La renaissance du pays suite à la guerre civile établit une nouvelle norme pour la reconstitution de l’armée
PERSONNEL D’ADF
Lorsque la guerre civile en Sierra Leone a pris fin en janvier 2002, le pays était en ruine. Le conflit avait fait environ 50.000 victimes, et il y avait plus de 2 millions de réfugiés, soit un tiers de la population. Des atrocités avaient été perpétrées. Les routes et les bâtiments étaient détruits. Les registres du pays avaient disparu. Il n’y avait plus de services de renseignement ni de système de sécurité. Le niveau de destruction des infrastructures était sans précédent; presque tout devait être reconstruit à partir de zéro.
La guerre, commencée en 1991, avait également laissé des ex-combattants en nombre pléthorique, des tensions politiques non résolues, un niveau de chômage élevé et une grande quantité d’armes légères en circulation.
Cinq ans après la fin de la guerre, pour la première fois en 20 ans, la Sierra Leone a organisé des élections nationales pacifiques sans l’aide d’une force de maintien de la paix. Aucun candidat à la présidentielle n’ayant obtenu la majorité nécessaire pour remporter l’élection, un deuxième tour a été organisé le mois suivant. La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a déclaré ces élections « libres, équitables et crédibles ».
Depuis lors, le pays a fait la preuve que ces élections ne devaient rien au hasard. En novembre 2012, la troisième élection générale depuis la fin de la guerre civile a eu lieu dans le pays. Malgré la présence de 10 partis politiques, la Sierra Leone a organisé avec succès des élections présidentielles, législatives et locales pacifiques.
Un rapport paru en 2009 et réalisé à la demande du Fonds commun pour la prévention des conflits mondiaux du Royaume-Uni a attribué aux Nations Unies et au Royaume-Uni le mérite d’être intervenus dans la guerre civile et d’avoir restauré l’ordre, tout en précisant également que le succès des élections était le fruit du travail du peuple sierra-léonais.
Le rapport a indiqué que les élections témoignaient de la réussite des réformes du secteur de la sécurité engagées par le pays.
« L’élément clé de cette transformation de la sécurité a été et continue d’être le leadership exercé par un certain nombre de hauts responsables du gouvernement sierra-léonais qui ont soutenu les efforts de réforme du système de sécurité sur une longue période, souvent dans des circonstances difficiles », précise le rapport. La réforme du secteur de la sécurité (RSS) du pays a été saluée comme un exemple à suivre par d’autres pays.
Les responsables politiques sierra-léonais, d’après le rapport, « ont pris des décisions extrêmement difficiles dans des délais très courts, sur le terrain et dans le cadre d’institutions étatiques inopérantes voire parfois non existantes ».
Les chercheurs ont conclu que le terme « réforme » ne faisait pas suffisamment justice à l’ampleur de la transformation qu’a connue le pays à cet égard. L’un des chercheurs a qualifié ce processus comme étant celui d’une « transformation complète des structures de sécurité » engagée sur plus d’une dizaine d’années. Le rapport du Royaume-Uni de 2009 a précisé que la transformation « s’exerçait en profondeur dans les institutions de sécurité internes et externes, modifiait les structures de commandement, apportait une formation du sommet jusqu’à la base et définissait des orientations, procédures et comportements en matière de dotation en personnel ».
En décembre 2013, le Centre d’études stratégiques de l’Afrique a organisé un atelier réunissant des responsables de la sécurité de dix pays d’Afrique centrale. L’intervenant Ismail Tarawali, de l’Office de la sécurité nationale de la Sierra Leone, a précisé que la RSS de son pays a été engagée en établissant clairement que tous les citoyens devaient être impliqués.
« Les Sierra-Léonais étaient insatisfaits de ce qu’ils considéraient comme étant une définition corrompue de la sécurité, un concept de la sécurité presque exclusivement axé sur la survie du régime », a expliqué Ismail Tarawali. « Tout aussi problématique était l’approche traditionnelle de la sécurité, centrée sur l’État. Au lieu de cela, les Sierra-Léonais ont adopté une conception englobant tous les aspects de la sécurité, une vision qui plaçait le citoyen au centre du processus national de l’instauration de la sécurité. »
À cet effet, le pays a créé un Office civil de la sécurité nationale. L’office a établi des normes visant à la restructuration de la police, des forces armées et des réseaux de renseignement. Ismail Tarawali a indiqué que la restructuration allait du niveau du village au niveau national.
