Le pays collabore avec ses voisins ainsi que des organisations internationales pour museler les extrémistes et mettre fin au recrutement
LT. MOHAMED KEÏTA, COMMANDEMENT DES ÉCOLES DE LA GENDARMERIE NATIONALE
La réduction de la violence extrémiste au Mali semble incertaine, d’un point de vue technique et tactique, compte tenu de la complexité de la politique régionale. Celle-ci est caractérisée par un nombre croissant d’acteurs et de parties prenantes dont les intérêts sont le plus souvent conflictuels plutôt que complémentaires.
Depuis 2012, le nombre de groupes armés au Mali est en augmentation et la diffusion de la violence intercommunautaire menace l’Accord global d’Alger pour la paix et la réconciliation (Accord d’Alger). Les cellules terroristes prolifèrent dans l’ensemble du territoire alors que l’épicentre de la menace se déplace du nord du Mali pour atteindre le centre et le sud, donnant lieu à des attaques ponctuelles dans les régions de Mopti, Koulikoro et Sikasso.
Ces attaques visent des postes de sécurité et des installations administratives locales. Bamako, la capitale, n’a pas été épargnée. Les terroristes se déplacent au sein de la région du Sahel alors que les frontières nationales du Mali restent poreuses malgré une présence internationale depuis 2013, assurée notamment par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Celle-ci est complétée par les forces armées françaises engagées dans l’opération Barkhane ainsi que par des forces de l’Union européenne, de l’Union africaine et des États-Unis.
Dans un environnement aussi volatil, la connaissance de l’ennemi reste une condition nécessaire mais insuffisante ; à cela s’ajoute l’importance cruciale de la capacité à coopérer avec ses alliés et à assurer la coordination des programmes. Pour le gouvernement malien, la meilleure façon de coordonner l’ensemble des initiatives régionales et internationales pour le Sahel consiste à élaborer une stratégie nationale globale pour lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent.
Le principal défi sécuritaire pour le gouvernement malien consiste à établir et consolider la paix avec les anciens mouvements séparatistes de l’Azawad, au nord du pays, par le biais de l’Accord d’Alger, étape nécessaire afin de préserver l’intégrité territoriale du pays, de protéger ses valeurs constitutionnelles fondamentales et de restaurer la pleine autorité de l’état. Le terrorisme et l’extrémisme violent constituent le deuxième défi majeur pour le gouvernement.
Pour comprendre la portée du terrorisme et de l’extrémisme violent au Mali, il est important d’explorer leur nature et leur ampleur.
Le terrorisme au Mali est basé sur une interprétation violente du Coran et sur l’appel au djihad contre les « infidèles » et leurs alliés. En effet, l’objectif des terroristes au Sahel et au Mali consiste à lutter contre les valeurs occidentales et les gouvernements africains « fantoches » afin de créer, au final, un état islamiste, ou califat, qui serait régi par la charia.
Au Mali, le terrorisme se retrouve au niveau local et transnational. Les trois principaux groupes terroristes transnationaux du Mali sont al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et al-Mourabitoune, fondé par Mokhtar Belmokhtar. En 2016, ce dernier groupe s’est montré le plus actif des trois, ayant revendiqué les attaques de Mopti, Ménaka et Gao contre la MINUSMA, les forces armées du Mali et l’opération française Barkhane. Ce groupe est également responsable de l’attaque de l’hôtel Radisson Blu à Bamako en novembre 2015 et de l’hôtel Nord Sud, siège de la Mission de formation de l’Union européenne au Mali, en mars 2016.
Ansar Dine, dont les combattants sont principalement des Touaregs, est un parfait exemple de terrorisme local au Mali. Commandé par Iyad Ag Ghali, Ansar Dine avance des objectifs politiques et idéologiques focalisés plus spécifiquement sur le Mali que sur les questions mondiales. La stratégie d’Ansar Dine consiste à compromettre le processus de paix existant, celui-ci allant à l’encontre des intérêts du groupe, et à propager son idéologie extrémiste au reste du pays. Pour ce faire, Iyad Ag Ghali a créé deux cellules affiliées en 2015 : la katiba Ansar Dine Macina et la katiba Khaled Ibn Walid (Ansar Dine Sud).
