PERSONNEL D’ADF
La Tunisie a été le berceau du printemps arabe et a longtemps été considérée comme un modèle de stabilité et de pluralisme dans une Afrique du Nord instable. Mais, en 2015, une série d’attaques a envoyé des ondes de choc dans le monde entier. Le 18 mars 2015, trois hommes armés ont tué 22 personnes, la plupart d’entre elles des touristes étrangers, au musée national du Bardo de Tunis. Exactement trois mois plus tard, un homme armé, de 23 ans, a ouvert le feu dans une station balnéaire près de la ville de Sousse, faisant 38 victimes parmi les touristes. En novembre, une attaque suicide contre un autobus militaire, dans la capitale du pays, a fait 12 victimes parmi les membres de la garde présidentielle. Dans chaque cas, l’attentat a été rapidement revendiqué par l’EI.
La violence est symptomatique d’un problème plus vaste. On estime qu’entre 1.500 et 3.000 Tunisiens ont quitté leur foyer pour aller combattre en Irak ou en Syrie. Ce chiffre est le plus élevé de toute l’Afrique, et il est à craindre que l’espoir suscité par le printemps arabe soit anéanti par les extrémistes. « Le monde arabe est comme une grande forêt et, dans cette forêt, la Tunisie est la seule fleur de la démocratie. Les terroristes veulent couper cette fleur », a déclaré au Guardian Habib Daguib, un employé d’hôtellerie, après l’attaque de Sousse.
Farhat Horchani, ministre tunisien de la Défense, a pris ses fonctions en février 2015 et s’est fixé comme priorité de détourner les jeunes Tunisiens de l’extrémisme. Avocat de profession, spécialisé dans le droit constitutionnel et international, il a déclaré à ADF, dans une communication écrite, qu’il était fermement convaincu que son pays retrouverait la paix. Il a souligné que la Tunisie possède une longue histoire de pratique d’un Islam modéré et une tradition de multiculturalisme, qui remonte à près de 3.000 ans, au temps des Carthaginois.
« La tolérance est la marque de l’histoire ancienne et contemporaine de la Tunisie. Elle est connue pour son rôle dans la propagation des valeurs de coopération, solidarité, dialogue et paix dans tout le bassin méditerranéen », a affirmé Farhat Horchani.
Cependant, il reconnaît que ces valeurs sont aujourd’hui menacées. Pendant le long mandat du dictateur tunisien Zine El-Abidine Ben Ali, les religions de tous types étaient strictement encadrées. Tous les imams des grandes mosquées étaient désignés par le ministère des Affaires religieuses, et les sermons de la prière du vendredi étaient approuvés par le gouvernement. Selon un rapport de décembre 2015 sur le site Al-Monitor, les religieux radicaux ont profité du relâchement du contrôle, qui a suivi les soulèvements du printemps arabe, pour étendre leur influence. Le rapport indique que, dans l’année qui a suivi la chute de Ben Ali, environ 400 mosquées sont passées sous le contrôle des religieux salafistes et 50 d’entre elles prêchaient la violence.
Les prêcheurs extrémistes ont trouvé un public réceptif parmi les jeunes Tunisiens éduqués qui ne trouvaient pas de travail. Selon la Banque africaine de développement, le taux de chômage parmi les jeunes diplômés du pays, connus sous le nom de « jeunes diplômés en chômage », tourne autour de 20 pour cent.
Farhat Horchani considère les jeunes frustrés et oisifs comme une menace majeure à la stabilité. « Le chômage, la marginalisation, la pauvreté et l’absence d’encadrement et d’éducation sont les raisons pour lesquelles les jeunes se transforment en terroristes. Les extrémistes se considèrent comme la « bouée de sauvetage » de cette déception ».
Comme l’a rapporté Al-Monitor, pour renverser cette tendance, le gouvernement tunisien a lancé un certain nombre d’initiatives. Les mosquées sont replacées sous le contrôle du ministère des Affaires religieuses, les imams qui prêchaient la violence ont été écartés et une équipe de 600 fonctionnaires surveille la mouvance extrémiste dans les mosquées du pays.
Le pays commence aussi à réaliser des progrès militaires contre les disciples de l’EI. En 2014 et 2015, les militaires ont localisé et évacué 79 camps terroristes, dont la plupart se trouvaient au mont Chaambi, près de la frontière occidentale du pays.
Selon Farhat Horchani, le pays a été victime de l’instabilité régionale, venant en particulier de la Libye, dépourvue de gouvernement central depuis 2011. « Cela engendre un climat fertile pour la croissance du terrorisme et du trafic, qui sont les deux faces de la même médaille », écrit-il.
Afin de sécuriser la frontière, la Tunisie a renforcé une barrière naturelle entre les deux pays, en érigeant un mur de terre et en creusant des tranchées remplies d’eau salée.
Farhat Horchani a assuré, à la fin de 2015, que la barrière naturelle était achevée à 87 pour cent et que la frontière partagée entre les deux pays était sûre et renforcée par une surveillance électronique.
L’armée continue de mettre l’accent sur le professionnalisme et Farhat Horchani a observé que l’institution gagne en crédibilité en faisant preuve de neutralité politique et de subordination aux responsables civils. « Le pouvoir de l’armée est issu de la neutralité, du patriotisme et de la loyauté au pays », a-t-il écrit.
Concernant la menace de terrorisme, il estime que le pays a besoin d’une approche holistique incluant l’armée, mais qui met aussi l’accent sur l’éducation, la démocratie et la réactivité aux problèmes sociaux. « La lutte contre le terrorisme est un projet culturel complet », a-t-il rappelé. Il a fait observer que les attaques contre la Tunisie ont eu un impact considérable sur le secteur touristique du pays, qui représente 14,5 pour cent du produit intérieur brut, mais le peuple tunisien ne se laisse pas abattre pour autant.
« En dépit de ces opérations et de leurs effets négatifs, la vie continue dans notre pays, dans les domaines économique, social et culturel », s’est-il félicité. « Les pays voisins et partenaires nous soutiennent dans notre lutte contre le terrorisme et dans nos efforts pour inciter les hommes d’affaires à investir en Tunisie et à la choisir comme destination touristique. En dépit de ces attaques brutales, le terrorisme ne peut pas atteindre l’unité de l’État et de son peuple ».