LES FORCES DE L’UNION AFRICAINE DOIVENT UTILISER DES RÉCITS DE RIPOSTE POUR OPPOSER LES MESSAGES DE RECRUTEMENT D’AL-SHEBAB
PAR LE LIEUTENANT-COLONEL DEO AKIIKI, MINISTÈRE DE LA DÉFENSE DE L’OUGANDA
Le lieutenant-colonel Deo Akiiki est le chef des communications stratégiques au ministère de la Défense de l’Ouganda. Il a mené des opérations militaires d’information afin d’opposer la propagande d’al-Shebab. C’est un expert qui conçoit des stratégies pour contrecarrer les récits extrémistes dans la presse écrite et les médias électroniques. Il détient une maîtrise en droits humains et gouvernance locale de l’Université Uganda Martyrs et il est diplômé du Programme d’études de la sécurité appliquée du centre Marshall. Cet article a subi des modifications pour l’adapter à ce format.
En tant qu’officier militaire ayant passé la majorité de ma carrière dans la gestion des communications et de l’information, et ayant servi dans des opérations en Ouganda et en Somalie — où l’Union africaine (UA) lutte depuis près de 10 ans pour démanteler al-Shebab —, j’ai vu des efforts considérables déployés pour lutter contre le terrorisme. Il est grand temps que les opérations d’information — et en fait les récits de riposte — soient prioritaires en tant qu’arme performante pour faire face au terrorisme.
La région de l’Afrique de l’Est est un point sensible pour les activités terroristes. Parmi les groupes terroristes de la région, on compte al-Qaïda, al-Shebab, le Front démocratique allié, l’Armée de résistance du Seigneur, al-Ittihad al-Islami et al-Muhajiroon. Tous ces groupes ont recours à la propagande par le récit comme arme préférée. Ces récits ciblent les habitants de l’Afrique de l’Est, la diaspora de l’Afrique de l’Est, les forces appartenant aux terroristes et les combattants terroristes désengagés.
La force des terroristes provient de la façon dont ils communiquent, du moment où ils communiquent et de ce qu’ils communiquent à leurs audiences cibles. Il existe de nombreux exemples de terroristes qui ont recruté et assuré le mentorat de leurs combattants grâce au pouvoir des opérations d’information. À Brava en Somalie, un terroriste né aux États-Unis a confessé qu’il avait été recruté en ligne. En outre, au cours des 10 dernières années, des membres capturés d’al-Shebab ont confessé que, ayant cru aux récits d’al-Shebab, ils avaient détourné leur attention des informations différentes ou contradictoires.
Les commandants militaires doivent accepter le fait que les terroristes jouent à ce jeu avec succès depuis longtemps. Il est temps de reconsidérer sérieusement la guerre de l’information. Le conflit somalien est fondé sur des aspirations contradictoires ; c’est un combat qui se déroule autant dans l’esprit des Somaliens que sur les champs de bataille. La plupart des actes terroristes sont commis en fonction de cette base idéologique qu’al-Shebab a fomentée, et qui fait apparaître les actes extrémistes comme étant justes.
Pour contrecarrer un tel phénomène, la mission de l’Union africaine en Somalie (AMISOM) doit non seulement attaquer et dégrader le leadership et les capacités d’al-Shebab, mais aussi délégitimer et contrecarrer l’attrait de son idéologie. Cela nécessite de faire face aux conditions sous-jacentes que les terroristes exploitent pour propager leur idéologie extrémiste.
Pour que l’AMISOM et les forces armées nationales somaliennes continuent à façonner les opérations d’imposition de la paix en cours en Somalie, la perception du public doit aussi être remodelée. Des campagnes fondées sur des récits de riposte, conçues pour transmettre des messages aux audiences ciblées et pour promouvoir des thèmes qui se traduiront par des attitudes et des comportements souhaitables, feront fortement avancer la lutte contre le terrorisme.
Les récits des terroristes
Les récits des terroristes peuvent sembler peu plausibles mais sont néanmoins bien reçus, puisque ceux-ci sont personnalisés pour cibler des personnes qui n’ont que peu d’accès à des informations différentes. Examinons quelques-uns des mensonges qui sont propagés ainsi.
La nécessité de renverser la tendance à la marginalisation des Musulmans : les groupes terroristes ont œuvré avec acharnement à asseoir l’idée au sein de la communauté musulmane qu’elle est marginalisée par le gouvernement central. Chaque action du gouvernement doit tenir compte de l’impact sur la communauté musulmane, sinon elle est sans valeur.
Le besoin d’établir un état islamique : ils continuent à promettre à leurs adhérents une victoire certaine accompagnée des récompenses divines qui s’en suivront. Selon eux, cela ne pourra se produire qu’en présence d’un état islamique régional qui soit pur.
Le besoin de vaincre l’influence « occidentale satanique » : les terroristes accusent les puissances occidentales d’exploitation et de manipulation, aussi les groupes militants doivent-ils lutter pour la souveraineté de leurs états.
Les cibles terroristes en Somalie
Au fil des ans, les terroristes d’al-Shebab ont ciblé certaines audiences en Somalie par leurs messages, en utilisant l’Internet comme arme pour diffuser leurs activités en temps réel et afficher des informations trompeuses.
Leurs efforts conduisent surtout à des actes contre les soi-disant infidèles, dans ce cas les troupes de l’UA provenant de pays non musulmans. Le langage utilisé est censé évoquer une lutte religieuse. Ils détournent l’attention de l’audience des actions odieuses en se concentrant sur un sujet attrayant. Aller à l’encontre de récits de ce genre demande des actions non cinétiques. Pour diluer les messages des terroristes, les récits de riposte doivent être bien conçus et circuler autant, sinon plus, que ceux des terroristes.