« Honnêtement, il y a avait une forte pression exercée par nombre de Sierra-Léonais pour suivre le modèle libérien consistant à démanteler l’armée tout entière et à la reconstruire intégralement », a observé Ismail Tarawali. « Ceci a suffi à convaincre l’armée et la police de la nécessité de s’engager résolument dans la réforme, ne serait-ce que pour restaurer leur prestige notoirement mis à mal aux yeux de leurs compatriotes. »
La Sierra Leone n’est pas un endroit où il est facile de promouvoir la paix. Le pays compte environ 16 groupes ethniques, chacun avec ses propres coutumes et sa propre langue. L’anglais est la langue officielle du pays, mais sa pratique n’est pas très répandue. Le pays bénéficie également de certains avantages d’ordre culturel. Bien qu’il soit en grande partie musulman, il compte aussi une importante population chrétienne, et il est réputé dans toute l’Afrique pour la coexistence pacifique qui y règne entre les deux groupes.
Avec une si riche diversité ethnique en Sierra Leone, Ismail Tarawali a indiqué qu’il était impératif d’inclure pratiquement tout le monde dans les réformes du secteur de la sécurité — des réformes qui devront s’étaler sur une bonne partie de la prochaine décennie.
« Nous avons réuni des représentants de la police, de l’armée, des organisations gouvernementales locales et internationales, des chefs traditionnels ainsi que des structures élargies de la société civile dans un Groupe de travail national, afin d’élaborer une vision stratégique de la sécurité pour la Sierra Leone à partir de laquelle notre nouveau cadre d’orientation en matière de défense et de sécurité nationale a été créé », a-t-il expliqué. « Les évaluations de la sécurité nationale qui ont vu le jour à partir de ce processus ont été associées à Vision 2025, un document d’orientation qui esquisse une vision de la situation à laquelle le pays devrait parvenir en 2025. »
UN « ÉTAT EN DÉLIQUESCENCE »
Le Dr Abu Bakarr Bah, originaire de Sierra Leone, maître de conférences à la Northern Illinois University, aux États-Unis, affirme qu’à la fin de la guerre civile, son pays natal était un « État en déliquescence ».
« Je dis souvent aux gens que la Sierra Leone a touché le fond », ajoute Abu Bakarr Bah. « Et une fois que vous touchez le fond, vous ne pouvez plus que remonter à la surface. »
Abu Bakarr Bah rappelle que l’armée avait « disparu » à la fin de la guerre. Pour lui, sa renaissance a commencé avec la démobilisation des combattants. « Une partie de ceux qui ont remis leurs armes et ont accepté la paix a été en fait intégrée dans la nouvelle force. »
Ensuite est venu le moment de former la nouvelle armée. « La formation avait deux composantes », précise Abu Bakarr Bah. « D’une part, la composante technique, les compétences militaires, telles que le tir. D’autre part, ce qu’ils appellent le professionnalisme, à savoir insuffler une vision d’une force qui soit disciplinée et contrôlée, c’est-à-dire contrôlée démocratiquement et par les civils. Les militaires ont été formés aux principes de base du fonctionnement d’une bureaucratie et à la gestion de l’avancement et des soldes. »
Le pays a institué la Commission anti-corruption de la Sierra Leone afin de traiter des problèmes spécifiques qui ont mené à la guerre civile.
« Concrètement, la corruption se ramène à trois sortes d’activités », explique Abu Bakarr Bah. » L’une est le versement d’un pot-de-vin : quelqu’un vous demande de lui donner de l’argent pour faire un travail qu’il est censé fournir gratuitement. Par exemple, si vous désirez retirer votre passeport du bureau de l’immigration, le fonctionnaire de l’immigration vous dira alors que vous devez lui donner de l’argent avant qu’il ne vous donne votre passeport à temps.
« Un autre type de corruption est la discrimination », poursuit-il. « Par exemple, deux personnes postulent pour un emploi. L’une d’entre elles est plus qualifiée, mais la personne la moins qualifiée obtient l’emploi parce que vous connaissez son oncle ou en raison de votre origine ethnique ou tribale.
