Les affrontements au Kenya exposent la nécessité de contrôler les armes illégales
PERSONNEL D’ADF
Dans le Nord-Ouest du Kenya, le vol de bétail n’est rien de nouveau. C’est un mode de vie dans ces rudes contrées depuis des générations. Les jeunes hommes des tribus Turkana et Pokot se côtoient dans cette région semi-aride ; on leur enseigne que la protection du bétail est nécessaire à leur survie, quitte à prendre dans certains cas celui du voisin de force.
Au cours de ces dernières années, cependant, cette pratique tourne au meurtre. Les armes à feu ont remplacé les flèches et les lances traditionnelles. L’eau, toujours rare, a désormais disparu. Les éleveurs sont désespérés.
Le monde a été témoin de cette violence en 2015. À l’aube du 4 mai, des centaines d’hommes Turkana descendent sur le petit village de Nadome, criblant de balles les huttes en torchis. Les habitants racontent comment les hommes ont formé un cercle autour des habitations pour empêcher les gens de s’échapper et ont commencé à tirer au hasard.
« J’ai entendu le premier coup de feu mais avant que je n’aie le temps de réagir, toute la manyatta était ensevelie sous le son assourdissant de rafales alors que les attaquants tiraient à l’aveuglette », explique un homme de 36 ans au journal The Standard. « Je me suis mis un peu en retrait et une balle m’a atteint sur le côté gauche de la tête. »
Au bout du compte, les assaillants sont repartis avec
3.000 chèvres, mais ce butin fut remporté à un prix effroyable : l’attaque avait fait plus de 60 morts. Un journaliste qui s’est rendu sur place a fait état de l’odeur écœurante de la mort et de la scène éprouvante d’une mère décédée avec son bébé, également mort et encore attaché au dos de sa maman. « C’est une scène sortie tout droit de l’enfer », a écrit le reporteur, Vincent Mabatuk.
En quête de vengeance, les hommes Pokot partirent à leur tour à la recherche des assaillants, faisant encore des douzaines de morts, selon un reportage dans The Standard.
En réponse à ce massacre et à d’autres, le gouvernement du Kenya a lancé une initiative pour confisquer les armes illégales dans quatre comtés du Nord-Ouest. Les armes à feu illégales circulent en grande quantité dans le pays. Aux abords de Nairobi, un pistolet de contrebande se vend pour 80 dollars ou moins. Les armes telles que l’AK-47 se vendent pour 140 dollars. Les éleveurs échangent régulièrement leur bétail contre des armes selon le chercheur Mbugua Njoroge, et les armes arrivent régulièrement dans le pays à partir des zones de conflit proches, comme la Somalie, le Soudan du Sud, et l’Ouganda.
Selon un rapport sur la sécurité nationale présenté en 2016 au parlement du Kenya, entre 580.000 et 650.000 armes illégales circulent dans le pays, posant « d’importants risques socio-économiques, politiques, et sécuritaires ». Les auteurs ont aussi admis que les initiatives de désarmement du gouvernement « n’ont pas encore donné les résultats escomptés ».
Alors que faire ? La réponse se trouve dans la politique même du Kenya sur les armes légères et de petit calibre, et dans les autres meilleures pratiques adoptées sur le continent. Un grand nombre de ces meilleures pratiques sont détaillées dans le Protocole de Nairobi pour la prévention, le contrôle et la réduction des armes légères et de petit calibre, signé par 11 pays africains en 2004. Les Nations unies détaillent aussi les stratégies qui ont fait leurs preuves en matière de contrôle des armes dans son programme d’action pour mettre fin au trafic illégal d’armes. Ces documents fournissent le cadre du plan destiné à juguler la circulation d’armes illégales. Cela implique en général le marquage et le suivi des armes légales, la réglementation des vendeurs d’armes, la sécurisation des entrepôts du gouvernement, le renforcement de la sécurité aux frontières et l’interdiction des ferronniers artisanaux qui fabriquent de nouvelles armes ou qui en restaurent d’anciennes illégalement.
LA SÉCURISATION DES STOCK D’ARMES
Dans toute l’Afrique, une quantité alarmante d’armes à feu acquises par les criminels et les extrémistes provient illégalement des entrepôts nationaux. En 2014 par exemple, les Forces armées du Nigeria ont révélé que le groupe terroriste Boko Haram avait pillé les arsenaux et utilisé les armes mêmes des militaires contre ces derniers.
