Apporter la paix dans « l’arc d’instabilité » de l’Afrique nécessitera une action dans le secteur de la sécurité et dans les arcanes du gouvernement.
Récit Du Personnel D’ADF
L’itinéraire transcontinental de 7.000 kilomètres qui s’étend de la Corne de l’Afrique à travers le Sahel jusqu’en Afrique de l’Ouest traverse de nombreuses zones de conflits. Sur ces territoires sévissent la pauvreté, les trafics, la guerre, le terrorisme et les tensions ethniques. En outre, ils partagent des caractéristiques qui ont conduit certains à donner le nom d’« arc d’instabilité » à cette région.
En Somalie, les activistes d’Al-Shebab ont tiré parti d’années de déliquescence de l’état de droit pour multiplier les meurtres dans le pays et au-delà. Les groupes rebelles tiennent sous leur emprise certaines parties du Soudan du Sud. Plus au nord, les factions continuent de s’affronter au Darfour. En Libye, un flux régulier d’armes traverse les frontières et se déverse dans les pays voisins. Au Mali, un assemblage complexe de groupes ethniques et idéologiques a plongé le Nord du pays dans le chaos.
L’arc d’instabilité est une tentative de caractérisation d’un groupe diversifié de pays qui peuvent avoir en commun davantage que leur climat et leurs vastes espaces ouverts souvent incontrôlés. La langue, la culture et la religion y diffèrent fréquemment, parfois au sein d’un seul pays. Si rien n’est fait, l’arc « pourrait transformer le continent en un terreau fertile pour les extrémistes et en un tremplin pour des attaques terroristes à plus grande échelle dans le monde entier », a été averti le Conseil de sécurité des Nations Unies en mai 2013.
LES ORIGINES DE L’ARC
Il est difficile de décrire et encore de redresser un espace aussi informe que l’arc d’instabilité. Ses origines sont également compliquées. Les pays situés le long de l’arc partagent le plus souvent quelques caractéristiques générales.
Un climat aride et rigoureux. Selon un rapport du Programme des Nations Unies pour l’environnement, le Sahel a été nommé « “point zéro” du changement climatique, en raison des conditions extrêmes qui y règnent et de la très grande vulnérabilité de sa population ». Sa population croissante est confrontée à la pauvreté, à l’insécurité alimentaire et à l’instabilité. Cette situation peut conduire à des migrations de masse, susceptibles de déstabiliser encore plus certaines régions. Les rivalités autour des rares ressources en eau et des zones de pâturage peuvent également entraîner des conflits.
Des espaces incontrôlés. Plusieurs de ces pays, notamment le Soudan, le Tchad, le Niger et le Mali, comprennent de vastes territoires éloignés des capitales ou des grandes villes. Au Soudan, la région du Darfour, à l’extrême ouest du pays, a été continuellement le théâtre de la violence et de l’instabilité. Au Mali, le Nord a représenté un défi permanent pour le gouvernement implanté dans la capitale Bamako, qui se trouve à environ 1.500 km de Kidal, à 1.200 km de Gao et à environ 1.000 km de Tombouctou. Il a fallu l’intervention des forces françaises et tchadiennes, au cours de l’opération Serval en 2013, pour libérer l’ensemble des trois villes du Nord qui étaient sous le contrôle des extrémistes.
Des groupes insatisfaits. Certaines régions reculées, dans les pays situés le long de l’arc, sont peuplées de groupes ethniques qui ont le sentiment d’être négligés par le gouvernement central. Parmi eux, se trouvent les Touaregs, des Berbères nomades et pastoralistes disséminés dans plusieurs pays du Sahel et de l’Afrique du Nord. Leur rébellion dans le Nord du Mali début 2012 n’était que la plus récente d’une série d’affrontements avec le gouvernement central.
Des acteurs externes. Les espaces incontrôlés donnent la possibilité à des forces extérieures, telles que les contrebandiers, les trafiquants de drogue et les groupes extrémistes, de se déplacer librement. Les cargaisons de drogue en provenance de l’Amérique du Sud sont fréquemment débarquées en Afrique de l’Ouest et sont acheminées à travers le Sahel et l’Afrique du Nord à destination de l’Europe. Parfois, des marchandises illicites empruntent d’anciens itinéraires caravaniers dans les régions du Sahel et du Sahara.
