LA RSS OFFRE STABILITÉ AUX GOUVERNEMENTS ET PROTECTION AUX CIVILS
PERSONNEL D’ADF Photos ASSOCIATED PRESS
Les dirigeants qui se penchent sur la nécessité de réformer le secteur de la sécurité (RSS) n’ont pas besoin d’aller chercher plus loin que la Guinée-Bissau, petit pays d’Afrique de l’Ouest. Aujourd’hui, ce pays de 1,7 million d’habitants est surtout connu comme narco-État, pour l’impunité avec laquelle les narcotrafiquants sud-américains peuvent y introduire de la cocaïne et l’acheminer vers l’Europe.
La Guinée-Bissau a été en proie à l’instabilité depuis l’obtention de son indépendance du Portugal, en 1974. Aucun de ses présidents n’y a mené à bien son mandat. L’Union européenne a commencé une RSS en 2008, mais a suspendu son intervention deux ans plus tard à la suite d’un coup d’État. Selon le Centre de ressources pour la réforme du secteur de la sécurité, rien qu’entre 2009 et 2012, il y a eu six assassinats politiques majeurs et trois tentatives de coup d’État.
Quatre mois après la mort du président Malam Bacai Sanhá, de cause naturelle, en janvier 2012, des soldats bissau-guinéens ont arrêté le principal candidat à la présidence et ont pris le contrôle du gouvernement et des médias. Quelques mois plus tard, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a collaboré avec le gouvernement de transition pour mettre en place un plan incluant la RSS, ravivant ainsi l’espoir que l’intransigeance passée ferait place à une véritable réforme. Naturellement, le scepticisme demeure.
À l’inverse, dans la région des Grands Lacs, le Burundi a remporté un certain succès dans ses efforts pour mettre en place une RSS. Un panel organisé en 2012 sur la RSS en Afrique de l’Est a conclu que le Burundi était « à la croisée des chemins ». Les forces de sécurité, autrefois déséquilibrées par des questions d’ethnicité, de région et de politique se sont améliorées par le biais de l’intégration et de la démobilisation. Les Burundais servent dans la Mission de l’Union africaine en Somalie et dans d’autres missions de maintien de la paix des Nations Unies. Mais, selon un rapport de Human Rights Watch, il reste encore beaucoup à faire pour prévenir les violations des droits de l’homme et pour renforcer le contrôle civil.
La RSS est mise en œuvre à travers tout le continent : au Burundi, en République centrafricaine, en Côte d’Ivoire, en République démocratique du Congo, en Guinée Bissau, en Guinée (Conakry), au Liberia, en Libye, en Somalie et au Soudan du Sud, les actions de RSS sont en progrès et sur la voie du succès. Les pays désirant appliquer la réforme du secteur de la sécurité doivent adhérer à certains principes importants et s’engager dans un long processus exigeant beaucoup de patience et de discipline.
DÉFINITION DE LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ
Il n’est pas facile de définir la RSS, mais elle se caractérise par une série de principes directeurs. Des agences et organisations non gouvernementales (ONG) les ont interprétés à leur manière.
Selon les Nations Unies, la RSS est « un processus d’analyse, d’examen et d’application aussi bien que de suivi et d’évaluation, mené par les autorités nationales et visant à instaurer un système de sécurité efficace et responsable pour l’État et les citoyens sans discrimination et dans le plein respect des droits de l’homme et de l’État de droit. »
L’Équipe internationale de conseil au secteur de la sécurité (ISSAT), une division du Centre pour le contrôle démocratique des forces armées à Genève, recense un ensemble de principes fondamentaux.
L’ISSAT explique qu’une RSS efficace s’articule autour de ces axes prioritaires : tout d’abord son approche se fait par l’appropriation locale. Ses deux principaux objectifs sont une efficacité et une redevabilité accrues. Enfin, elle possède trois dimensions essentielles : la sensibilité politique, une vision holistique et une complexité technique. Ces thèmes sont développés ci-après.