Selon les meilleures pratiques, il est recommandé d’équiper les entrepôts de portes blindées et de les garder sous surveillance. Les clés doivent exclusivement être détenues par les agents des forces de l’ordre habilités à y accéder, et ceux-ci doivent effectuer des vérifications ponctuelles régulièrement. L’enregistrement des armes doit se faire électroniquement et doit être soumis à des vérifications habituelles afin d’identifier les irrégularités. Les armes provenant de stocks excédentaires doivent être éliminées. Comme précaution supplémentaire, les sites choisis pour les stocks d’armes sont éloignés des zones peuplées afin de minimiser le nombre de victimes en cas d’explosion.
Afua Lamptey formait les spécialistes de la sécurité à la gestion des armes au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix (KAIPTC) au Ghana. Elle écrit que le continent doit offrir plus de formation en ce qui concerne la gestion des stocks d’armes. Elle ajoute que la formation complète d’un technicien en munitions nécessite entre 6 et 10 ans, et la plupart des personnes chargées de gérer les stocks ne possèdent pas ce niveau de formation. « Il existe un écart considérable au niveau de la formation du personnel dans la sous-région », écrit-elle. « L’accès aux formations pour ces spécialistes est relativement réduit, et la plupart sont obligés de compter sur leur propre ingéniosité et sur leur expérience pour faire face aux difficultés qu’ils rencontrent dans leur travail. »
LE MARQUAGE ET LE SUIVI
Beaucoup de pays exigent que les armes soient marquées de façon unique au moment de leur fabrication ou de leur importation. Le marquage indique le nom du fabriquant, le pays ou le lieu de fabrication, et le numéro de série. En cas d’importation, un certificat d’utilisateur final est requis.
Dans le but de tracer l’appartenance des armes à feu, la meilleure pratique recommandée consiste à créer une base de données nationale qui comprend une photographie du titulaire, son nom, son adresse, sa date de naissance, la marque et le modèle de l’arme et tout autre marquage pertinent. La base de données doit également recenser les détails des permis d’armes à feu, y compris les renouvellements, les suspensions et la copie de la demande originale de permis.
En 2014, la Commission nationale du Ghana sur les armes légères et de petit calibre a mis en place le marquage de toutes les armes à feu de l’état avec un numéro d’identification unique inscrit en relief. La commission espère faire suite à cette démarche par la création d’une base de données nationale. Avant ce projet, le Ghana a établi que plus de la moitié des armes en circulation étaient illégales. En 2016, le Ghana a mis en place un programme d’amnistie pour les armes à feu, permettant ainsi aux propriétaires d’enregistrer leurs armes sans pénalité.
« Le marquage systématique des armes, combiné à une analyse, permettra aux agences des forces de l’ordre et aux autres autorités concernées d’identifier et de contrôler les tendances et les modèles d’approvisionnement et d’utilisation des armes illicites », dit Jones Applerh, secrétaire exécutif de la Commission pour les armes légères du Ghana.
LES VENDEURS
Le Kenya figure parmi les nombreux pays africains à avoir demandé une règlementation et un octroi de permis plus rigoureux pour les vendeurs d’armes. Le Protocole de Nairobi précise que les états doivent maintenir une base de données de tous les vendeurs d’armes, y compris les détails de leur passeport et de leur entreprise. Les vendeurs agréés doivent obtenir une autorisation pour toute cession d’armes. Les états ne doivent en aucun cas autoriser le transfert dans le pays ou à l’étranger d’armes qui seraient susceptibles de servir pour commettre des violences criminelles, des violations humanitaires ou des actes favorisant l’instabilité régionale.
L’histoire récente nous montre que, pour un grand nombre d’armes illégales, en remontant la filière on ne retrouve au départ qu’une poignée de vendeurs sans scrupules aux attaches internationales. En janvier 2017, un importateur au port d’Apapa à Lagos, Nigeria, transportait 661 fusils à pompe illégaux cachés dans des portes d’acier. Les autorités ont arrêté 3 hommes et ont retracé le parcours des armes jusqu’en Chine et en Turquie.
