Dans la courte histoire du Burkina Faso, un nom domine tous les autres : celui de Thomas Sankara.
Né dans une famille ouvrière catholique dans la ville de Yako, au nord du pays, Thomas Sankara s’est enrôlé dans l’armée à l’âge de 19 ans. Il a gravi les échelons, impressionnant ses camarades militaires par son charisme et son éthique du travail. À l’âge de 26 ans, il a assumé le commandement du prestigieux Centre national d’entraînement commando, où il a formé une force combattante d’élite. Ultérieurement, il est devenu secrétaire d’État à l’Information. Il était connu pour son habitude particulière de se rendre à son travail en vélo et même pour son habitude encore plus étrange d’encourager les journalistes à écrire des articles critiques à propos des malversations gouvernementales. Après un séjour en prison sur la base d’accusations fondées sur des considérations politiques, il a pris le pouvoir en 1983, à l’occasion d’un coup d’État bénéficiant du soutien populaire. Il avait 33 ans.
En tant que président, Thomas Sankara s’est fixé comme mission l’éradication de la corruption. Il a diminué son salaire et a demandé instamment que tous les ministres du gouvernement en fassent autant. Il a remplacé le parc officiel des Mercedes par des véhicules plus modestes, et lorsqu’il s’est rendu à New York pour prononcer un discours aux Nations Unies, il a fait dormir les ministres du gouvernement sur des matelas posés à même le sol, pour économiser de l’argent.
Il a également lutté contre les abus de pouvoir dans l’armée, renvoyant ceux qui ne satisfaisaient pas aux exigences les plus élevées. Il a mis en garde les militaires : « Un soldat sans formation politique et idéologique est un criminel au pouvoir. »
Ses attitudes non conventionnelles en ont fait un héros dans son propre pays, et son influence s’est répandue dans le monde entier. Il a adopté le rôle de porte-parole pour les déshérités et a commencé à prendre fait et cause pour des enjeux de plus grande envergure, notamment l’autosuffisance et les droits des femmes. Il a nommé des femmes à des postes ministériels élevés, les a encouragées à s’enrôler dans les forces armées, et a dénoncé les mariages forcés et la mutilation génitale féminine. « Les femmes portent à bout de bras l’autre moitié du ciel », déclarait-il.
Son aptitude à galvaniser la nation était célèbre. Il a lancé « l’opération vaccination commando », dans le cadre de laquelle 2,5 millions d’habitants ont été vaccinés contre la polio, la rougeole et la méningite en une semaine. Il a été le premier chef d’État africain à mettre en garde contre la désertification, et il a commencé des campagnes de plantation d’arbres dans le nord du pays pour contenir l’avancée du désert saharien. En 1985, il a commencé la « bataille du rail », pour laquelle ont travaillé des milliers de civils, dont beaucoup n’utilisaient que leurs mains nues, afin de construire une ligne ferroviaire reliant la capitale Ouagadougou aux mines de manganèse tout au nord du pays.
Son héritage concerne également l’unité nationale. Lorsqu’il a pris le pouvoir, le pays était appelé la Haute-Volta. Ses frontières étaient un vestige du colonialisme, et ses nombreux groupes ethniques considéraient qu’ils avaient entre eux peu de choses en commun. Pour contribuer à édifier une identité nationale, il a appuyé les efforts visant à préserver les coutumes et les langues autochtones, et il a changé le nom du pays en Burkina Faso, un amalgame de deux langues que l’on pourrait traduire par « le pays des hommes intègres ».
Toutefois, son mandat n’était pas exempt de controverse. Il a fait emprisonner des opposants politiques et a pris des mesures répressives contre les dirigeants syndicaux. Amnesty International a donné au Burkina Faso une note très négative en matière de libertés publiques et de droits politiques durant son mandat.
Du fait de ses exigences extrêmement élevées et de son message anticorruption, il ne s’était pas fait beaucoup d’amis au sein de l’élite politique. Le 15 octobre 1987, un attentat fut commis contre lui lors d’une réunion avec 12 autres responsables gouvernementaux. Tous furent abattus. Son corps fut démembré et enterré sous le couvert de la nuit. Nombreux sont ceux qui ont suspecté que le commandant en second et ami proche de Thomas Sankara, Blaise Compaoré, était de connivence. Ce dernier prit le pouvoir après l’assassinat.
Depuis sa mort, la stature de Thomas Sankara n’a fait que grandir, et il est évoqué comme un exemple de président au comportement éthique et humble. Au moment de sa mort, il n’y avait que 350 dollars sur son compte en banque. Son bien le plus conséquent était une simple maison en briques d’argile dont il remboursait encore le crédit.
« Les grands hommes, d’une certaine manière, irradient leur époque bien après leur départ », a déclaré Jean-Hubert Bazie, un journaliste burkinabè. « Parce que, c’est quand vous avez perdu quelque chose que vous vous rendez compte de sa véritable valeur ».