La réponse de l’Afrique à l’épidémie d’EBOLA
UN GÉNÉRAL OUGANDAIS À LA TÊTE DE LA MISSION DE L’UNION AFRICAINE POUR LUTTER CONTRE LE VIRUS MORTEL
Le général ougandais Julius Oketta s’est entretenu avec ADF, le 1er octobre 2014, sur le Mission de soutien de l’Union africaine contre l’épidémie d’Ebola en Afrique de l’Ouest (ASEOWA), dont il est le chef de mission. Il est arrivé à Monrovia, au Liberia, le 6 septembre, devançant d’autres déploiements. L’interview ci-dessous a été écourtée pour des besoins d’espace.
ADF : Pouvez-vous nous parler de votre parcours dans l’armée et au Parlement ougandais ?
Général OKETTA : J’ai gravi les échelons, je suis passé de commandant de peloton à commandant de division. J’ai été chef de la logistique et du génie militaire. Puis directeur de l’Unité approvisionnement et élimination au ministère de la Défense. Je suis devenu député, l’un des 10 membres du Parlement représentant l’armée.
ADF : Avez-vous pris part à d’autres missions de l’ONU ou de l’Union africaine, autres que la mission actuelle de lutte contre Ebola ?
Général OKETTA : Je suis actuellement membre du Fonds central d’intervention pour les urgences humanitaires des Nations Unies, à New York. Je participe aussi au Programme d’intervention en cas de pandémie, de l’état-major unifié des États-Unis pour l’Afrique (AFRICOM), qui participe depuis longtemps aux formations. Je suis le directeur national du Centre national de coordination des secours d’urgence en Ouganda et j’ai coordonné plusieurs interventions contre Ebola dans le pays et d’autres catastrophes tels que les glissements de terrain, inondations et beaucoup d’autres avec toutes les agences des Nations Unies et AFRICOM.
ADF : Quel est le statut actuel de l’ASEOWA ? Combien de personnes ont été déployées et quand le déploiement devrait-il être terminé ?
Général OKETTA : La mission de l’UA déploiera 200 membres du personnel médical, dont 54 médecins et infirmières. Ceci se fera en deux phases. Dans la première phase, 100 personnes et dans la deuxième aussi 100 personnes, en rotation, parce que les médecins travaillent pendant six semaines. Puis les infirmières travaillent pendant neuf semaines, en rotation avec les 100 qui sont en réserve. Notre opération initiale dure six mois. Si nous n’avons pas terminé, l’UA renouvellera notre mandat ici. [Depuis cette interview, l’UA a annoncé son intention d’envoyer 1.000 professionels de santé d’ici à la fin 2014].
ADF : Quelles sont les actions spécifiques de l’ASEOWA pour coordonner les armées et les forces de police libériennes, sierra-léonaises et guinéennes ?
Général OKETTA : La première est une réponse médicale. Notre personnel travaillera dans les UTE [Unités de traitement d’Ebola], comme celles construites par les États-Unis au Liberia. Certaines de nos équipes seront chargées de gérer ces UTE et certaines autres travailleront avec les unités de santé communautaires. Ainsi, dans le cadre de ce mandat de soutien médical, nous collaborerons avec le ministère de la Santé libérien et nous comblerons les lacunes. Mon deuxième domaine de travail est l’action humanitaire. Nos équipes aident à identifier les orphelins dans les familles touchées par Ebola. Le troisième domaine est la logistique. Nous faisons en sorte que notre personnel soit adéquatement protégé. Nous serons en contact avec les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, avec l’Organisation mondiale de la santé et avec d’autres partenaires pour être sûrs de disposer de la logistique nécessaire à la sécurité des membres du personnel – avant, pendant et après le traitement des cas d’Ebola – de sorte qu’ils soient plus confiants et qu’ils puissent se concentrer sur leur travail. Le quatrième domaine concerne la gestion de l’information. L’épidémie d’Ebola ne pourra être endiguée que si l’information, la juste information, atteint les membres influents des communautés.
