Le vice-amiral Mathew Quashie, chef d’état-major des armées du Ghana, s’est entretenu avec ADF après avoir prononcé le discours liminaire le 25 juin 2014 à l’occasion du colloque académique de l’État-major unifié des États-Unis pour l’Afrique, au Centre international Kofi Annan de formation au maintien de la paix (KAIPTC) à Accra, au Ghana. Cette interview a été remaniée par souci de clarté et de concision.
ADF : Peut-être pourrions-nous commencer en parlant un peu de votre parcours personnel et professionnel, avec quelques-unes des fonctions que vous avez exercées et qui vous ont mené à votre poste actuel.
VICE-AMIRAL QUASHIE : Comme tout un chacun, j’ai commencé par les fondamentaux. J’ai suivi les cours d’introduction de l’école navale Britannia Royal Naval College de Dartmouth, dans le Devon, au Royaume-Uni. Dans la Marine, il faut suivre de nombreux cours techniques initialement. Je me suis spécialisé en communications. Ensuite, en rejoignant mon escadre, j’ai accompli mes tâches en tant qu’officier de quart, et enfin je suis devenu commandant en second. J’ai pris le commandement de plusieurs navires mais je pense que c’est lorsque je suis devenu capitaine de notre vaisseau amiral, l’Achimota, que j’ai exercé les fonctions les plus importantes. À cette époque nous avions un poste du nom de premier officier en service, aussi je suis devenu l’officier navigant ayant le plus d’ancienneté. C’est à ce titre que j’ai notamment été affecté au Liberia et ensuite en Sierra Leone pour les opérations de l’ECOMOG (Groupe de contrôle de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). J’ai occupé plusieurs fois des postes de commandement et également à l’état-major de la Marine. Les postes les plus importants que j’ai exercé ont été ceux de Major Général de la Marine ghanéenne, ainsi que celui d’officier général affecté au Commandement naval Est de la marine ghanéenne, de 2005 à 2009. Après cela, j’ai été chef d’état-major de la Marine du Ghana de 2009 à 2013, et c’était ma dernière nomination avant de devenir chef d’état-major des armées. J’ai également enseigné à l’école d’état-major ici et à l’école d’état-major au Nigeria. J’ai participé à quelques opérations de maintien de la paix des Nations Unies au Liban et au Sahara occidental. Au Sahara occidental, je suis devenu le chef de l’administration du personnel militaire.
ADF : Vous avez parlé de la nécessité d’une « transformation vers un secteur de la sécurité centré sur la population » au Ghana. Que cela signifie-t-il pour vous ? Ce n’est pas quelque chose qui est souvent mentionné par les militaires.
VICE-AMIRAL QUASHIE : Dans le passé, lorsque nous parlions de sécurité nationale, nous ne pensions qu’à l’intégrité territoriale de la nation. Et le plus souvent les gens oublient les enjeux qui influent sur la sécurité nationale, lesquels peuvent parfaitement être décrits comme étant « centrés sur la population ». Si vous avez des conflits, les gens souffrent. Dans les zones où il y a des conflits, comme dans le nord de notre pays et parfois dans l’est, les gens se retrouvent sans abri. Vous avez les inondations, qui sont une menace pour la sécurité et qui affectent la population. Vous avez les incendies qui affectent la population. Si les choses ne vont pas bien et que l’économie ne va pas dans la bonne direction, cela ralentit le développement. Cela affecte la population au niveau de l’éducation, de la santé et peut-être même de l’alimentation. Donc si ces choses ne sont pas rectifiées, cela touchera à la sécurité de l’État, dans la mesure où elles engendreraient des troubles sociaux et du chômage. Donc je pense qu’avec le temps, à travers le monde, on s’est rendu compte que la sécurité n’était pas seulement la sécurité physique que vous constatez. Les problèmes de la santé, de l’éducation, de l’emploi, toutes ces choses, si on ne s’emploie pas à les résoudre adéquatement, vont entraîner des problèmes de sécurité. Il est impératif que nous prenions en considération les besoins de l’être humain et que nous nous penchions sur ces questions. Je pense que si nous sommes en mesure de faire cela, alors nous aurons la paix et la tranquillité, et le pays pourra se développer.
ADF : Quel est le rôle de l’armée à cet égard ?