Rudolph Atallah, attaché principal de recherches auprès du think tank Atlantic Council, a expliqué à ADF que les pays enclavés de cet arc, notamment le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Tchad, le Soudan du Sud et l’Éthiopie, doivent recourir aux ports maritimes de leurs voisins pour recevoir des marchandises ou de l’assistance. Si un problème surgit dans un pays particulier, ses ramifications peuvent facilement se faire sentir dans plusieurs autres pays.
« Lorsqu’un coup d’État s’est produit en Côte d’Ivoire en 2002, il a divisé le pays en deux », a rappelé Rudolph Atallah. « L’acheminement des denrées alimentaires, qui jusque là traversaient effectivement ces pays enclavés, à savoir le Burkina [Faso], le Mali, le Niger […], s’est considérablement ralenti. Il a fallu plusieurs années pour que les voies d’approvisionnement soient transférées au Ghana. » De telles situations peuvent exacerber la pauvreté existante. En outre, le crime organisé s’est aggravé dans la région, tandis que les trafics augmentaient dans les pays enclavés susmentionnés.
Au milieu de cela, observe Rudolph Atallah, les changements démographiques et l’extrême pauvreté ont poussé les gens vers de nouvelles idéologies. Divers groupes terroristes et extrémistes prospèrent dans les zones où l’aide gouvernementale et les institutions sont les plus faibles. « Il s’agit donc d’une zone où les gens sont mécontents et où les économies locales sont extrêmement faibles et n’ont pas pu atteindre les populations marginalisées, a-t-il poursuivi. Nombreux sont alors ceux qui essaient simplement de prendre les choses en main à leur façon. »
Au fil des ans, de nombreux conflits ont surgi le long de l’arc et à proximité. La Sierra Leone, le Liberia et la Côte d’Ivoire situés au sud de l’arc ont été en proie à des guerres civiles. Le Tchad a connu de nombreux coups d’État. La Somalie a sombré dans le chaos au début des années 1990. Le Soudan et le Soudan du Sud sont en conflit. Le dictateur libyen Mouammar Kadhafi a été renversé. De nombreux armements provenant de Libye sont sortis du pays et sont tombés entre les mains d’autres groupes. Plusieurs de ces groupes sont présents au Mali, un point chaud actif situé le long de l’arc.
LE DÉFI DU MALI
Le Mali est emblématique de la manière dont ces diverses forces peuvent converger pour créer de l’instabilité. Outre ses caractéristiques communes à de nombreux pays de l’arc, il est composé de terres cultivables et de ressources limitées, d’une vaste région septentrionale au peuplement épars, de groupes ethniques mécontents de leur situation, mais aussi d’acteurs externes, comme des extrémistes d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), des trafiquants et d’anciens loyalistes de Kadhafi.
Cet assemblage explosif a abouti au déclenchement d’un conflit en 2012. Les Touaregs, qui vivent dans le désert au nord du pays, se sont rebellés après des années d’insatisfaction à l’égard du gouvernement central. En janvier 2012, ils ont attaqué les villes du Nord, ce qui a provoqué la fuite des résidents vers la Mauritanie, d’après la chronologie des événements établie par la BBC. En mars 2012, l’armée malienne a renversé le président Amadou Toumani Touré, l’accusant d’avoir négligé de réagir efficacement à la rébellion touareg. En avril, les Touaregs avaient pris contrôle du Nord du pays et avaient déclaré l’indépendance.
La présence de groupes, tels qu’Ansar al-Dine, un groupe rebelle islamiste dont le nom signifie « défenseurs de la foi », et AQMI, indique jusqu’à quel point il est facile pour ces groupes venant de l’extérieur de se déplacer dans des espaces incontrôlés. On note également la présence au Mali du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), qui a fusionné avec la « brigade masquée » du terroriste Mokhtar Belmokhtar, selon la BBC. Mokhtar Belmokhtar est accusé d’avoir mis à exécution un siège ayant fait de nombreuses victimes dans un complexe gazier algérien en janvier 2013. D’après le Centre de fusion de données civilo-militaires, le MUJAO, un groupe dissident d’AQMI, s’est historiquement montré le plus intéressé par les profits tirés d’activités criminelles dans la région.
