PERSONNEL D’ADF
La flotte de pêche en eaux distantes (DWF) de la Chine cible les eaux du golfe de Guinée en Afrique centrale et Afrique de l’Ouest depuis des décennies. Aujourd’hui, les stocks de poissons de la région s’épuisent rapidement, ce qui provoque l’insécurité alimentaire et la perte de revenu pour des millions de personnes qui travaillent dans l’industrie de la pêche.
Une étude récente conduite par la Hoover Institution, groupe de réflexion de l’université Stanford, a examiné les effets de la DWF chinoise sur le Cameroun, la république du Congo, le Gabon et le Nigeria, où les chalutiers chinois sont notoires pour pratiquer la pêche illégale, non déclarée et non réglementée (INN). Dans l’ensemble de la région, 40 à 60 % du poisson est pêché illégalement, selon les analystes.
La présence de la DWF chinoise, qui est la plus vaste du monde, force les pêcheurs artisanaux à sortir plus loin en mer, et à retourner souvent avec une prise limitée ou inexistante, déclare Agnes Ebo’o, experte de la pêche en eaux distantes et auteur de l’étude, dans un reportage du journal nigérian Premium Times. La Chine est aussi le pire contrevenant au monde concernant la pêche INN, selon l’indice de pêche INN.
Agnes Ebo’o déclare dans le rapport : « La pêche en eaux distantes à elle seule n’est pas illégale et se pratique depuis des siècles. Toutefois, les principales sociétés de pêche ont des tendances criminelles, en particulier la fraude fiscale, la corruption et les autres crimes économiques associés à la pêche [INN]. »
Le manque de navires patrouilleurs et de systèmes de surveillance rend difficile pour les autorités de surveiller le littoral du golfe de Guinée, dont la longueur combinée est plus de 6.000 km. Dans la république du Congo par exemple, la direction de l’inspection divisionnaire des pêches du Kouilou a seulement deux patrouilleurs, selon Mme Ebo’o. Elle note que les vaisseaux de pêche chinois constituent la quasi-totalité de la flotte industrielle de pêche dans les eaux territoriales du pays.
La gouvernance faible, le manque de mécanismes de transparence et les structures administratives et juridiques limitées pour adresser la pêche INN multiplient aussi les défis maritimes dans la région, écrit-elle. Les résultats coûtent cher.
Le commerce maritime illégal fait perdre à l’Afrique de l’Ouest près de 1,95 milliard de dollars sur la chaîne de valeur des poissons et fait perdre aux foyers 593 millions de dollars de revenu. La pêche INN augmente aussi l’insécurité alimentaire en décimant les stocks de poissons et détruisant les écosystèmes, et elle a été liée à la piraterie, aux enlèvements et au trafic de drogue.
En 2021, l’Union européenne (UE) a émis un « carton jaune » au Cameroun à cause du caractère inadéquat de sa riposte à la pêche INN. Ce carton jaune est un avertissement selon lequel des sanctions peuvent être imposées si le pays n’améliore pas ses efforts pour mettre fin à la pêche INN.
Virginijus Sinkevičius, Commissaire européen chargé de l’Environnement, des Affaires maritimes et de la Pêche, a déclaré : « Il est regrettable que le Cameroun n’ait pas pu assurer un contrôle approprié des activités de pêche dans ses eaux. La Commission reste prête à travailler et à coopérer avec le Cameroun pour mettre en œuvre les réformes nécessaires. »
Selon l’Environmental Justice Foundation, le Cameroun est notoire pour offrir un « pavillon de complaisance » aux navires de pêche agissant illégalement, avec une surveillance et une mise en application minimes. Un pavillon de complaisance concerne une société qui paie pour que ses vaisseaux de pêche arborent le drapeau d’un pays particulier, bien que le propriétaire bénéficiaire soit situé ailleurs.
La Chambre des Représentants du Nigeria a signalé en 2021 que le pays perdait 70 millions de dollars par an à cause de la pêche INN, y compris les pertes en droits de licence et en revenus fiscaux et l’argent qui pourrait être gagné par les pêcheurs artisanaux.
Les pays du golfe de Guinée continuent à préférer les systèmes « rentiers » de licence ou à conclure des accords bilatéraux avec les sociétés de pêche industrielles ou semi-industrielles, « alors même que cette approche bénéficie la pêche en eaux distantes et les pays de pêche riches plus que les pays hôtes », écrit Mme Ebo’o.
Notant que les pays sont individuellement responsables pour assurer la pêche durable et la non-exploitation des ressources marines, elle ajoute que les pays d’Afrique centrale et d’Afrique de l’Ouest « devraient développer des stratégies pour protéger leur domaine maritime contre les pratiques prédatrices telles que les DWF contraires à l’éthique, par la criminalisation et la sanction efficace des pratiques illégales ».