Vice-amiral Quashie : Vous savez, le plus souvent, lorsque des conflits surviennent, la police à elle seule ne peut suffire à les maîtriser. La plupart du temps, les policiers sont dépassés par les événements et alors, constitutionnellement, ils peuvent bénéficier de l’assistance des militaires. Aussi, à chaque conflit qui survient, nous sommes en attente. Lorsque vous avez des inondations, nous mettons à disposition nos sapeurs pour réparer les ponts et les routes. Nous intervenons en cas de départ d’incendie et d’effondrement de bâtiments. Je dirais que l’armée est toujours prête, professionnelle et systématique. Les militaires accomplissent ce genre d’actions mieux que d’autres organisations. C’est le type de relation que nous avons en matière d’assistance à l’autorité civile.
ADF : Naturellement, l’armée ne peut pas être partout, et la police ne peut pas être partout non plus. Dans maints endroits, notamment dans le nord du Ghana, les figures les plus importantes sont les chefs traditionnels. L’armée s’efforce t-elle d’établir des partenariats avec ces chefs traditionnels pour apporter la sécurité ?
Vice-amiral Quashie : Nous avons en place différents niveaux d’arrangements en matière de sécurité dans les districts et les régions de l’ensemble du pays. Nous disposons des DISEC (Comités de sécurité interne de district) et des REGSEC (Comités de sécurité régionaux). Ces comités comptent des militaires parmi leurs membres. Ce sont ces personnes qui collaborent avec les chefs locaux. Ainsi, l’armée n’intervient pas directement, sauf dans le cas où elle est appelée à agir si besoin, et c’est à ce moment-là que nous pouvons traiter avec les chefs. Toutefois, en règle générale, ce sont les organes régionaux et de district, dont l’armée fait partie, qui abordent les chefs locaux dans la phase initiale et qui entament la collaboration. Par exemple, si l’armée est présente dans le Bawku (une région du nord du Ghana où il y a eu des combats interethniques), nous veillons à être toujours en phase et en contact avec le chef local, afin de pouvoir ensemble contribuer à instaurer la paix dans cette région.
ADF : Le Ghana a récemment investi dans la protection et la surveillance de son espace économique exclusif. Ceci comprend la protection des voies maritimes, de l’extraction de produits énergétiques et des droits de pêche. Le Ghana a investi dans des outils de haute technologie destinés à une meilleure connaissance de la situation maritime, et est en train de créer une unité de forces spéciales de la Marine pour une intervention rapide en cas de menaces maritimes. Pourriez-vous décrire ces initiatives et expliquer pourquoi elles sont importantes ?
Vice-amiral Quashie : Je dirais qu’il y a environ une dizaine d’années, nous éprouvions des difficultés à assurer le maintien et la direction de la Marine, mais entretemps, il y a eu la découverte du pétrole. Dans des pays tels que le nôtre, même si nous possédons un littoral, nous n’étions pas très au fait des questions de stratégie et de sécurité maritimes. En conséquence, (historiquement) la plupart de nos problèmes de sécurité ont été centrés sur le domaine terrestre. C’était le cas, jusqu’à ce que les questions liées au trafic de drogue et à la pêche illégale deviennent prédominantes. Elles étaient présentes depuis longtemps, mais les nouvelles menaces et les nouvelles tendances, comme par exemple l’utilisation de vastes étendues marines par les trafiquants de drogue, ont rendu impérieuse la nécessité de s’y attaquer. Et ensuite, lorsque nous avons découvert les gisements pétroliers, nous avions déjà appris d’autres pays comment la protection des réserves et des ressources pétrolières pouvait constituer un important [défi pour] une nation. Aussi y a-t-eu un réveil et un certain changement de cap, l’attention accordée prioritairement aux problèmes terrestres étant quelque peu réorientée vers la prise en compte des questions de sécurité maritime. À partir de cela, nous avons dû rapidement consacrer de nouvelles ressources à la Marine pour être en mesure de relever ces nouveaux défis contemporains. C’est donc ainsi que nous avons opté pour le renforcement de la flotte ; nous avons construit une cale de halage (sur la base navale occidentale de Sekondi), nous avons obtenu des installations destinées à la surveillance des navires, et nous avons récemment ajouté le système informatique de gestion du trafic des navires, qui a été mis en place par l’autorité maritime du Ghana conjointement avec la Marine. L’Armée de l’air participe également activement aux patrouilles maritimes. Nous nous efforçons donc d’établir une liaison entre toutes ces ressources maritimes et les diverses parties prenantes pour être en mesure de mobiliser les ressources et patrouiller efficacement dans nos eaux territoriales.
ADF : Quel a été l’impact ?
