Des troupes tchadiennes s’allient à des formateurs américains et français pour préparer des opérations de maintien de la paix au Mali
PERSONNEL D’ADF
Lorsque le lieutenant-colonel Jeffrey Powell et son équipe de 68 formateurs ont débarqué au Mali, les conditions n’étaient pas idéales. Ils ont dû faire face à la chaleur, au manque d’équipements, aux barrières linguistiques et à une échéance serrée de 32 jours.
Membre du 5e escadron, du 4e régiment de cavalerie de l’armée américaine, le lieutenant-colonel Powell était venu préparer, conjointement avec une société de sous-traitance de défense française et des formateurs militaires tchadiens, 1.425 soldats tchadiens à un déploiement dans le cadre de la Mission intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA).
Dans un poste avancé, situé à 80 kilomètres de N’Djamena, la température atteignait 35 degrés Celsius. Par conséquent, la formation technique pouvait durer jusqu’à midi seulement avant que les soldats n’entrent en classe. Ils ne disposaient que de 50 armes pour l’entraînement. En outre, les instructions devaient être traduites de l’anglais en français puis dans un dialecte arabe local.
Confronté à ces obstacles, le lieutenant-colonel Powell a haussé les épaules. « Tant qu’ils sont motivés, tout est à peu près possible », a-t-il déclaré lors d’une interview après sa première journée d’inspection du camp.
32 JOURS, SIX EXERCICES
Pendant un mois, les soldats tchadiens du camp de Loumia ont exécuté six exercices de formation ou catégories d’apprentissage pour identifier et désamorcer des engins explosifs improvisés, établir des points de contrôle, mettre en place un poste d’observation, effectuer des patrouilles à pied, améliorer la précision de tir et attaquer une cible ennemie.
C’était un cours intensif de maintien de la paix moderne. Pendant les patrouilles à pied, les soldats apprenaient à contrôler une foule en colère et à identifier un terroriste parmi les civils. Aux points de contrôle, ils ont appris comment reconnaître visuellement les menaces et utiliser des miroirs pour détecter des bombes sous les véhicules. Pour surmonter la chaleur, les soldats tchadiens se sont entraînés à des techniques de nutrition et d’hydratation. Au champ de tir, ils ont appliqué des techniques respiratoires pour se calmer avant de tirer et ont appris à tirer sur une cible avec une pièce de monnaie en équilibre sur le canon du fusil.
Le lieutenant-colonel Powell a souligné que la formation d’une mission de stabilisation moderne, comme celle du Mali, doit être considérée comme une préparation à une zone de combat. Dans une opération de maintien de la paix, l’environnement peut changer d’un moment à l’autre.
« De nos jours, il n’en est pas autrement [de la préparation au champ de bataille et au maintien de la paix], a indiqué le lieutenant-colonel Powell. Il y a un très bon livre intitulé La Guerre à trois Volets. En résumé, il y est dit que vous devez être prêt à mener des opérations de maintien de la paix et d’imposition de la paix et à prendre des mesures décisives, le tout simultanément en trois volets. À mon avis, la formation à la norme de prise de mesures décisives permet de réduire les opérations. »
Les soldats ont travaillé avec une unité des Affaires civiles de l’armée américaine et ont appris les trois compétences prescrites aux soldats de la paix par les Nations Unies, à savoir la protection de la population, la prévention des agressions sexuelles et la prévention des violations des droits de l’homme. Plus tard, des responsables des Nations Unies ont testé les compétences des soldats dans ces domaines.
« C’est très important. Nous appelons ça le comportement », a expliqué le général à la retraite Jean-Michel Reydellet de Sovereign Global France, sous-traitant de la défense. « C’est la capacité du soldat à s’intégrer dans un autre pays et à en respecter la culture. »
Chaque unité de combat tchadienne a répété pendant au moins trois jours chacun des exercices avant de passer à une période d’évaluation. Les formateurs américains ont adapté un formulaire d’évaluation de l’armée pour noter les performances de chaque unité sur une échelle de un à cinq. La formation s’est terminée par un exercice de tir réel au cours duquel des escouades se sont lancées à l’assaut d’une cible. Ce type de manœuvre à tir réel au niveau d’une escouade était une première pour les forces tchadiennes à Loumia. Il s’est déroulé sans faire de blessés, d’après le lieutenant-colonel Powell.
Une autre formation menée à Loumia s’est concentrée sur la médecine de combat et l’évacuation médicale. Parmi les temps forts de la formation, les forces françaises ont fait venir un hélicoptère Puma depuis leur base proche de N’Djamena pour que les soldats tchadiens s’exercent à l’embarquement des blessés à bord.