En janvier 2013, les forces françaises ont lancé l’opération Serval, intervenant dans le pays pour reprendre le contrôle des territoires du Nord dont les insurgés s’étaient emparés. Au printemps, les forces françaises ont cédé la place aux troupes envoyées par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, une opération nommée Mission internationale de soutien au Mali sous conduite africaine. À présent, la Mission Multidimensionnelle Intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) effectue des patrouilles dans le pays et essaie de maintenir l’ordre au sein de cet environnement fragile.
L’ABSENCE DE SOLUTIONS FACILES
Étant donné que ces pays divers se trouvent dans des régions différentes et présentent chacun des défis uniques à relever, il est pratiquement impossible de trouver une solution globale à l’arc de l’instabilité. L’aide monétaire à ces pays est essentielle, rappelle Rudolph Atallah. Cependant, elle doit être accompagnée par la surveillance et la responsabilité, ce qui se produit rarement. S’attaquer à la pauvreté mais aussi assurer un gouvernement solide et au comportement éthique sont autant d’éléments d’importance cruciale pour préserver la stabilité. Or, que peuvent faire les forces de défense et de sécurité de leur propre accord pour contribuer à assurer la stabilité dans l’ensemble de l’arc ? Il n’est pas facile de répondre à cette question.
Le Dr Dona J. Stewart, attachée principale de recherches auprès de la Joint Special Operations University, affirme à ADF qu’en dernière analyse, les activités militaires dans les zones instables doivent être liées à des objectifs politiques, économiques et de développement. Ces opérations nécessitent une planification détaillée, qui échappe certainement au contrôle des soldats et des forces de sécurité.
« L’une des fonctions majeures des armées est d’assurer la sécurité afin de laisser la place à d’autres formes de développement (politique, économique, éducatif, dans le domaine de la santé), a expliqué Dona J. Stewart. Vous ne pouvez pas avoir ces types de développement si vous n’avez pas la sécurité. »
Pour obtenir ce résultat, la sécurité doit être « attentivement graduée » et accompagnée d’objectifs politiques dans un pays comme le Mali, où les tensions entre le Nord et le Sud sont bien ancrées, a ajouté Dona J. Stewart. Les chefs d’unités et les soldats peuvent parvenir à cet équilibre délicat en agissant à divers niveaux.
« Tout d’abord, ils doivent avoir une bonne compréhension du contexte socioculturel dans lequel ils évoluent », a précisé Dona J. Stewart. Ceci est particulièrement important dans un pays comme le Mali. Les soldats maliens du Sud du pays doivent être sensibilisés aux cultures des vastes étendues du Nord et bien les connaître. La MINUSMA, une mission forte de 12.640 soldats, englobe 35 pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe et d’Amérique du Nord, ce qui donne une dimension supplémentaire au besoin en sensibilité culturelle.
La discipline est également indispensable. Elle va de pair avec les préoccupations culturelles. Les deux principes peuvent habiliter les soldats à « appliquer judicieusement la force, lorsque celle-ci est nécessaire, mais également à disposer de l’ensemble des compétences permettant de trouver des solutions à des problèmes qui n’exigent pas nécessairement le recours à la force », a ajouté Dona J. Stewart. La collaboration avec des organisations d’aide humanitaire ou la prise en charge de problèmes d’infrastructure peuvent en constituer des exemples.
Le succès peut aussi dépendre de la manière dont certaines forces envisagent la lutte contre le terrorisme. Dona J. Stewart rappelle qu’au cours de la dernière décennie, la lutte contre le terrorisme a été considérée comme une « activité cinétique particulière contre des objectifs spécifiques ». Cette tactique peut appeler une réponse variable.
« Notre compréhension s’est renforcée : nous réalisons que les types indirects d’activités sont absolument cruciaux pour parvenir à toute sorte de résultat valable sur le long terme, a-t-elle précisé. En ce qui concerne cet arc en particulier, il va être réellement nécessaire de développer ces types indirects d’activités. »