Appropriation locale : la réforme doit être « conçue, gérée et mise en œuvre » par les responsables de la RSS dans le pays et non par des acteurs extérieurs. Cela n’est pas synonyme d’appropriation par le gouvernement. Au contraire, elle doit impliquer des gens de tous niveaux, en particulier ceux qui n’appartiennent pas aux secteurs de la sécurité et de la justice. Cela garantit que la RSS répond aux besoins locaux et qu’elle soutient la légitimité des responsables de la sécurité et de la justice. L’ISSAT souligne ce point : « Sans appropriation locale, la RSS est vouée à l’échec. »
Efficacité et redevabilité accrues : efficacité signifie simplement améliorer la sécurité pour accroître le bien-être du pays et de ses habitants. Il existe divers moyens d’y parvenir comme acquérir des compétences par la formation, la fourniture d’équipement et l’amélioration de l’organisation et de la gestion. La redevabilité demande des freins et contrepoids pour s’assurer que les acteurs du secteur de la sécurité respectent les lois et évitent les abus. Des codes de conduite, le contrôle parlementaire, la surveillance judiciaire et civile peuvent fournir un contexte formel de redevabilité. Des groupes de la société civile, des groupes religieux, les médias et les ONG peuvent fournir un contexte plus informel. Néanmoins, selon l’ISSAT, la redevabilité ne fait pas, en général, l’objet d’une grande attention. Cela peut entraver le bon fonctionnement de la RSS et hypothéquer son succès à long terme.
Sensibilité politique, vision holistique et complexité technique : les efforts en matière de RSS sont essentiellement des actions politiques. Selon l’ISSAT, « la RSS demande une compréhension et une sensibilité politique, des capacités d’analyse, de recherche et négociation, du tact et de la diplomatie ». La RSS doit être inclusive et flexible. Le temps et la patience sont essentiels.
La RSS est une entreprise holistique qui implique de multiples participants et parties prenantes : la défense, la police, les agences de renseignement, le système judiciaire, le contrôle par le public et le gouvernement, entre autres. Par exemple, si la RSS essaye de changer les forces de police, elle doit impliquer les secteurs judiciaire et pénitentiaire pour assurer son succès.
La RSS est aussi complexe sur le plan technique, en ce sens qu’elle demande du savoir et de l’expérience dans de nombreux domaines, y compris les différentes branches du secteur de la sécurité, la budgétisation, la logistique, la formation et autres. Les pays s’engageant dans la RSS devront trouver un juste équilibre entre expertise politique et technique.
CARACTÉRISTIQUES D’UNE RÉFORME RÉUSSIE
Selon Boubacar N’Diaye, président du Réseau africain du secteur de la sécurité, la Guinée-Bissau a échoué dans sa RSS parce qu’il lui manque les conditions de base nécessaires pour prospérer.
« C’est un processus politique, alors je pense que la principale caractéristique d’une RSS réussie doit être la véritable présence d’une volonté politique de l’exécuter, de la mener à bien », a déclaré le Mauritanien N’Diaye. « Et lorsque ces conditions sont réunies, la RSS a généralement une chance de succès. En l’absence de cette volonté politique, les pays sont voués à rester bloqués dans un cycle interminable de conflit et d’instabilité », a-t-il ajouté.
En plus de cette appropriation, N’Diaye a ajouté que les pays doivent être en mesure de mobiliser leurs propres ressources pour effectuer le travail. « Mal-
heureusement, beaucoup de pays africains en sont incapables et dépendent fortement, sinon entièrement, de l’aide étrangère, pour réaliser la RSS », a-t-il déclaré.
Beaucoup de pays qui ont le plus besoin de RSS sortent de conflits et de guerres civiles. En conséquence, la demande de ressources nationales – à des fins humanitaires ou infrastructurelles – peut être considérable, reléguant la RSS à l’arrière-plan. Dans certains pays, les hostilités se poursuivent, comme c’est le cas au Soudan du Sud. Bien que la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud comporte un élément de RSS, les conditions ne sont pas favorables à sa mise en œuvre.