ADF : Quelles sortes de précautions prenez-vous pour vous assurer que les personnes placées sous votre commandement sont protégées d’une contamination par le virus Ebola lorsqu’elles se trouvent dans ces zones ?
Général OKETTA : Nous partons du principe que nous ne savons presque rien du comportement du virus Ebola. Par conséquent, toutes nos équipes doivent suivre une formation de transition. Dans la première phase, elles se familiarisent avec les vêtements de protection, dans la seconde phase, elles exécutent des exercices factices et dans la troisième phase, elles passent aux véritables exercices d’UTE.
ADF : Avez-vous offert aux personnes placées sous votre commandement, qu’elles soient militaires ou civiles, des paroles d’encouragement ou d’inspiration au sujet de cette mission ?
Général OKETTA : Comme l’a dit le président des États-Unis, Barack Obama, il ne faut pas exagérer les choses, mais établir les faits au sujet d’Ebola. Ces personnes doivent donc connaître les faits, les choses à faire et à ne pas faire, les orientations, les limites, se protéger en gardant ses distances, etc. Toutes les procédures et expériences qui ont conduit d’autres personnes à commettre des erreurs et à être contaminées et les expériences de celles qui ont suivi les bons protocoles et n’ont pas été contaminées, ont été rapportées au personnel. Elles ont toutes bien compris et se sont rendu compte que la seule manière de s’en sortir était de voir la vérité en face et de faire les exercices.
ADF : Comment votre expérience dans la gestion des urgences nationales vous a-t-elle préparé à lutter contre l’épidémie d’Ebola ?
Général OKETTA : Le regretté Dr Matthew Lukwiya, du nord de l’Ouganda, était un de mes amis et lorsque l’épidémie d’Ebola s’est déclarée, il a été le premier à nous montrer comment faire face à la menace. Malheureusement, il ne savait pas qu’il était infecté et il est mort. Depuis ce moment, je me suis intéressé à la lutte contre Ebola et j’ai été très proche des personnels médicaux locaux, nationaux et internationaux. Alors, j’ai participé à tous les cas d’Ebola en Ouganda, parce que je me suis dit qu’un jour, un matin, je pourrais me réveiller avec Ebola sur le pas de ma porte. Alors, que fais-je pour aider ? Vous ne pouvez rien faire si vous n’en savez pas plus sur le sujet. C’est comme cela que je me suis intéressé aux maladies contagieuses qui touchent la communauté.
ADF : Alors quel a été votre rôle dans la réponse à certaines flambées d’Ebola en Ouganda qui ont commencé en 2000. Quels enseignements en avez-vous tiré ?
Général OKETTA : Dans le nord de l’Ouganda, j’ai participé physiquement avec les soldats, pour soutenir les autorités civiles, parce qu’elles étaient terrifiées. Puis dans toutes les autres régions du pays, j’ai coordonné les opérations en apportant un soutien au ministre de la Santé et en assurant le soutien des équipes, c’est-à-dire en coordination avec l’armée pour qu’elle fournisse des hélicoptères et des hommes et en veillant à ce qu’ils fassent ce qu’il faut faire. Et cela s’est vraiment bien terminé ; nous n’avons perdu aucun soldat et les civils étaient satisfaits. Je pense qu’en tant qu’autorité ou en tant qu’armée, en l’occurrence, vous êtes toujours le premier et le dernier sur un champ de bataille à faire face à toute éventualité dans la communauté.
ADF : Quel est le conseil le plus important que vous donneriez aux armées et aux polices nationales confrontées à une menace comme Ebola ou à une pandémie similaire ?
Général OKETTA : En premier lieu, le leadership commence par la capacité de réaction générale du pays – la capacité de réaction, toujours et encore. Et avec cette capacité de réaction, on doit renforcer les moyens médicaux. Je veux dire que les moyens médicaux de l’armée doivent correspondre au plan national, par exemple un plan pour les maladies contagieuses. On doit aussi créer un système d’alerte précoce, car si vous avez un bon système d’alerte précoce, vous aurez une réponse rapide.
