La qualité des formations et des institutions prévaut sur la quantité
Le Kenya se remettait à peine de l’attaque sanglante du centre commercial Westgate, à Nairobi, en 2013, lorsque les extrémistes d’al-Shebab lancèrent une autre attaque très médiatisée, sur le pays.
Le 2 avril 2015, les militants, basés en Somalie, ont pris d’assaut le campus de l’université de Garissa, tuant immédiatement deux gardes de sécurité et ont ensuite tiré aveuglément sur les étudiants.
« C’était horrible ; cela tirait de partout », a déclaré à la BBC Augustine Alanga, étudiante.
Eric Wekesa, lui aussi étudiant, a raconté à Reuters qu’il s’était enfermé dans sa chambre. « Tout ce que j’ai pu entendre de ce qu’ils disaient c’était ‘Nous sommes venus pour tuer ou finir par être tués’. C’est ce qu’ils ont dit ».
Selon la BBC, quatre terroristes encerclés dans un dortoir ont été tués lorsqu’ils ont déclenché leur gilet explosif. Un cinquième terroriste a été arrêté. Lorsque les tirs ont cessé, au moins 147 étudiants avaient été tués et plus de 500 d’entre eux avaient réussi à s’enfuir, dont 79 blessés.
Dans les jours qui ont suivi le massacre à l’université, le président kényan, Uhuru Kenyatta, a annoncé que le gouvernement allait accélérer le recrutement de 10.000 agents pour la police nationale afin de renforcer la sécurité dans le pays. L’inspecteur général de police Joseph Boinett a déclaré plus tard au quotidien The Star of Nairobi que la durée de la formation passerait de 15 à 9 mois pour rationaliser le processus.
Les 10.000 nouvelles recrues du Kenya seraient réparties en 6.000 policiers et 4.000 agents administratifs. En avril 2015, une foule enthousiaste a commencé à se présenter dans les 290 postes à travers le Kenya. « Jusqu’à présent la participation est très satisfaisante », s’est félicité Rashid Mohammed, commandant de police du quartier Dagoretti à Nairobi, auprès de World Bulletin. « Nous avons reçu plus de 1.400 candidats ».
« Le recrutement de cette année vient à point nommé », a déclaré Rashid Mohammed. « Notre pays a besoin de policiers pour pouvoir contrer efficacement les attaques d’al-Shebab. Nous avons actuellement une pénurie d’environ 30.000 agents de police. »
La réaction du Kenya aux attaques est compréhensible. Plus il y a de policiers, plus ils peuvent couvrir de terrain, intervenir dans plusieurs endroits immédiatement et riposter plus fermement en cas de catastrophe. Toutefois, établir un équilibre entre la prévention de situations de plus en plus dangereuses sur le terrain et la compétence technique et pédagogique est une tâche ardue.
LE PROFESSIONNALISME D’ABORD
Le Kenya n’est pas le seul pays africain à faire face aux menaces des extrémistes. Le Nigeria est sous la pression constante de Boko Haram, qui a étendu son rayon d’action, à travers la région du lac Tchad, au Cameroun, au Tchad et au Niger. Les terroristes ont attaqué la Tunisie et al-Shebab continue de mener des attaques dans son propre pays, la Somalie.
En raison de la montée de ces menaces et de la criminalité ordinaire et des patrouilles de circulation, la police est la force de sécurité la plus susceptible d’interagir quotidiennement avec le public. Ces contacts n’augmenteront que lorsque des pays comme le Kenya se mettront à consolider leurs forces. Établir une police professionnelle qui respecte l’État de droit et fait de la protection du public sa priorité sera essentiel.
Le Dr Sayibu Gariba, commissaire adjoint de la police nationale du Ghana, termine une mission de sept ans auprès de l’Union africaine à Addis Abeba, en Éthiopie, où il a servi comme instructeur en chef de la police pour la Force africaine en attente. Il était chargé de contrôler et programmer des cours et de « concevoir, mettre en œuvre et coordonner des exercices » pour des événements tels que l’exercice sur terrain Amani Africa II, prévu pour octobre/novembre 2015, en Afrique du Sud.