Il faut ajouter à cela la nécessité d’une expertise compétente sur place et le soutien des membres des forces de sécurité, a expliqué N’Diaye. Le succès de la RSS repose sur l’engagement à plusieurs niveaux et il peut se passer plusieurs années avant qu’elle ne porte ses fruits et encore plus longtemps avant qu’elle ne soit achevée. Les succès de la RSS en Afrique restent un chantier permanent, a-t-il ajouté.
Le programme de l’Afrique du Sud a engrangé un certain succès parce que la volonté et la nécessité de réformer étaient fortes, au lendemain de l’apartheid, a-t-il dit. Dans une certaine mesure cela vaut aussi pour la Côte d’Ivoire et la Sierra Leone. Le contexte est différent en ce sens que les deux pays ont entrepris la RSS après des années de violents conflits : la Côte d’Ivoire dans le cadre de l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire et la Sierra Leone avec l’aide du Royaume-Uni. Les deux pays ont réalisé d’importants progrès, mais il reste encore beaucoup à faire.
« Comme vous le savez, le succès est tout à fait relatif et, bien sûr, la RSS est un processus à long terme », a déclaré N’Diaye. « Et, bien entendu, il peut se produire des retournements dramatiques et des changements de situation qui peuvent compromettre même les projets les plus prometteurs. En règle générale, les programmes de RSS ont été lancés dans les années 90, alors même d’anciens programmes comme celui de l’Afrique du Sud sont assez récents pour qu’il soit encore difficile de se prononcer. »
LES BÉNÉFICES DE LA RÉFORME
Lorsqu’elle est bien menée, une RSS efficace peut déboucher sur une armée professionnelle et diverse, qui respecte l’autorité civile. Dans « Advancing Military Professionalism in Africa », Émile Ouédraogo, député à l’Assemblée nationale du Burkina Faso et membre de la CEDEAO, a écrit que le professionnalisme militaire est ancré dans « la subordination de l’armée à l’autorité civile démocratique, dans l’allégeance à l’État, dans le respect d’une neutralité politique et dans une culture institutionnelle éthique. »
Aucun pays n’illustre probablement mieux cet idéal professionnel militaire que le Sénégal. Avec son modèle d’armée-nation, l’armée s’est engagée à préserver la paix, à protéger le peuple et à aider au développement économique et social. Cet engagement dure depuis 54 ans, le Sénégal n’ayant jamais subi de coup d’État et ayant toujours transmis le pouvoir sans heurts.
Le Botswana, le Cap Vert, le Mozambique, la Namibie, la Zambie et quelques autres comptent parmi les quelques pays africains dont le gouvernement n’a jamais été renversé par un coup d’État.
Les coups d’État, comme ceux qui ont eu lieu en Guinée-Bissau et ailleurs, ont un effet cumulatif négatif sur les chances de stabilité d’un pays. « Une fois le précédent d’un coup d’État établi, la probabilité de coups d’État ultérieurs augmente considérablement », écrit Ouédraogo. « En fait, sur les 65 pour cent des pays d’Afrique subsaharienne qui ont connu un coup d’État, 42 pour cent en ont connu d’autres par la suite. En revanche, les pays qui ne disposent pas de ressources naturelles abondantes et qui ont atteint un haut niveau de croissance durable sont pratiquement tous des pays où les coups d’État ont été rares ou inexistants. »
Finalement, la RSS reconnaît que les citoyens ont leur mot à dire quant à leur sécurité, a déclaré N’Diaye. Cela implique ceux qui ont été exclus – pour des raisons géographiques, ethniques ou de genre – et cela leur donne du pouvoir.
