PERSONNEL D’ADF
Une catastrophe s’est abattue sur le Kenya fin 2007 et début 2008. Ce n’était pas une inondation, ni la famine, ni un tremblement de terre. Des manifestations à la suite d’une élection présidentielle contestée ont rapidement dégénéré en une vague de violence qui a fait 1.200 morts, déplacé plus de 300.000 personnes et pillé ou détruit 42.000 maisons et commerces.
Pour répondre à la crise, un nouvel outil technologique a vu le jour. Cela prouve que les méthodes de préparation et d’intervention en cas de catastrophes, utilisant des techniques de pointe, n’ont pas besoin d’être compliquées ou onéreuses.
L’ORIGINE D’USHAHIDI
Alors que les violences postélectorales faisaient rage au Kenya, un nouveau site Web a été créé pour rassembler des informations sur des incidents, à travers le pays, par l’intermédiaire du « crowdsourcing » (approvisionnement par la foule). Il s’agit de recueillir des services, des idées ou, dans le cas du Kenya, des informations auprès de grands groupes de personnes, généralement par téléphone portable ou ordinateur.
« C’était en fait une sorte d’outil technologique bidouillé, qui permettait aux gens d’envoyer des informations sur les violences dont ils étaient témoins », a expliqué Chris Albon, directeur des projets de données chez Ushahidi, qui signifie « témoignage » en swahéli.
Depuis, Ushahidi s’est agrandi et, cinq ans plus tard, des sites utilisateurs ont été créés en Amérique du Nord et du Sud, en Europe, en Asie et en Afrique. Un exemple des avantages d’Ushahidi figure sur un site ougandais, sur la page Web de l’organisation. Le système d’alerte Tamuko est décrit comme un « système d’alerte à l’échelle nationale qui permet au public d’envoyer des informations concernant la santé, la criminalité, les accidents, les catastrophes et les problèmes d’infrastructure ».
Ushahidi est un logiciel libre que tout le monde peut télécharger et héberger sur un serveur pour collecter des informations. Une fois le site Web mis en place, le public peut envoyer des informations sous forme de SMS, d’e-mails, de tweets ou par formulaire Web. Les informations sont analysées, organisées et indiquées sur une carte. Pendant la crise électorale au Kenya, par exemple, les gens pouvaient envoyer des informations sur des incidents violents dans certaines communautés. Une fois vérifiées, ces informations étaient publiées sur une carte, informant le public sur les zones les plus touchées.
« Notre plus grande catastrophe a été le tremblement de terre en Haïti, en 2010. Ushahidi a alors été utilisé au sol pour aider à transmettre les informations envoyées par le public. Il a même été utilisé par l’armée américaine pour déterminer où elle devait envoyer des vivres », a déclaré Chris Albon.
Ushahidi peut être utilisé pour collecter des données sur à peu près tout, y compris les défaillances d’infrastructure, la corruption, les personnes disparues ou les demandes d’aide d’urgence. « Le but n’est pas seulement de recevoir des informations, mais surtout de les transmettre aux personnes qui peuvent faire la différence », a-t-il ajouté.
L’armée et les agences gouvernementales peuvent utiliser l’application. Les coûts opérationnels sont pratiquement nuls et le public peut envoyer les informations même sur les portables les plus basiques. Comme le logiciel est libre, toute amélioration doit être mise à la disposition des utilisateurs, partout. « Si les opérations d’intervention en cas de catastrophes menées par l’armée sont améliorées grâce à notre logiciel, cela repré-
sentera pour nous un gain sur toute la ligne », a déclaré Chris Albon.
L’UTILISATION DES TECHNOLOGIES DE L’INFORMATION ET DE LA COMMUNICATION
Les technologies de l’information et de la communication (TIC) comprennent, entre autres, les médias de diffusion, les téléphones portables, les ordinateurs et les satellites. Un rapport publié en 2012 par la Banque Mondiale a examiné quatre types de TIC pour l’adaptation aux changements climatiques : il s’agissait des systèmes d’information géographique, de l’e-gouvernance, des systèmes d’alerte précoce et des communications sans fil. Les systèmes d’information géographique et l’e-gouvernance sont généralement utilisés pour la prévention et le sauvetage. Les systèmes sans fil et d’alerte précoce rendent plus efficaces l’alerte et l’intervention en cas de catastrophes. Voici une description des quatre types de TIC :
Les systèmes d’information géographique permettent aux utilisateurs de visualiser les informations sous forme de modèles et de tendances. Dans des zones inondables, les cartes des systèmes d’information géographique peuvent indiquer la topographie, y compris les premières zones affectées, le type de logement dans la zone concernée et l’emplacement des infrastructures de drainage. Tous ceux qui ont accès à Internet peuvent voir ces informations.
L’e-gouvernance signifie la numérisation et la diffusion par Internet d’informations provenant des pouvoirs publics. Les outils d’e-gouvernance peuvent être utilisés pour des permis de construire et des achats de terrains. Ils vérifient souvent la prédisposition aux inondations avant d’octroyer les permis. La réglementation de la construction dans les zones inondables peut réduire la vulnérabilité.