Sayibu Gariba a expliqué à ADF, qu’en matière de professionnalisme au sein de la police, il convient de souligner quelques points : le travail de la police doit toujours viser les fonctions fondamentales de sûreté et de sécurité ; la police doit rendre des comptes au peuple et au gouvernement et les agents de police doivent faire preuve d’innovation et être soumis à une formation continue parce que « le savoir n’est jamais statique ».
Les agents doivent aussi connaître le travail de la police. La profession a défini un corps de connaissances qui comprend les enquêtes, les patrouilles, le maniement des armes, le contre-terrorisme et autres. « Vous ne pouvez pas vous réveiller un matin et vous dire : ‘je suis agent de police’ », a expliqué Sayibu Gariba. « Avant d’être agent de police, il faut pouvoir maîtriser des compétences et comprendre certaines choses ».
Les policiers doivent aussi pouvoir réagir aux changements de situation dans la sécurité en actualisant leurs compétences. « Alors, si la police possède les compétences pour pouvoir agir en respectant la déontologie, nous pouvons dire que l’organisation policière est professionnelle, mais si elle n’en est pas capable, alors je ne pense pas que ce soit le cas », a-t-il ajouté.
Selon le Dr Gariba, l’un des problèmes de l’Afrique est que, parfois, les politiciens manipulent ou ignorent les critères d’entrée dans la police, en particulier en ce qui concerne l’éducation. Parfois les recrues commencent une formation avec un niveau d’éducation inférieur à la moyenne ; certains sont même illettrés, ce qui nuit à une formation adéquate. Le problème découle de la faiblesse des institutions gouvernementales. « Une organisation professionnelle devrait avoir des principes clairement établis selon lesquels quelqu’un peut entrer dans une profession », a insisté le Dr Gariba.
Toutefois, au final, ce ne sont pas les qualifications qui importent le plus pour être policier. « Le plus important c’est l’engagement envers son métier. La volonté de servir les gens, de leur apporter la sûreté et la sécurité, de leur fournir des services de police de manière responsable et transparente », a conclu le Dr Gariba.
« Mais ce que j’ai constaté c’est que certaines personnes, qui viennent du niveau le plus bas, ne sont pas dévouées à leur travail, parce que le plus important pour elles c’est d’avoir un travail. C’est l’un des problèmes que nous rencontrons. Ces gens-là ne se sentent pas concernés par leur travail ».
Parfois ce manque d’engagement peut attirer les gens vers le système, parce qu’ils croient qu’ils peuvent s’enrichir par la corruption. Le Dr Gariba cite l’exemple d’agents qui demandent à être affectés à la division de la circulation pour pouvoir extorquer de l’argent aux automobilistes.
LES BÉNÉFICES DE LA POLICE DE PROXIMITÉ
Une approche qui demande un sérieux engagement envers les idéaux du métier de policier est la police de proximité (PP). C’est une philosophie et une façon d’organiser le travail de police de sorte que les agents s’associent aux communautés pour apporter la sécurité et résoudre les crimes. En 2003, Saferworld, basé à Londres, a commencé à travailler avec PeaceNet, un réseau national d’organisations non gouvernementales kényanes, pour établir une police de proximité dans deux zones pilotes : Makina, un village du quartier très peuplé de Kibera, à Nairobi et Bulla-Pesa dans le comté d’Isiolo, dans l’ancienne province de l’est du Kenya.
Saferworld a collaboré avec diverses institutions gouvernementales et éducatives pour élaborer un programme de formation de la police de proximité. Selon son rapport de 2008, « La mise en place d’une police de proximité au Kenya », la PP englobe les principes de base suivants :
• Les services de police sont consentis et non imposés.
• Les agents de police doivent faire partie de la communauté et non se mettre à l’écart.
• Les agents de police collaborent avec la communauté pour en déterminer les besoins.
• La police s’associe au public et à d’autres instances.
• Les services de police seront adaptés aux besoins de la communauté.
• La police est responsable des services qu’elle fournit.
• Les agents fournissent un service de la plus haute qualité.