Dans la semaine suivant la formation, les soldats répétaient tout seuls leurs exercices et avaient établi une « grille de synchronisation » pour effectuer le suivi de leurs progrès jusqu’à leur déploiement. C’est sans doute le résultat le plus gratifiant pour les formateurs américains et français. Les commandants tchadiens ont indiqué que l’entraînement avec le nouvel équipement, les procédures d’établissement de rapports et l’assimilation de l’environnement malien seront poursuivis jusqu’au déploiement.
MISSION DIFFICILE
Les soldats devaient être déployés dans le Nord du Mali, une région où des combats interethniques et des attaques asymétriques menées par des groupes extrémistes sont un danger constant. Le Tchad est le plus grand pays contributeur de troupes à la MINUSMA, avec plus de 1.200 soldats déployés dès le début 2014. La mission des forces tchadiennes formées à Loumia était de maintenir une paix fragile dans le Nord avec un bataillon d’infanterie qui devait être divisé entre Tessalit et Aguelhok, un bataillon de réserve à Gao et une unité de forces spéciales à Tombouctou. Même si la vie dans le Nord du Mali avait l’air de reprendre son cours normal en 2014, la violence a éclaté en mai lorsque l’armée malienne a été écrasée à Kidal par des combattants du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA).
En dépit de la lenteur frustrante du dialogue et de la consolidation de la paix au Mali, le général de brigade Madjior Solness Dingamadji, conseiller du chef d’état-major de la défense tchadienne, a déclaré que son pays était engagé envers la mission de la MINUSMA, compte tenu de son importance pour la stabilité régionale. « Cette mission est importante, car il s’agit de neutraliser le terrorisme sous toutes ses formes », a-t-il souligné.
Le général de brigade Dingamadji a relevé que la participation à des opérations de maintien de la paix des Nations Unies pose de nombreux défis au Tchad, allant de la logistique à l’interopérabilité, en passant par l’adaptation à un commandement étranger et à d’autres structures de contrôle.
Cependant, ses soldats obtiennent de nombreux avantages. Ils bénéficieront de taux de remboursement élevés et d’une évolution de carrière inestimable. Selon le général de brigade Dingamadji, ses soldats acquièrent une expérience dans les règles d’engagement en situation de maintien de la paix. En outre, ils apprennent à protéger la population civile et améliorent leur anglais et leur français. L’état-major général apprend les nouvelles méthodes standard d’établissement de rapports des Nations Unies, les protocoles d’envoi de messages et les structures organisationnelles.
« Les avantages pour un contingent qui répond aux exigences des Nations Unies sont nombreux et se résument en gain financier, en professionnalisme et en réforme du secteur de la sécurité de chaque pays contributeur de troupes », a assuré le général de brigade Dingamadji.
Les soldats tchadiens ont lourdement investi dans l’avenir du Mali. Ils y ont été déployés pour la première fois en 2013. Ils ont été confrontés à de vifs combats dans le fief terroriste de l’Adrar des Ifoghas, essuyant de nombreuses pertes. Les forces d’intervention ont réussi à chasser les groupes extrémistes de la région. Les dirigeants tchadiens n’ont donc pas l’intention de laisser le pays retomber dans le chaos.
« Nous avons participé avec beaucoup de fierté à la libération du Mali », a déclaré Moussa Faki, le ministre tchadien des Affaires étrangères dans une interview en 2013. « Nous sommes prêts à participer à sa stabilisation parce qu’il y va de la stabilisation de l’ensemble de la région. »
MINUSMA LEÇONS DE MULTILATÉRALISME
La mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) constitue une étude de cas instructive du multilatéralisme. Elle comprend 36 pays contributeurs de troupes et coordonne son action avec l’armée malienne, deux missions de l’Union européenne pour la formation militaire et l’assistance aux civils ainsi que les troupes françaises de l’opération Serval.
C’est l’une des missions les plus difficiles sur le plan logistique entreprises par les Nations Unies, compte tenu de l’ampleur du territoire du Mali, de la rudesse de son climat et de son manque d’infrastructure. La MINUSMA manque aussi de personnel. En mars 2014, elle ne comptait que la moitié des 12.600 hommes prévus.
« C’est typique de l’environnement international. C’est difficile », a déclaré le colonel néerlandais Joost de Wolf, chef adjoint de l’état-major des opérations de la MINUSMA. « Il faut savoir coordonner les choses, éliminer les conflits et s’assurer que [les unités] n’opèrent pas dans la même zone en même temps. Le Mali est un grand pays. Sa superficie équivaut à presque deux fois celle de la France. »
À la fin de sa première année, la MINUSMA peut se féliciter d’avoir engrangé quelques succès, y compris le maintien de l’ordre au cours de l’élection présidentielle de 2013 et l’aide au retour de centaines de milliers de personnes déplacées dans le Nord du pays. Avec sa mosaïque d’acteurs internationaux, continentaux et régionaux, la MINUSMA montre à quoi peut ressembler l’avenir du maintien de la paix multilatéral sur le continent africain. Le long et tortueux parcours, qui a mené à la création de la MINUSMA de 2012 à 2013, met aussi en lumière les forces et les faiblesses de l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS).