Les moyens de communication sans fil, comme les portables et les radios, présentent des avantages évidents. Ils sont bon marché, répandus et un puissant outil pour envoyer et recevoir des communications vitales. Leur utilisation connaît une croissance exponentielle. Selon une étude de la Banque mondiale, il y avait moins de 20 millions de lignes fixes en Afrique en 2000. En 2012, il y avait environ 650 millions d’abonnement de téléphones portables.
Marcus Oxley, directeur du Réseau mondial des organisations de la société civile pour la réduction des catastrophes, donne deux exemples de la manière dont la technologie mobile a facilité la préparation et l’intervention en cas de catastrophes. Alors qu’il voyageait en Asie, des personnes lui ont expliqué que leur famille aux États-Unis suivait la météo à la télévision 24 heures sur 24 et leur envoyait par SMS des informations sur les intempéries graves dans leur région. De même, après le séisme en Haïti, les intervenants d’urgence ont envoyé des SMS pour demander si des personnes étaient bloquées dans des bâtiments ou ensevelies sous les décombres. Les personnes pouvaient appuyer sur « oui » sur leur portable. Les systèmes GPS ont aidé les services de secours à établir un quadrillage pour les opérations de sauvetage.
Selon la Banque mondiale, Madagascar a utilisé un système de « crieur public », géré par le Bureau national de gestion des risques et des catastrophes (BNGRC), pour avertir de l’arrivée des cyclones. Dans le cadre de ce système, le chef du village traverse la communauté en faisant sonner une cloche et en criant les avertissements. En 2012, le gouvernement a testé un système d’avertissement par SMS. Le système collecte aussi des données sur les dommages.
« Grâce à ce système, nous sommes en mesure d’évaluer les dommages en moins de 48 heures et d’aider à identifier les zones les plus touchées où la population a immédiatement besoin d’aide », a précisé Raonivelo Andrianianja du BNGRC.
La Sierra Leone a commencé en 2013 à mettre à profit l’usage du téléphone portable grâce à l’application de secours d’urgence Trilogy. La Société de la Croix-Rouge de Sierra Leone travaille avec des opérateurs de téléphonie mobile pour avertir des centaines de personnes par heure de la survenue d’incendies, d’inondations et d’épidémies. Environ 70 pour cent des Sierra-Léonais ont accès à un téléphone portable.
« Ce système sauve réellement des vies, a déclaré Abubakarr Tarawallie, directeur des communications de la SLRCS. Nous pouvons l’utiliser pour avertir les populations des éventuelles situations d’urgence ou épidémies déclarées et leur fournir des informations vitales sur la prévention de maladies comme le paludisme et le choléra. Qui plus est, le système est bilatéral. Ainsi, nous pouvons rapidement évaluer les zones ayant le plus besoin d’aide après une urgence et répondre aux demandes d’information à grande échelle. »
Les systèmes d’alerte précoce utilisent des dispositifs, tels que des logiciels de simulation des précipitations et des détecteurs, pour prévoir les inondations, les glissements de terrain et même les pénuries de nourriture causées par la sécheresse. Le réseau de systèmes d’alerte précoce contre la famine (Famine Early Warning Systems Network ou FEWS NET) est l’une des technologies utilisées en Afrique. Créé à la suite des graves famines de 1985, FEWS NET surveille les conditions météorologiques, le climat, l’agriculture, les prix et le commerce pour identifier les problèmes. La collecte et l’analyse de ces données aident les gouvernements et les organisations non gouvernementales à planifier leurs interventions en cas de crise alimentaire.
Les informations sont placées sur des cartes avec des codes couleur, indiquant les perspectives à court et moyen termes pour la sécurité alimentaire, ainsi que des données météorologiques. Selon le site Web, dès qu’un problème est identifié « FEWS NET utilise un éventail d’instruments pour aider les décideurs à agir afin de réduire l’insécurité alimentaire. Ces produits comprennent des mises à jour sur la sécurité alimentaire de 25 pays, des perspectives et des alertes régulières sur l’insécurité alimentaire ainsi que des séances d’information et un soutien à la planification des risques et des ripostes ».
LA MAÎTRISE DES COÛTS EST ESSENTIELLE
Si la technologie peut être rapide et efficace, elle peut aussi être coûteuse. Le manque de ressources est le premier obstacle à l’achat et à l’entretien des équipements mais aussi à la formation du personnel qui l’utilise. En Afrique, il est logique de tirer profit des technologies largement répandues et déjà utilisées. La prolifération rapide des téléphones portables en est un exemple. L’information est cruciale en cas de catastrophes. Même les téléphones les moins chers permettent à la plupart des citoyens de partager et d’obtenir rapidement des informations précieuses.
Marcus Oxley a expliqué qu’il était essentiel de garantir le flux d’informations lors d’une catastrophe. « Les populations et les gouvernements doivent connaître la situation, les besoins et les pertes, a-t-il dit. Nous évoquons souvent les pots, les casseroles, les couvertures et les abris, soit le type de chose concrètes dont les gens ont besoin. Cependant, l’information est absolument cruciale. »