« Le troisième type est le détournement de fonds pur et simple. Par exemple, il existe un fonds, doté de 10.000 dollars, pour construire une école, et les responsables dépensent 3.000 dollars pour l’école et ensuite trouvent toutes sortes d’artifices comptables pour empocher les 7.000 dollars restants. » Abu Bakarr Bah observe que la Commission anti-corruption consacre l’essentiel de son action aux détournements de fonds.
« La stratégie est de traduire effectivement les gens devant les tribunaux, mais en cherchant le règlement des affaires plutôt que d’engager une procédure judiciaire », affirme-t-il. « La stratégie est en réalité le recouvrement des fonds. Le raisonnement est que les procédures judiciaires n’aboutissent pas toujours à ce que les personnes remboursent les sommes d’argent. »
Avant la guerre civile, l’armée sierra-léonaise était considérée comme n’étant rien de plus que l’institution protectrice d’un régime corrompu. C’est cela qui, en partie, a mené à la guerre.
« En un certain sens, c’est effectivement la fonction de l’armée de préserver l’État », fait valoir Abu Bakarr Bah. « Le problème tient à la nature du régime. Dans la situation d’avant la guerre, les militaires étaient chargés de préserver un régime à parti unique et corrompu. Désormais leur tâche doit être de préserver véritablement un régime démocratique. Si l’armée a pour devoir de protéger les institutions de la démocratie et le système électoral, il n’y a pas de problème. »
AU-DELÀ DE L’ARMÉE
La réforme du secteur de sécurité ne concerne pas seulement l’armée. Dans les phases ultérieures des réformes de la Sierra Leone, le pays a commencé à étudier le fonctionnement de son ministère des Affaires internes et de ses services pénitentiaires. Suffisamment de temps s’est écoulé pour permettre à présent aux observateurs de noter ce qui a bien fonctionné et ce qui n’a pas bien fonctionné au cours du processus de réformes menées par le pays. Le rapport du Royaume-Uni de 2009 présente les conclusions suivantes :
- Avoir les personnes qualifiées en place et prendre des mesures « est plus judicieux qu’une planification détaillée, exhaustive et prenant beaucoup de temps ». Donner aux personnes qualifiées le pouvoir de prendre des décisions, et ensuite les laisser faire leur travail.
- L’appropriation nationale est d’importance cruciale, même au début du processus, lorsque le gouvernement est désintégré. L’aide extérieure, comme celle des Nations Unies, devrait revêtir la forme de conseillers plutôt que d’exécutants.
- La rotation des conseillers externes est « chroniquement élevée ». Par conséquent, il est crucial de mettre sur pied une bonne équipe nationale qui soit en mesure de s’accommoder de la succession régulière de conseillers. L’un des aspects les plus difficiles de la réforme du système de sécurité est de mettre en place et conserver une telle équipe nationale.
- L’équipe nationale et les intervenants extérieurs doivent élaborer une bonne stratégie de sortie pour les conseillers. Tout plan de réforme doit inclure une stratégie « à un stade tardif ».
- Si l’équipe nationale est trop petite, elle peut ne pas être utilisée à bon escient lorsque le pays devient instable. L’équipe nationale doit atteindre une certaine « masse critique » pour assurer sa viabilité dans les inévitables périodes problématiques.
Abu Bakarr Bah fait remarquer que l’envoi par la Sierra Leone de soldats de la paix dans d’autres pays est la preuve du chemin que l’armée a parcouru en matière de réformes. Le pays a déployé un contingent de 850 soldats, dont soixante-cinq femmes, dans le cadre de la Mission de l’Union africaine en Somalie.
À ce jour, en 2014, la Sierra Leone a obtenu des résultats impressionnants dans la réforme du système de sécurité. Toutefois, le pays est encore confronté à des problèmes majeurs. Au moment où les Nations Unies se sont retirées du pays en mars 2014 après quinze années d’opérations de maintien de la paix, les responsables ont averti que la Sierra Leone était toujours aux prises avec la pauvreté, le chômage, la corruption persistante et la nécessité de préserver l’état de droit. L’espoir demeure malgré tout.
Lors d’un discours prononcé en avril 2014, le Président sierra-léonais Ernest Bai Koroma a déclaré que les réformes de son pays étaient un exemple pour le reste du monde. « Aujourd’hui, non seulement nous figurons parmi les nations les plus pacifiques du monde, mais également nous exportons la paix et la sécurité à travers notre participation aux opérations de maintien de la paix en Somalie, au Darfour et dans d’autres régions du monde. »