ADF : Compte tenu de votre expérience, que pensez-vous de la manière dont ont réagi, jusqu’à présent, les forces libériennes, guinéennes et sierra-léonaises face à la menace d’Ebola ? Comment évaluez-vous la réponse militaire et sécuritaire jusqu’à votre arrivée ?
Général OKETTA : Je dirais que, dans un premier temps, la menace d’Ebola ne s’est pas manifestée clairement dans les trois pays. La réponse initiale n’a pas été très efficace. Ensuite, quand la menace a été détectée, l’intervention ne s’est pas faite à temps ; il y a eu un retard. Troisièmement, lorsque le problème a carrément surgi, l’armée de ce pays est immédiatement intervenue pour combler les lacunes, alors que les présidents des différents pays apportaient les messages de mobilisation d’aide reçue de la part d’autres amis.
ADF : À la mi-septembre, huit travailleurs humanitaires ont été tués et jetés dans une latrine en Guinée, ce qui prouve que la peur et une grande méfiance entourent encore cette menace d’Ebola. Est-ce que cette peur et cette méfiance diminuent ou est-ce que cela empire ?
Général OKETTA : Cela diminue maintenant, parce que nous sommes arrivés et que nous sommes acceptés à tous les niveaux. Avant cela, la réponse sur le terrain a été lente. Lente à donner des informations sur Ebola, lente à dépister les cas d’Ebola, lente à traiter les cas avérés ou les cas suspectés. Et, dans chaque communauté, lorsque cela arrive, il y a des gens qui diffusent inconsciemment de mauvais messages, sans savoir qu’ils disent de mauvaises choses. Nous avons apporté notre soutien au gouvernement dans les secteurs concernés et nous sommes très reconnaissants à la communauté internationale d’avoir insisté sur les bons messages. Et je vous assure que les choses sont en train de changer parce que la société civile, les jeunes, les femmes – beaucoup d’entre eux se sont rangés aux côtés du gouvernement pour accepter les messages sur ce qu’est Ebola. Alors le problème de la réaction négative envers les travailleurs humanitaires et d’autres personnes est en train de s’estomper. Tous ceux qui étaient dans le déni commencent à se faire connaître, mais il y a encore beaucoup à faire dans les régions éloignées, où les gens sont encore attachés à leur tradition de laver les cadavres et de manger de la viande de brousse alors que les singes et les chauves-souris sont suspectées de transmettre la maladie. Alors nous progressons maintenant avec les différentes forces d’intervention qui ont été mises en place pour aller dans ces villages pour rencontrer les chefs traditionnels, comme les chefs de clan et les sorciers, pour les convaincre que cela n’est pas vrai, de sorte que nous gagnions leur cœur et leur esprit pour qu’ils acceptent les messages. Et lorsque nous y serons parvenus, ils s’adresseront aux villageois pour leur dire : « Mesdames et messieurs, voici la vérité, arrêtez cela ». Et, à ce moment-là, nous aurons réussi à stopper la menace d’Ebola.
ADF : Pensez-vous, à ce stade, que l’ASEOWA et d’autres forces, telles que les États-Unis et les pays d’Afrique de l’Ouest peuvent endiguer et, finalement, éradiquer l’épidémie d’Ebola ?
Général OKETTA : Je suis convaincu que les forces internationales multiculturelles, qui sont réunies dans cette région, vont bientôt endiguer Ebola, au moyen de deux stratégies : l’une pour que les gens acceptent qu’Ebola existe, que ses conséquences sont réelles et qu’ils doivent se conformer aux mesures d’hygiène. Lorsque les communautés de la région auront compris que nous disons la vérité – que la mort est causée par ce virus et que les gens doivent cesser certaines pratiques traditionnelles – nous aurons gagné la première bataille. La deuxième bataille est d’arrêter le déni – ils commencent à se manifester – et d’aller voir un médecin dès les premiers symptômes. Nous pensons que d’ici peu, ces deux stratégies déboucheront sur une victoire durable et définitive.
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