Dans une large mesure, al-Shebab a réussi à présenter l’AMISOM comme une force d’occupation. Aucun pays ni aucune personne ne serait à l’aise face à l’occupation du territoire par des étrangers. Les pays occupés ont sacrifié tout ce qu’ils pouvaient pour débarrasser leur territoire des forces étrangères. Ce concept a été facilement accepté par les audiences d’al-Shebab et a en effet diminué la légitimité des forces de l’AMISOM dans les esprits des Somaliens et de la diaspora.
Les récits axés sur le recrutement des combattants locaux ou étrangers, notamment à l’aide de plates-formes en ligne, constituent la norme et la méthode la plus facile pour attirer les combattants potentiels. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes utilisent les médias sociaux. En conséquence, ils constituent une cible privilégiée des terroristes.
Afin de contrôler et de galvaniser l’esprit des troupes, les terroristes, et en particulier al-Shebab en Somalie, n’ont pas épargné leurs propres forces, les soumettant à la machinerie de propagande. Le groupe promet des récompenses divines telles que celles décrites dans les textes sacrés et encouragent leur troupes à lutter pour restaurer l’islam. Les recrues sont encouragées à combattre et à vaincre l’influence occidentale. Des histoires à succès fausses sont présentées pour dynamiser le moral des troupes. Grâce à cela, les combattants continuent à lutter dans une grande mesure pour ce qui reste, dans leur esprit, une cause « juste ».
Ceux qui se sont désengagés des activités terroristes, qui ont été capturés ou qui se sont rendus sont appelés traîtres. Ceux-ci sont menacés d’une mort douloureuse, ainsi que les membres de leur famille. Ces menaces ont découragé les anciens terroristes, les forçant à se cacher continuellement et à craindre pour leur vie, plutôt que de réintégrer la société ou de participer à la lutte contre le terrorisme.
L’AMISOM et les troupes gouvernementales et autres forces participantes, non seulement en Somalie mais dans le monde entier, ont été ciblées par la propagande des terroristes. Les gardiens de la paix et les gouvernements africains sont représentés comme des instruments des pays occidentaux plutôt que des libérateurs qui assument leurs responsabilités panafricaines. Ceux-ci sont considérés comme des forces d’occupation, et les troupes sont encouragées à considérer leurs chefs et leur gouvernement comme des égoïstes qui luttent pour une cause injuste. Dans une telle situation, si les troupes ne sont pas bien motivées et informées, cela peut affecter leur état d’esprit et favoriser leurs adversaires.
Les captures et les défections truquées sont également utilisées pour faire apparaître les terroristes comme victorieux. Même lorsque de tels incidents se produisent réellement, leur importance est exagérée et largement disséminée pour dégrader le moral, décourager les troupes et leurs commandants, ou même éroder la volonté des pays participants afin d’aboutir à un retrait de leurs contingents. Il n’est pas étonnant qu’à chaque intervention des soldats de l’AMISOM occasionnant un nombre important de morts en Somalie lors d’un combat contre al-Shebab, le premier récit provenant des médias et des autres plates-formes est un appel au retrait des forces de la coalition. Ce raisonnement reflète la propagande d’al-Shebab et non pas la logique des pays qui ont contribué leurs troupes.
Opposer les récits
En tant qu’acteurs mondiaux contre le terrorisme, nous devons utiliser pleinement les médias et nous engager dans tous les débats, encourager l’implication des communautés et découvrir de nouvelles façons d’opposer les récits terroristes. Des intervenants sélectionnés avec soin doivent servir à briser le monopole de l’information exercé par les terroristes et destiné à leurs audiences cibles.
Les approches suggérées détaillées ci-après peuvent être intégrées aux concepts des opérations de l’AMISOM, pour contrecarrer les opérations psychologiques d’al-Shebab. Elles peuvent être utilisées séparément ou combinées en fonction d’une analyse minutieuse et d’informations factuelles concernant al-Shebab et ceux qui vivent dans les zones contrôlées par le groupe. Par exemple, il est important de savoir comment la population perçoit généralement al-Shebab, le gouvernement somalien et la coopération entre le gouvernement et l’AMISOM, pour concevoir un message convaincant.
Des réfutations fondées en réponse à chaque point des récits terroristes doivent être affichées en ligne et par d’autres moyens pour discréditer complètement le message et, implicitement, les autres messages émanant de la source. Les messages doivent être conçus de façon à détourner l’attention de l’audience des points soulevés par les terroristes.
Isoler les citoyens des influences extérieures à l’aide d’un conditionnement préalable contre l’endoctrinement. De cette façon, ils rejetteront automatiquement les messages des terroristes.
Les efforts pour interpeler les combattants terroristes étrangers doivent se concentrer sur des arguments juridiques, religieux, sociaux, diplomatiques et autres. En fonction des capacités et des ressources disponibles, les récits des terroristes peuvent être facilement contrecarrés pour réorienter l’opinion des gens et neutraliser la propagande.
Finalement, la lutte contre le terrorisme est une « guerre » caractérisée par les idées, les perceptions et l’esprit. Il est communément accepté que les récits des terroristes ont été une arme décisive en leur faveur. Ces récits constituent les histoires concurrentes que nous avons essayé de contrecarrer chez nous dans l’Ouganda, en tant que petit pays, et dans presque toute la région, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.
La coopération mondiale pour opposer ces récits est susceptible de dégrader le pouvoir des terroristes à justifier les tactiques violentes aveugles, à propager les idéologies radicales et à attirer de nouvelles recrues et de nouveaux sympathisants. Nous ne devons jamais céder de territoire sur ce champ de bataille idéologique.