Les activités à chaque site pilote étaient différentes en fonction des besoins locaux, mais comprenaient la conscientisation de la police et des communautés sur la PP, l’établissement de centres d’information et de sécurité communautaire, un soutien au projet et des boîtes à idées anonymes pour encourager le partage d’informations sur la sécurité communautaire. Ces actions ont permis d’établir la confiance et de réduire la criminalité.
« La police a mené des campagnes de conscientisation et des journées portes ouvertes par lesquelles nous interagissons avec eux », a déclaré à Saferworld un membre du comité directeur de la PP. « Cela réduit la peur de la police et nous permet de nous sentir libres de signaler des activités criminelles au Kenya ».
Dans au moins un cas, le taux de criminalité a baissé de 40 pour cent et les écoles et commerces ont rouvert leurs portes. « Cela s’appuie sur une confiance accrue entre les agents de police et les habitants et sur la responsabilité de la police à l’égard des communautés participantes », a souligné le rapport.
Selon le Dr Gariba, la PP est utilisée à divers endroits à travers le continent, y compris au Ghana et dans l’opération hybride Union africaine-Nations Unies au Darfour. Bien qu’il souscrive à la philosophie sous-jacente à la PP, l’approche peut, selon lui, présenter certains problèmes.
« Vous savez, au Ghana il y a une langue que nous appelons akan, qui est twi. Ils appellent un policier ‘aban’ ce qui, en twi, signifie gouvernement », a-t-il expliqué. « Les gens perçoivent la police comme une antenne du gouvernement ».
Si la police veut changer cette perception et pénétrer dans les communautés dominées par la loyauté aux clans, où les relations sont fortes, elle devra faire en sorte d’être considérée comme faisant partie de la communauté et pas seulement du gouvernement.
DES INSTITUTIONS SOLIDES SONT ESSENTIELLES
Depuis plus de 10 ans que le programme PP a été lancé, le contexte des services de police a énormément changé au Kenya. Fin 2014, le gouvernement a dépensé plus de 655 millions de dollars pour la police, contre 264 millions de dollars en 2004, selon un rapport de Saferworld. Pendant cette période, le nombre de policiers est passé de 44.000 à 89.000, et le nombre de postes de police est passé de 340 à 547.
Un certain nombre de réformes ont été mises en place, incluant des changements dans la manière dont la police nationale est structurée et contrôlée. La police du Kenya et la police administrative ont fusionné pour créer la police nationale, placée sous l’autorité d’un inspecteur général de police. Selon Saferworld, cela a accru son indépendance et l’a libérée de toute ingérence politique dans le recrutement. La création d’un organe indépendant de surveillance de la police a renforcé la responsabilité.
Pour améliorer la sécurité, certains pays devront augmenter leurs effectifs de police. Mais la quantité n’est pas toujours la solution. Sans formation adéquate, la quantité ne résoudra pas les problèmes de sécurité. Les pays devront optimiser l’efficacité de leurs forces de police existantes. Les questions à considérer sont : les agents peuvent-ils être déployés de manière plus efficace ? Les centres de formation peuvent-ils être agrandis ? De nouveaux centres peuvent-ils être construits pour héberger le nombre croissant de recrues ? Le contre-terrorisme et d’autres compétences peuvent-ils être ajoutés au programme de formation ?
Le Dr Gariba estime que parfois la solution est aussi simple que d’avoir des chefs bien formés pour diriger les policiers, « parce qu’un bon chef est celui qui utilise les ressources dont il dispose pour atteindre ses objectifs ».
Dans certaines zones rurales, les habitants utilisent une police locale non officielle, parce que la police nationale n’y est pas présente. Cela entraîne toutefois le risque que des criminels, des barons de la drogue ou d’autres individus louches prennent le contrôle de la sécurité.
En fin de compte, une bonne police trouve ses bases sur de solides institutions. Les institutions sont solides lorsque les politiciens et les dirigeants manifestent la volonté politique nécessaire pour les bâtir et les maintenir.
« Si les gouvernements africains accomplissaient bien leur travail et respectaient la demande du peuple de fournir davantage de services de police, je pense qu’ils pourraient les étendre et couvrir tous les besoins de leur pays », a conclu le Dr Gariba.
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