Il y a de fortes chances pour que les pays qui ne s’engagent pas dans la RSS continuent d’exclure des citoyens et placent la sécurité du régime avant celle des citoyens. Cette situation n’est pas tenable, poursuit N’Diaye, et entraînera des conflits et une instabilité permanents. « C’est le prix que les pays qui n’entreprennent pas de RSS devront payer un jour ou l’autre. »
RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ
1 Approche: APPROPRIATION LOCALE
2 OBJECTIFS: EFFICACITÉ, REDEVABILITÉ
3 DIMENSIONS: POLITIQUE, HOLISTIQUE, TECHNIQUE
LA RÉFORME DU SECTEUR DE LA SÉCURITÉ EN AFRIQUE
PERSONNEL D’ADF
Habituellement, une réforme du secteur de la sécurité (RSS) est lancée à l’issue d’un conflit. L’unité RSS du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies a commencé, ces dernières années, à appuyer le processus à tous les niveaux, généralement par le biais de missions de maintien de la paix des Nations Unies. Ces missions qui comportent toutes un élément RSS, sont représentées sur la carte.
Les Nations Unies fournissent aussi une aide par l’intermédiaire du Bureau des Nations Unies auprès de l’Union africaine à Addis Abeba, en Éthiopie, et du Bureau Afrique de l’Ouest des Nations Unies Unies à Dakar, au Sénégal. La Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie conseille le gouvernement et la Mission de l’Union africaine en Somalie sur divers sujets, y compris la RSS et la démobilisation des combattants.
L’Union africaine s’est jointe à l’effort de RSS. En janvier 2013, l’UA a adopté son « cadre conceptuel de politiques sur la réforme du secteur de la sécurité », qui cherche à établir des objectifs et des principes pour la RSS en Afrique et propose aux communautés économiques régionales, aux pays membres et à d’autres acteurs, des directives pour lancer des programmes de RSS. D’autres objectifs comprennent la fourniture de formations et de renforcement des capacités, et l’assistance dans des partenariats entre des organisations continentales et internationales.
Boubacar N’Diaye, président du Réseau africain pour le secteur de la sécurité (RASS), a déclaré que l’Union africaine encourage les pays à adopter la RSS. « Je reviens juste de RCA où notre mission était menée par l’UA pour évaluer les besoins en RSS de ce pays, a-t-il dit. L’Union européenne, le RASS et les Nations Unies aident l’Union africaine à améliorer sa capacité à poursuivre la mise en œuvre de son nouveau cadre politique. »
L’unité RSS du Département des opérations de maintien de la paix des Nations Unies soutient des missions sur le terrain qui appuient les efforts de RSS en :
- Facilitant les dialogues nationaux
- Élaborant des politiques, stratégies et plans de sécurité nationaux
- Renforçant le contrôle, la gestion et la coordination
- Formulant une législation sur le secteur de la sécurité
- Mobilisant des ressources pour des projets liés à la RSS
- Harmonisant l’aide internationale pour la RSS
- Fournissant des programmes d’éducation,de formation et en créant des institutions
- Suivant et en évaluant les programmes et les résultats
- Entreprenant une réforme du secteur de la défense
LÉGENDE
- Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation en République centrafricaine
- Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali
- Bureau des Nations Unies au Burundi
- Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo.
- Bureau intégré des Nations Unies pour le maintien de la paix en Guinée-Bissau
- La RSS est mise en œuvre en Guinée (Conakry) par le biais du Programme des Nations Unies pour le Développement
- Mission des Nations Unies au Liberia
- Mission des Nations Unies au Soudan du Sud
- Mission d’appui des Nations Unies en Libye
- Bureau des Nations Unies auprès de l’Union africaine (le Bureau est à Addis Abeba, en Éthiopie, mais il n’y a pas de RSS en cours dans ce pays)
- Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire
- Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest (le Bureau est à Dakar, au Sénégal, mais il n’y a pas de RSS en cours dans ce pays)
- Mission d’assistance des Nations Unies en Somalie