premiers changements qu’il effectue est la relocalisation du quartier général du théâtre d’Abuja à Maiduguri au Nord-Est, épicentre de l’insurrection.
En annonçant ce changement, les forces armées déclarent qu’il « ajoutera un élan et une vigueur renouvelée » à la lutte contre Boko Haram.
Les observateurs pensent que cela a envoyé un message puissant vers le haut de la chaîne de commandement. « Avant la relocalisation, il y avait un décalage énorme entre ceux qui avaient un poste de commandement stratégique dans les forces armées et les soldats sur le terrain qui confrontaient réellement les insurgés », déclare le Dr Freedom Onuoha, maître de conférences à l’Université du Nigeria à Nsukka. « Le but consiste à les rapprocher des unités de première ligne. Pour qu’ils connaissent leur état d’esprit et répondent à leurs inquiétudes. »
Sous les administrations précédentes, les combats contre l’insurrection avaient été livrés par les 3ème et 7ème divisions de l’Armée de terre. Pour Lafiya Dole, les forces armées ajoutent la 8ème division de la Force mixte, dont le quartier général se trouve à Monguno, et une base logistique à Damaturu pour accélérer les réapprovisionnements. Borno devient le seul état du pays possédant deux divisions à l’intérieur de ses frontières.
Le Nigeria annonce aussi des plans pour augmenter les effectifs de son Armée de terre de 100.000 à plus de 200.000 en huit ans.
CONTRE-INSURRECTION
Au moment où Lafiya Dole est annoncée, la majorité du territoire avait été reprise des mains de Boko Haram au Nigeria. Entre février et mai 2015, les forces nigérianes ou alliées libèrent 36 villes du Nigeria. L’expression « plus jamais » devient un hashtag populaire sur Twitter, les Nigérians s’engageant à ne plus jamais souhaiter que Boko Haram plante son drapeau noir sur le territoire nigérian.
L’Armée de terre nécessitait une nouvelle stratégie pour en faire une réalité. Elle a suivi les étapes militaires anti-insurrectionnelles traditionnelles : « dégagement, maintien et construction ».
« Avec plus de deux années à essayer de “dégager” Boko Haram des zones bâties, le travail à faire maintenant, un travail qui s’est révélé difficile en soi, est le “maintien” », écrit l’expert militaire nigérian Akali Omeni.
Cette stratégie de « maintien » exige la sécurisation des villes en même temps que le maintien de la pression dans la périphérie, là où les terroristes rôdent. Entre la fin 2015 et la mi-2016, l’armée nigériane crée six nouvelles brigades. Chacune est localisée dans une ville du Nord-Est et entourée de trois bataillons « extérieurs » parcourant les zones rurales. Les garnisons et les bataillons extérieurs ont de petites unités de force de réaction rapide (FRR) qui leur sont affectées, pour mettre l’accent sur la mobilité et la manœuvrabilité plutôt que la puissance de frappe, écrit M. Omeni. « Ces unités sont formées pour effectuer une série d’actions [anti-insurrectionnelles] en plus des tactiques d’infanterie de base, écrit-il. Le personnel FRR sait donc ce qu’il doit chercher lorsqu’il est en patrouille, mieux que le soldat moyen de l’armée nigériane. »
Le but consiste à opposer des niveaux additionnels de résistance aux insurgés qui ont l’intention de mener des attaques asymétriques. Plus leur liberté de mouvement est limitée, plus il leur devient difficile de transporter leurs approvisionnements et d’atteindre les zones civiles vulnérables. « Les kamikazes ont plus de postes de contrôle à traverser, ce qui augmente le risque de détection, écrit M. Omeni. Les patrouilles militaires supplémentaires et la rétention des unités de police au sein des bataillons extérieurs signifient que les matériaux des EEI [engins explosifs improvisés] sont plus difficiles à transporter sans être détectés. Grâce à l’ajout de troupes dans les zones avancées et à l’augmentation de la mobilité des bataillons, la fuite des insurgés est plus difficile. »
Il existe des preuves confirmant que cette stratégie est efficace. Les attentats à la bombe de Boko Haram ont baissé par rapport au nombre record de 101 en 2015, à 30 en 2016. Une légère hausse a été enregistrée en 2017, mais le record de 2015 n’a pas été approché.
Finalement, en août 2017, l’Armée de terre nigériane active ses équipes de frappe mobiles (MST). Ces équipes, formées à l’école des Forces spéciales de l’Armée de terre dans l’État de Yobe, sont préparées à « conduire des patrouilles sur de longues distances et des embuscades en profondeur dans l’arrière-pays », déclare le major-général Ibrahim Attahiru, commandant de Lafiya Dole entre mai et décembre 2017. « Le seul objectif de nos MST était de se déplacer pour trouver Boko Haram où qu’il soit, déclare-t-il. L’idée était d’atteindre et d’anéantir ces petits groupes [d’insurgés]. Dans cette tâche, elles ont été très précieuses et efficaces. »
L’armée nigériane met aussi un accent renouvelé sur les « examens après l’action », analyses intensives des succès et des échecs après une mission. Le but est de réagir rapidement aux changements de tactique de Boko Haram. « Votre adversaire adapte ses tactiques. Pour que vous restiez en avance sur lui, vous devez utiliser une adaptation concurrentielle. C’est ce que nous avons fait », déclare le général Attahiru.