La katiba Ansar Dine Macina est commandée par Amadou Koufa, ancien prêcheur radical de la région de Mopti. Ce groupe, actif dans le centre du pays, est en majorité formé d’anciens combattants du MUJAO et de leurs sympathisants. L’autre cellule était commandée par Souleymane Keïta, ancien membre de la police islamiste de Tombouctou créée lors du siège de 2012 par AQMI et par Ansar Dine. En juin 2015, le groupe a revendiqué les attaques des installations militaires et administratives maliennes à Fakola et Misséni, deux villages de la région de Sikasso près de la frontière avec la Côte d’Ivoire. Souleymane Keïta a été arrêté en mars 2016.
Les organismes terroristes transnationaux et locaux se sont réorganisés suite à la défaite infligée par les forces françaises et africaines en janvier 2013. Ils sont devenus encore plus dangereux depuis janvier 2015, ayant commis un nombre croissant d’actes subversifs contre les forces de défense et de sécurité maliennes et contre les partenaires internationaux déployés pour soutenir les efforts de stabilisation du Mali. Selon les Nations unies, ces attaques sont complexes et comportent l’usage combiné d’engins explosifs improvisés (EEI), de tirs de mortier et d’embuscades.
UNE APPROCHE GOUVERNEMENTALE
FACE À L’EXTRÉMISME
L’approche du gouvernement malien en matière de lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent est basée sur la prévention et le maintien de l’ordre collaboratif. Une stratégie préventive sur cinq ans appelée Programme d’actions du gouvernement 2013-2018 est actuellement mise en œuvre par le gouvernement malien. Elle vise à s’attaquer aux causes profondes de la crise de 2012, dont l’insécurité au nord du Mali, la désintégration des institutions publiques, la corruption endémique, la dégradation des conditions de vie et la perte des valeurs morales de la société. Le programme est axé sur six concepts stratégiques :
Établir des institutions fortes et crédibles.
Restaurer la sécurité dans l’ensemble du territoire.
Mettre en œuvre une politique de réconciliation nationale.
Rebâtir le système éducatif du Mali, y compris la révision des programmes scolaires et la construction d’une infrastructure moderne.
Créer une économie plus forte.
Mettre en œuvre une politique active de développement social.
Afin de lutter efficacement contre le radicalisme et l’extrémisme violent, un ministère des Affaires religieuses et du Culte a vu le jour en 2012. Il est chargé de la formation des imams et de l’encadrement des sermons. La signature en 2013 de l’Accord pour la coopération islamique avec le ministère marocain des Habous et des Affaires islamiques marque un avancement majeur. L’objet de cette « diplomatie islamique » est de promouvoir une approche éclairée de la pratique de l’islam basée sur la tolérance. Ces accords prévoient la formation de 500 imams maliens au Maroc. À la fin de 2016, 200 imams avaient déjà achevé cette formation de deux ans fondée sur une pratique modérée de l’islam.
Ce nouveau ministère travaille également en collaboration avec le Haut conseil islamique et l’Association malienne des imams pour lancer une campagne d’anti-radicalisation appelée « Mali Kuma Kan » ou « La Voix du Mali ». Celle-ci vise à lutter contre le recrutement des terroristes, notamment parmi les jeunes. Des vidéos d’une minute en dialectes locaux sont diffusées à la télévision, sur YouTube et sur Facebook. Elles commencent par des images choquantes montrant des extrémistes qui terrorisent les civils. Par la suite, on y voit des chefs religieux du Mali qui expliquent comment ces actes terroristes enfreignent le Coran. Les vidéos se terminent par un message clé, par exemple « Selon l’islam, celui qui tue un homme tue l’humanité tout entière ».
LA SÉCURITÉ AU NIVEAU LOCAL ET RÉGIONAL
L’approche du Mali est principalement basée sur un maintien de l’ordre collaboratif. Celui-ci se définit par la coopération et la mise en place d’efforts en commun entre les diverses forces de l’ordre et implique notamment les services de police et de gendarmerie et les autres unités/partenaires/institutions alliés, tels que la Garde nationale ou les forces armées. Cette collaboration a lieu tant au niveau national que régional. Un point clé de ces efforts consiste à développer les liens communautaires afin de lutter contre la criminalité et de renforcer la confiance. Dans le meilleur des cas, le maintien de l’ordre au niveau communautaire entraîne pour chaque commune concernée une amélioration des services de police, ceux-ci étant fondés sur la réactivité, la consultation, la mobilisation efficace et la résolution des problèmes.