Suite à cette saisie, le contrôleur général des douanes nigérianes Ahmed Ali a demandé le renforcement des mesures contre les vendeurs d’armes illicites ainsi que l’assistance du public dans l’identification des transports illégaux. « Nous devons à présent nous mobiliser », dit-il en s’adressant au journal nigérian The Guardian. « Le problème de l’insécurité dans ce pays est une responsabilité qui nous incombe à tous, et nous devons faire notre part en nous assurant que nous donnons les bons renseignements. Si nous voyons un problème, un objet ou encore un mouvement suspect, il faut en parler aux autorités. C’est la seule façon de nous assurer de faire notre travail. Sans information, nous ne pouvons pas maîtriser cette menace. »
LA COOPÉRATION
Les trafiquants d’armes ont tendance à exploiter la faiblesse partout où elle se trouve. Cette faiblesse est incarnée par un état défaillant dans lequel les parties en guerre achètent les armes en masse, ou bien par une frontière poreuse où les armes passent inaperçues. Les responsables de la sécurité en Afrique ont identifié la nécessité de mutualiser les ressources afin de renforcer les points sensibles.
Dans le cadre de sa politique nationale sur les armes, le Kenya appelle à la coopération avec ses voisins dans le partage de renseignements relatifs aux mouvements d’armes, ainsi qu’au développement d’une cohérence juridique au niveau régional afin de permettre que les trafiquants soient traduits en justice où qu’ils se trouvent au moment d’être capturés. Les progrès accomplis sont visibles dans le cas de l’Organisation de coopération des chefs de police d’Afrique de l’Est, qui est chargée de développer une stratégie commune pour les menaces partagées en Afrique de l’Est et de diffuser rapidement les informations sur les crimes transnationaux. Le groupe et son organisme homologue en Afrique australe ont déjà mis en place des opérations conjointes pour mettre un frein au trafic. Ces organismes sont soutenus par Interpol, l’organisation internationale de police.
Lors d’une réunion tenue en 2016 entre les responsables régionaux d’Interpol à Kigali, le commissaire de police adjoint du Rwanda Tony Kulamba a déclaré que les partenariats et le partage de renseignements constituent la voie de l’avenir pour le continent. « Renforcer la coopération et répondre rapidement aux demandes des autres sont les seuls messages forts adressés aux criminels selon lesquels ils n’ont plus où se cacher », dit M. Kulamba.
LES FACTEURS DE LA DEMANDE
Selon les études, la demande pour les armes à feu augmente lorsque les citoyens ne sont pas en sécurité. C’est d’autant plus vrai lorsqu’ils ont la sensation que l’état ne peut pas ou ne veut pas les protéger. Dans les endroits comme le Nord-Ouest du Kenya, il est vital de faire face au problème de l’insécurité et aux causes fondamentales de la demande pour les armes à feu.
Les éleveurs pensent que la « loi nationale n’est pas suffisamment bien appliquée par les forces de police kényanes dans leurs régions marginalisées », écrit M. Njoroge. « Leur seule option est de s’armer pour répondre à leur besoin de se défendre, que ce soit au niveau personnel, communal, tribal ou plus large encore. Ils le font par mesure défensive contre les bandits et les autres clans, mais aussi pour agir dans leur propre intérêt. »
M. Njoroge ajoute que les gouvernements ne peuvent pas se contenter de récupérer les armes illégales présentes dans des endroits où l’insécurité est élevée et s’imaginer que la paix va s’ensuivre. Dans les régions comme le Kenya rural, les projets pilotes axés sur la résolution des conflits traditionnels, les processus de la paix et les initiatives de développement qui permettent à tous de se rallier autour d’un objectif commun sont nécessaires pour que les gens retrouvent suffisamment de confiance pour choisir le développement plutôt que les armes.
L’une de ces initiatives, dénommée la « caravane de la paix », a été lancée peu après le massacre de Nadome. Ce véhicule transportait 15 politiciens régionaux accompagnés des aînés des communautés pastorales dans trois comtés concernés pour discuter des stratégies pour mettre fin aux meurtres. La caravane a recommandé la création d’un ministère pour les régions pastorales ainsi que des investissements en soutien d’un processus de paix durable. « Le vol de bétail a contribué à la pauvreté de façon importante et a fait bien des veuves et des orphelins », déclare le gouverneur Benjamin Cheboi du comté de Baringo au Kenya. « La région doit être libérée des coups de feu. Ceux qui achetaient des armes et des munitions doivent maintenant financer l’éducation et le commerce. »
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