LA LUTTE IDÉOLOGIQUE
Boko Haram s’est renforcé, en partie, parce qu’il a convaincu les civils du Nord qu’ils étaient victimes d’un Nigeria corrompu et illégitime. Les tactiques brutales adoptées par les forces armées et causant des décès parmi la population au début de la campagne ont donné foi à cet argument. Même les civils modérés se disaient coincés entre deux alternatives qui leur faisaient peur. Lafiya Dole a cherché à changer cela.
« Nous devions isoler Boko Haram de sa base de soutien, déclare le général Attahiru. Parce que la population peut être la base du soutien, que cela vous plaise ou non. »
À partir de 2014, les soldats nigérians participent aux réunions de mairie et aux célébrations traditionnelles appelées durbars pour écouter les gens qu’ils protègent et répondre à leurs inquiétudes. Les forces armées encouragent aussi les « patrouilles de recensement » pour les officiers de second rang, tels que les capitaines, les lieutenants et les sergents, à qui il est demandé de passer du temps à communiquer avec les civils. Non seulement cela rend sympathique la présence militaire, mais cela aide aussi les soldats à obtenir des informations. « Auparavant, le personnel militaire restait trop dans ses garnisons et les “patrouilles” qui existaient n’étaient pas en fait conçues pour interfacer avec les résidents, écrit M. Omeni. Cette nouvelle catégorie d’interaction… est cruciale pour la collecte des renseignements utiles aux objectifs de la campagne. »
En outre, l’Armée de terre remet l’accent sur les opérations civilo-militaires. Ces efforts incluent le forage des puits d’eau potable et la reconstruction des routes et des écoles. Les experts du déminage utilisent des dragueurs de mines Bozena pour dégager les routes de l’État de Borno qui étaient devenues mortelles pour les civils. Le 15 septembre 2015, les ingénieurs militaires nigérians ont réparé un pont reliant Maiduguri à Gamboru Ngala, que Boko Haram avait détruit. Ce lien vital permet au commerce de reprendre entre les deux villes, ce qui améliore la vie des gens.
Dans les camps pour déplacés internes (DI), des médecins militaires traitent les maladies depuis le paludisme jusqu’à la malnutrition, aux caries dentaires et à l’hypertension. En août 2015, des DI de 13 villages près de Konduga et Sambisa se sont rendus à l’hôpital de la 7ème division pour recevoir un traitement.
Le général Attahiru déclare que l’armée nigériane assure la sécurité pour que les organisations non gouvernementales et l’ONU puissent offrir une formation professionnelle et d’autres aides aux personnes précédemment déplacées. L’armée forme aussi la police locale et les groupes civils de défense.
« Nous suivons une approche axée sur les gens pour lutter contre l’insurrection, déclare le général Attahiru. Nous respectons les résidents locaux et nous plaçons leur bien-être au-dessus de toute autre considération. Les insurgés ne peuvent pas agir sans le soutien, actif ou passif, de la population locale. Donc en obtenant le soutien de la population locale, nous avons pu priver Boko Haram de ce soutien. »
Lafiya Dole cherche surtout à démontrer le professionnalisme des soldats du Nigeria. Un bureau des droits humains a été créé au quartier général de la défense, où six avocats examinent les accusations de comportement immoral de la part des soldats. Un certain nombre d’officiers de haut rang, y compris un ancien chef d’état-major de la défense, ont été chargés de corruption et font face à des poursuites judiciaires. Cela signale aux civils que le comportement non professionnel ne sera pas toléré.
« En ce qui concerne ce qui se passait avant le lancement de l’opération, on pensait que les forces armées avaient enfreint certains droits de la population civile, ce qui avait donc créé un manque de confiance, déclare le Dr Onuoha. Du point de vue professionnel, l’objet de la mission était de montrer la bannière d’un nouveau déploiement qui respecterait les droits des gens, dans le but de conquérir leur cœur et leur esprit. »
L’Armée de terre nigériane a refusé de perdre du terrain sur le plan idéologique. Elle a établi un Centre de campagne médiatique pour informer les journalistes des opérations Lafiya Dole et elle a renforcé sa présence sur les réseaux sociaux. Elle a créé Lafiya Dole FM, station de radio diffusant en anglais, haoussa et kanouri, qui informe la population locale sur la campagne et réfute les rumeurs. Finalement, l’armée a rehaussé les opérations psychologiques avec des vidéos, des prospectus et même des refrains de radio conçus pour atteindre les membres de Boko Haram qui envisagent la désertion. L’Opération Corridor de sécurité et les camps de réinsertion sont conçus pour donner aux combattants une voie de sortie. Le but, déclare le chef d’état-major de l’Armée de terre du Nigeria, est de détruire la « machine de propagande » de Boko Haram.
« Nous avons vaincu physiquement Boko Haram, nous les suivons sur les réseaux sociaux afin de les vaincre à ce niveau également », déclare le général Buratai.
Le général Attahiru déclare que cette approche holistique à la contre-insurrection a nécessité des années pour être apprise. Il pense que Lafiya Dole est maintenant sur la bonne voie. « Nous avons pu identifier les facteurs du conflit et nous allons aussi développer des partenariats avec les alliés locaux, déclare-t-il. En ciblant les facteurs de ce conflit, nous voulons rompre le cycle de violence. »
LAFIYA DOLE SELON LES CHIFFRES
300.000 otages et personnes déplacées libérés ou ayant reçu un logement sécurisé.
1.009 membres de Boko Haram se sont rendus volontairement.
1.140 membres de Boko Haram arrêtés.
1.500 personnes soupçonnées d’appartenir à Boko Haram font l’objet d’une investigation.
200 camps et enclaves de Boko Haram détruits.
Source : chef d’état-major de l’Armée de terre du Nigeria, janvier 2017
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