RÉTROSPECTIVE
Au début de l’année 2012, à la suite d’un coup d’État au Mali, des chefs d’État d’Afrique de l’Ouest s’étaient réunis à Abidjan, en Côte d’Ivoire, et à Ouagadougou, au Burkina Faso, pour coordonner une intervention. L’objectif était de persuader la junte malienne, qui avait saisi le pouvoir, de rendre le pays à un gouvernement civil.
La démarche n’ayant pas abouti, les dirigeants ont commencé à activer la force en attente de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Cette force a reçu l’autorisation de préparer une intervention en mars 2012 sous le nom de la Mission de la CEDEAO au Mali. Toutefois, plusieurs obstacles ont empêché la force en attente d’intervenir rapidement. Tout d’abord, il est clairement apparu qu’il serait difficile de persuader des pays, dont beaucoup connaissaient eux-mêmes des problèmes de sécurité, de fournir suffisamment de troupes pour la mission. Ensuite, le coût annuel estimé de 227 millions de dollars pour l’opération de maintien de la paix était inabordable sans l’aide de donateurs extérieurs. Enfin, certains des pays les plus proches du Nord du Mali, comme l’Algérie et la Mauritanie, ne sont pas membres de la CEDEAO. Il n’existait donc pas de force en attente similaire pour l’Afrique du Nord.
Afin de donner à l’intervention une dimension plus continentale, l’Union africaine a accéléré les choses en juin 2012 et a créé la Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine (MISMA), pour soutenir et former l’armée malienne à la restauration de la paix. En novembre 2012, le Conseil paix et sécurité de l’UA a adopté un plan en vue d’une intervention harmonisée. Le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé la mission, mais n’a fourni aucun soutien financier ni logistique. Vers la fin de l’année 2012, les extrémistes avaient consolidé leurs positions dans le Nord du Mali et les civils fuyaient par milliers. L’envoyé spécial de l’ONU, l’ancien premier ministre italien Romano Prodi, a alors annoncé que toute intervention militaire ne se ferait pas avant un an ou presque.
Cette lenteur a enhardi les extrémistes qui ont poursuivi vers le sud, prenant la ville de Kona et se montrant prêts à s’emparer de la capitale Bamako. En janvier 2013, la France à réagi aux appels à l’aide du président malien par intérim et a lancé l’opération Serval. En l’espace de quelques mois, en partenariat avec le Tchad et d’autres forces régionales, les pays ont réussi à reprendre et à sécuriser le Nord du Mali. La mission de la MINUSMA a été officiellement établie en avril 2013 et lancée avec une cérémonie de transfert de commandement pour les troupes servant sous la MISMA.
« C’est un long processus », a déclaré le général rwandais Jean Bosco Kazura, commandant de la MINUSMA. « Les problèmes dans le Nord ne concernent pas uniquement le Mali. Ils dépassent ses frontières. C’est un problème qui tend à se généraliser au Sahel. Les forces de l’ONU travaillent dans ce domaine. »
Des observateurs ont qualifié le Mali d’épreuve de taille pour l’APSA et ont identifié plusieurs enseignements tirés. Certains d’entre eux ont été définis dans une analyse après action réalisée par la CEDEAO en février 2014. D’autres ont été cités dans des études théoriques de l’intervention.
L’INTERVENTION DOIT ÊTRE RAPIDE. L’UA a été critiquée parce qu’elle n’a pas réagi assez rapidement à la crise au Mali. La Force africaine en attente (FAA), qui devrait être opérationnelle à travers tout le continent en 2015, est censée pouvoir intervenir en cas de crise, dans les pires conditions, sous 30 jours. Cependant, la crise malienne a démontré qu’il y a encore beaucoup de travail à faire. Depuis la crise, la CEDEAO a appelé à la création d’une force spéciale d’intervention rapide en attente, composée de deux bataillons, pouvant intervenir rapidement en cas de détérioration d’une situation et rester autonome pendant au moins 90 jours. De même, l’Union africaine a annoncé la création d’une Capacité africaine d’intervention immédiate en cas de crises, comme solution provisoire jusqu’à ce que la FAA soit opérationnelle.
