Le Dr Mark Duerksen est associé de recherche au Centre africain pour les études stratégiques. Ses recherches se concentrent sur les environnements de sécurité du Nigeria et l’urbanisation inégalée de l’Afrique, avec les défis et les opportunités de sécurité présentés par les villes. Ses projets au Centre concernent le suivi des actualités liées à la sécurité et la création d’une infographie analytique. Africa Defense Forum (ADF) a interviewé le Dr Duerksen par e-mail. Ses commentaires ont été modifiées pour les adapter au présent format.
ADF : Les groupes de mercenaires au Nigeria fonctionnent-ils vraiment ? Il semble que beaucoup d’entre eux deviennent aussi mauvais que les organisations qu’ils combattent. Une juge fédérale nigériane, par exemple, a déclaré que les Garçons de Bakassi ne sont « rien d’autre que des hors-la-loi ».
Dr Duerksen : C’est une question complexe. Déterminer si les groupes de sécurité nigérians régionaux et locaux, mais non gouvernementaux, fonctionnent n’est pas toujours clair ; dans certains cas, il peut être trop tôt pour le faire. Je pense qu’il est important de faire une distinction entre :
- Les organisations de sécurité privées qui sont en général engagées par des intérêts privés.
- Les milices et les groupes d’autodéfense locaux qui sont créés pour défendre les biens locaux et les communautés, et parfois sont tolérés, équipés et entraînés par les gouvernements locaux.
- Les groupes de sécurité régionaux qui sont établis ou officiellement approuvés par les gouvernements des états, même si leur conformité à la constitution est contestée.
Toutes ces forces se chevauchent parfois géographiquement et sont actives au Nigeria en plus des innombrables forces militaires du pays, des nombreuses divisions de la police fédérale et des autres forces de sécurité telles que le Service de sécurité d’état. Il y a donc vraiment une « palette » de réponses sécuritaires au Nigeria avec tous ces groupes différents essayant ostensiblement d’améliorer la protection du pays contre les nombreux groupes armés qui y sont actifs.
En ce qui concerne le recours aux groupes d’autodéfense ou aux nouvelles forces régionales pour combler le vide sécuritaire, ces groupes suivent souvent un modèle similaire, en s’engageant finalement dans le type de comportement criminel et d’abus qu’ils avaient la mission d’empêcher. C’est le cas pour les milices d’autodéfense dans le Nord-Ouest : elles étaient initialement établies par les agriculteurs locaux pour protéger leurs intérêts contre les milices bien armées appuyant les bergers. Avec le temps, elles ont commis des actes de torture, des atrocités, et elles ont même engendré les bandes criminelles notoires qui sont actives dans la région.
Des résultats tels que celui-ci, qui sont aussi constatés dans le cas des Garçons de Bakassi, sont le produit du manque de supervision et du manque de formation de ces forces comparé aux forces de sécurité officielles.
ADF : Existe-t-il des exceptions ?
Dr Duerksen : Oui, il y a des communautés qui ont absolument bénéficié de la création de groupes locaux qui patrouillent et maintiennent la veille, mais cela dépend souvent de l’engagement et de la supervision de chaque chef local plutôt que des contrôles institutionnels et de la prise de responsabilité. Il peut donc être difficile de dupliquer tout succès de ce genre pour réduire sensiblement l’insécurité systémique au Nigeria.
En fin de compte, ces solutions de sécurité « alternatives » ne fourniront probablement pas de résultats durables si elles ne peuvent pas être intégrées dans des institutions officielles qui les surveilleront, les entraîneront et les rendront responsables. Entre-temps, les événements violents commis par les groupes armés et documentés au Nigeria ont augmenté considérablement au cours des cinq dernières années, de moins de 700 événements par an à plus de 2.000. Chaque année, un nombre important d’événements associés à la violence contre les civils sont attribués aux forces de sécurité du Nigeria et aux milices qui avaient été initialement créées pour améliorer localement la sécurité.
ADF : Malgré toute la publicité lors de leur création, les groupes mercenaires Amotekun et Shege-Ka-Fasa ne semblent pas accomplir grand-chose.
Dr Duerksen : Ce que ces deux groupes accomplissent, au-delà d’engendrer la controverse en terme de leur légalité, demeure incertain. Entre-temps, le grand nombre d’enlèvements contre rançon dans le Nord et la violence du secteur de la sécurité contre les civils dans le Sud-Ouest continuent. En outre, la régionalisation de la sécurité peut provoquer des problèmes non anticipés si ces forces sont sujettes à des préjugés ethniques ou agissent sous la bannière du nationalisme ethnique. En fin de compte, si ces forces régionales ne sont pas professionnalisées, elles pourraient aggraver les divisions régionales qui tourmentent le Nigeria depuis longtemps. C’est la dernière chose dont le Nigeria a besoin : le développement de forces de sécurité loyales à leur région et organisées ethniquement, en particulier lorsqu’elles sont liées à des groupes séparatistes tels que le Réseau sécuritaire oriental, récemment établi par les chefs du mouvement militant appelé Peuple indigène du Biafra.
ADF : Il semble probable que la seule solution à long terme pour les problèmes de sécurité du pays soit un engagement pour recruter et former davantage de policiers, peut-être davantage de soldats, et abolir la pratique des mercenaires. Est-ce une théorie erronée ?
Dr Duerksen : Le problème est le suivant : le plus souvent, la création d’une nouvelle force ou la prise en charge de ces questions grâce à des groupes d’autodéfense ou des groupes de sécurité nouvellement approuvés est le chemin suivi par le Nigeria, au lieu d’avoir des politiciens et des fonctionnaires civils engagés dans un effort difficile et à long terme de réforme du secteur de la sécurité, de professionnalisation et de développement des liens de confiance. Des réformes sensées ont été proposées par des panels d’experts mais elles n’ont jamais été complètement mises en œuvre et, au cours des années, les unités de police nécessitant une réforme ont été essentiellement rebaptisées avec de nouveaux noms et reconstruites sans faire face à leurs problèmes sous-jacents. Il existe des propositions et un certain optimisme selon lequel des unités plus efficaces pourraient être établies grâce à des initiatives de police de proximité. La voie est donc libre pour l’innovation et les nouvelles idées dans la mesure où elles sont créées pour faire face aux problèmes identifiés par le processus d’examen et leurs résultats sont évalués en fonction du temps. Ceci pourrait aussi être fait avec la création de forces de sécurité publique, ce qui aiderait le Nigeria à contempler des solutions sécuritaires plus complètes et intégrées.
En bref, l’architecture de la sécurité au Nigeria peut être trop complexe et nébuleuse et elle manque souvent de transparence et de prise de responsabilité, lesquelles seraient nécessaires pour une réforme efficace. C’est quelque chose qui doit être adressé pendant le processus de développement d’une stratégie de sécurité nationale multidimensionnelle. Une réforme sérieuse et un effort de formation de l’armée et de la police du pays concentré sur l’intégration des réponses de sécurité (avec la participation des services gouvernementaux et des initiatives de développement social et de justice) représentent la meilleure option du Nigeria pour faire face à la diversité des menaces de sécurité pesant sur le pays.