Afin de pallier l’absence d’une gestion claire et d’une coordination efficace entre les unités spécialisées d’intervention de sécurité lors des périodes de crise, le ministère de la Sécurité et de la Protection civile (MSPC) a adopté en décembre 2015 un protocole pour l’emploi des unités spécialisées d’intervention, celles-ci étant composées d’éléments de la police, de la gendarmerie, de la Garde nationale et de la protection civile. Grâce à ce protocole, lorsqu’une crise se déclenche, l’encadrement est déterminé en fonction de la situation et la répartition des responsabilités entre ces unités se fait plus clairement. La création du Centre opérationnel du MSPC, élément clé du protocole de gestion de crise, constitue une autre mesure novatrice. Le centre est chargé de désigner une unité de réponse adéquate afin de l’envoyer dans la zone sensible.
Le protocole contient aussi un plan de sécurisation de Bamako pour atténuer les conséquences des éventuelles attaques terroristes. Des mesures de protection ont été prises, y compris l’identification des infrastructures critiques, la désignation des unités chargées de la protection de certaines installations et la pose de caméras de surveillance dans les zones vulnérables.
Le Mali a participé à des initiatives régionales visant à lutter contre le terrorisme et l’extrémisme violent au Sahel. En mars 2013, l’Union africaine a lancé une stratégie concernant la région du Sahel appelée Processus de Nouakchott, afin de renforcer la coopération sur la sécurité régionale grâce au partage des renseignements et à la surveillance conjointe. Onze états participent à ce processus. La Mission de l’UA pour le Mali et le Sahel, une initiative politique menée par l’ancien président du Burundi, Pierre Buyoya, mobilise les états pour la mise en œuvre du Processus de Nouakchott et soutient la coordination des efforts.
Parmi les nouvelles initiatives régionales, on retrouve également le G5 Sahel, organisme qui regroupe le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Fondé en février 2014 pour réduire la pauvreté et la criminalité, cet organisme permet à ses membres de mieux coordonner leurs politiques de développement et de sécurité. Il favorise la coopération entre les pays en ce qui concerne le partage des renseignements, ainsi que des efforts conjoints pour la patrouille des frontières et pour la formation militaire. Les pays du G5 Sahel ont adopté un cadre stratégique de lutte contre la radicalisation et l’extrémisme violent au Sahel comportant un certain nombre de mesures, y compris le développement des aptitudes des chefs religieux à combattre la radicalisation, et la promotion du rôle des femmes et de la société civile dans la lutte contre l’extrémisme violent et la prévention de celui-ci.
Une étape importante a été atteinte le 9 mai 2013 lorsque l’Assemblée nationale a voté pour instituer un Pôle judiciaire spécialisé contre le terrorisme et la criminalité transnationale au sein du Tribunal de la Commune VI de Bamako. Cette structure est opérationnelle et inclut un parquet, un cabinet d’instruction et des brigades d’investigation spécialisés. Les brigades sont composées de gendarmes et d’officiers de police dédiés à la lutte contre le terrorisme. L’architecture judiciaire confirme le rôle des forces de maintien de l’ordre dans la lutte contre le terrorisme et contribue à la centralisation et la coordination des poursuites judiciaires.
Afin de lutter efficacement contre le terrorisme et l’extrémisme violent, le gouvernement du Mali devrait remplir trois conditions :
L’ensemble des règlements politiques, sécuritaires et sociaux envisagés sous l’Accord global pour la paix et la réconciliation devraient être mis en place rapidement afin d’assurer que les anciens mouvements sécessionnistes restent fermement engagés dans la préservation de l’intégrité du territoire malien. Ceci permettra de créer un front national contre le terrorisme, l’extrémisme violent et toutes les autres formes de criminalité, notamment dans le nord.
La Stratégie nationale de lutte contre le terrorisme doit être souple et facilement adaptable en fonction des changements mondiaux et nationaux, notamment en ce qui concerne ses objectifs, ses concepts stratégiques et les instruments nationaux du pouvoir.
Toutes les parties prenantes luttant contre le terrorisme et l’extrémisme violent dans la région sahélo-saharienne doivent collaborer et coordonner leurs actions au niveau régional, national et international.