L’INTERVENTION DOIT ÊTRE FINANCÉE. Lors de la première proposition, le budget de la MISMA pour 8.000 soldats était de 930 millions de dollars, et le budget pour 5.500 hommes supplémentaires était de 458,5.millions de dollars. Ces fonds n’étaient pas disponibles immédiatement. Une conférence de donateurs, organisée à Addis-Abeba en Éthiopie, n’a pu recueillir que des engagements de financement de la mission à hauteur de 455 millions de dollars. Le Fonds africain pour la paix, créé dans le cadre de l’AAPS, vise à financer des opérations de soutien de la paix à l’aide des contributions des États membres de l’UA. La nécessité de disposer d’un financement fiable a été exposée en détail dans un rapport rédigé en 2008.
IL FAUT DONNER DES ALERTES PRÉCOCES ET EN TENIR COMPTE. Ni le coup d’État militaire ni la tentative du Nord de se séparer du Mali n’ont surpris les observateurs de ce pays fragile. Dans les mois précédant la crise, le Mali a été complètement déstabilisé par une myriade de problèmes, comme le trafic de drogues, la corruption et l’afflux d’armes et de combattants liés à la Libye. Toutefois, aucune action préventive n’a été prise. « La crise au Mali a mis en évidence le fossé entre la théorie de la prévention, qui est au cœur des objectifs de l’UA et de la CEDEAO et la pratique », a écrit Lori-Anne Théroux-Bénoni, chercheuse à Dakar, Sénégal, à l’Institut d’études de sécurité. « L’UA avait été avertie des conséquences de la crise libyenne, particulièrement au Mali, mais n’a pas pris toute la mesure de la fragilité du pays. » Le système continental d’alerte précoce sera un élément important du cadre utilisé pour prévenir l’émergence d’un nouvel État défaillant en Afrique.
L’AAPS DOIT ÊTRE ADAPTÉE À LA SITUATION GÉOGRAPHIQUE. Lori-Anne Théroux-Bénoni a souligné que les canaux d’intervention de la FAA sont établis autour des Communautés économiques régionales. Le conflit malien, comme beaucoup d’autres pouvant survenir à l’avenir, touche la totalité de la région. « La crise malienne a montré les limites de l’ensemble sécuritaire actuel lié sur le plan géographique et nécessiterait une architecture moins dépendante de zones géographiques limitées », a écrit Lori-Anne Théroux-Bénoni. En février 2014, les dirigeants du Burkina Faso, du Tchad, du Mali, de la Mauritanie et du Niger ont créé le G5 du Sahel, une organisation régionale ayant pour but d’harmoniser les ressources pour faire face aux défis communs, y compris l’extrémisme.
LA FORMATION AU MAINTIEN DE LA PAIX DOIT ÊTRE CONTINUE. La disponibilité immédiate est un défi constant pour les opérations de maintien de la paix comme la MISMA et la MINUSMA. Le colonel américain Daniel Hampton, conseiller militaire auprès du Centre d’études stratégiques pour l’Afrique, a déclaré que le modèle actuel de formation et d’équipement des soldats de la paix avant leur déploiement, sans soutien continu ni consolidation des compétences, n’est pas efficace. Selon le colonel Hampton, les soldats ayant reçu la formation requise pour réaliser des tâches militaires accusent une dégradation de cette compétence au bout de 60 jours seulement. Après 180 jours, la perte de compétence se poursuit jusqu’à atteindre 60 %. Le colonel Hampton a appelé à la création d’institutions de formation permanente en Afrique pour soutenir la disponibilité opérationnelle des soldats de la paix. « Il est temps de dépasser le stade des missions de formation et d’équipement de nature réactive pour créer des capacités durables », a écrit le colonel Hampton.
LE MAINTIEN DE LA PAIX DOIT INCLURE L’IMPOSITION DE LA PAIX. Historiquement, l’ONU a toujours été prête à intervenir dans des crises où il fallait « maintenir la paix ». Toutefois, dans des cas comme le Mali ou la Somalie où le but est de reprendre un pays des mains d’extrémistes déterminés et insaisissables, les opérations classiques de maintien de la paix doivent être accompagnées de tâches d’« imposition de la paix ». En créant la MINUSMA, l’ONU a reconnu ce fait, soulignant qu’elle opérait dans un nouveau contexte géopolitique et était confrontée à des menaces jusqu’alors inconnues. Pour cette raison, Jeffrey Feltman, secrétaire général adjoint aux affaires politiques de l’ONU, a déclaré qu’il était vital, pour la MINUSMA et pour les futures missions, de faire une nette distinction entre les opérations de maintien de la paix d’une mission de stabilisation et les activités d’imposition de la paix et d’antiterrorisme d’une force parallèle.