VICE-AMIRAL QUASHIE : Ces initiatives ont commencé à porter leurs fruits. En effet, récemment, bien que des actes de piraterie aient lieu dans le golfe de Guinée, nous constatons que les bandits se livrent à leurs actes à partir de notre frontière orientale avec le Togo, et qu’ensuite ils se déploient au grand large, loin du Ghana, et que lorsqu’ils se redirigent vers la terre ferme, ils sont dans un autre pays. Ils agissent de la sorte parce qu’ils savent que nous avons une Marine formidable qui patrouille dans nos eaux territoriales pour veiller à notre sécurité.
ADF : Que fait le Ghana pour sécuriser ses frontières terrestres ?
VICE-AMIRAL QUASHIE : Nous disposons du CEPS (service des douanes, du droit d’accise et de la prévention), et du Service de l’immigration qui traitent prioritairement des frontières, et puis de la police qui est répartie sur tout le territoire. Ces services collaborent ainsi pour effectuer des fouilles, tantôt des fouilles aléatoires, tantôt des fouilles systématiques aux frontières. Notre président est le président en exercice de la CEDEAO (la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest), et, du fait des problèmes existant au Mali et des activités de Boko Haram au Nigeria, il a convoqué une réunion des responsables de la sécurité de la sous-région. À cette occasion, l’un des problèmes principaux dont nous avons pris conscience est qu’il nous était nécessaire de collaborer au niveau des patrouilles frontalières. Ceci sera mis en place et contribuera grandement à tenir en échec les activités criminelles transfrontalières.
ADF : Vous avez également mentionné le maintien de la paix. Le Ghana a une riche histoire de contribution aux opérations de maintien de la paix. Environ 80 000 soldats de la paix ghanéens ont servi dans le cadre de 31 missions des Nations Unies dans ces quarante dernières années. Quelle est la philosophie du Ghana lorsqu’il est question de décider de la participation à une mission de maintien de la paix, en particulier sur le continent africain ?
VICE-AMIRAL QUASHIE : Le Ghana a une politique étrangère dans le cadre de laquelle il s’efforce d’être en paix et d’avoir de bonnes relations avec tous les pays et de soutenir les organisations sous-régionales, régionales et mondiales. Ceci inclut la CEDEAO, l’Union africaine et les Nations Unies. C’est donc notre mandat essentiel ainsi que la philosophie sous-tendant notre politique étrangère. Aussi, dans quelque endroit du monde où il y ait un problème, nous nous tenons prêts à aider si cela est possible. Toutefois, les contraintes sont telles que nous devons également nous occuper de notre sécurité intérieure. Nous intervenons à présent dans cinq pays: en Côte d’Ivoire, au Mali, au Liberia, en République démocratique du Congo et au Soudan du Sud. À l’évidence, nous estimons que nous avons assez d’obligations pour le moment, en prenant en considération la force de notre armée, notre population et notre niveau de ressources. Tels sont nos éléments d’appréciation. Comme je l’ai déclaré plus tôt, nous voulons être un partenaire mondial pour les opérations de maintien de la paix.
ADF : Avec le Président John Dramani Mahama assumant la présidence de la CEDEAO, vous avez un rôle de leadership dans l’organisation régionale. Comment cela se traduira-t-il ?
VICE-AMIRAL QUASHIE : Oui, je deviens automatiquement le président du Comité des Chefs d’état-major de la CEDEAO. Comme vous le voyez, toutes ces institutions ont été créées pour faciliter la sécurité sous-régionale. Nous avons la Force en attente de la CEDEAO, qui est en train de se transformer. C’est cette force qui a été à l’initiative de l’intervention au Mali, la MISMA (Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine), avant que les Nations Unies n’arrivent et prennent la relève. Aussi essayons-nous d’être en première ligne. Nous essayons de trouver une solution intérieure aux problèmes avant de solliciter l’assistance de l’organisation internationale.
ADF : Avez-vous un espoir ou une vision pour l’avenir de la Force en attente de la CEDEAO ? Pensez-vous qu’à l’avenir, si se produit une crise telle que celle du Mali, il y aura une force de l’Afrique de l’Ouest prête à se déployer rapidement ?
Vice-amiral QUASHIE : Le concept est encore en phase d’élaboration. C’est une nouvelle mission à prendre en charge. Les difficultés relèveront de la logistique. Le PIB de la plupart des pays africains est limité. Tels sont les défis, mais nous ne cessons jamais de discuter avec les entités de la communauté internationale pour voir de quelle manière elles peuvent au mieux apporter leur contribution. Et c’est ce qu’elles ont fait. L’Union européenne a apporté son aide au Mali en termes d’assistance et de formation, tout comme les États-Unis, le Royaume-Uni et d’autres pays. Ils ont tous participé pour fournir le soutien nécessaire.