Africa Defense Forum

LA MENACE CHEZ SOI

Les Combattants De L’eiil Qui Partent De L’irak Et De La Syrie Ne Constituent Pas Forcément Une Menace Majeure Pour L’afrique

DANIEL HAMPTON, Le Centre d’études stratégiques de l’Afrique

À la fin 2018, l’EIIL avait perdu 97 % du territoire qu’il contrôlait jadis en Syrie et en Irak. De façon plus importante, il avait perdu presque tous les moyens de production de revenus qui provenaient de son contrôle du territoire. Le nombre de combattants entrant en Syrie était tombé pratiquement à zéro.

Depuis que l’EIIL est une force, les gens se demandent ce qui va se passer en Afrique lorsque les combattants de l’EIIL retourneront dans leur pays d’origine. Il existe trois scénarios principaux :

 

Les combattants étrangers en Syrie retourneront dans leur pays africain d’origine, avec une augmentation correspondante de la menace d’attaques terroristes dans ces pays.

Les affiliés de l’EIIL en Afrique seront renforcés à mesure que l’EIIL déplace son centre de gravité de la Syrie vers la Libye.

L’effondrement de l’EIIL en Syrie affaiblira les affiliés de l’EIIL en Afrique.

Il existe certainement un nombre important d’Africains qui sont allés combattre sous l’égide de l’EIIL en Irak et en Syrie. Près de 1.000 combattants étrangers sont retournés en Tunisie et au Maroc. 

Des études conduites à l’université de Leyde aux Pays-Bas ont estimé que ceux qui se sont rendus en Syrie sont moins susceptibles de se considérer comme des terroristes locaux que les sympathisants de l’EIIL qui sont restés chez eux. En outre, selon l’examen des attaques terroristes qui ont été déjouées, le nombre de conspirations engageant des sympathisants EIIL restés sur place était plus du double de celles engageant des combattants étrangers revenus chez eux après être allés en Syrie. 

En Tunisie, l’EIIL et al-Qaïda recrutent une nouvelle génération de jeunes pour conduire des attaques terroristes chez eux, y compris celle de juillet 2018 près de la frontière algérienne qui a provoqué la mort de 6 gardes nationaux.

« C’est principalement un phénomène d’origine intérieure », a déclaré au Washington Post Matt Herbert, partenaire chez Maharbal, une firme d’experts-conseils sur la sécurité basée à Tunis. « La majorité des Tunisiens qui ont survécu à la Libye et la Syrie ne sont pas revenus. »

La police cherche les effets personnels des civils au site d’une explosion à Tunis, Tunisie. REUTERS

Tournure inattendue : le taux de décès des combattants de l’EIIL est supérieur aux prévisions.

« Nous ne constatons pas beaucoup de gens qui quittent le califat, parce que la plupart de ces gens sont morts maintenant », déclare le lieutenant-général Kenneth F. McKenzie Jr. du Corps des fusiliers marins américains au New York Times. « Certains d’entre eux se retrouvent enterrés. »

« Je dis depuis longtemps qu’il n’y aura pas de “vague” de gens qui reviennent, plutôt des retours peu nombreux mais réguliers, et c’est bien ce que nous constatons », déclare Peter Neumann du centre international pour l’étude de la radicalisation au King’s College de Londres, selon un article du Times.

Cela ne veut pas dire que les combattants étrangers qui reviennent de la Syrie ne représentent pas de menace pour leur pays, mais lorsqu’on examine les conséquences pour l’Afrique de l’effondrement du soi-disant califat, on constate d’autres impacts probables qui peuvent représenter une plus grande menace.

 L’EIIL possède 7 affiliés identifiés en Afrique : Ansar Beit al Maqdis dans la région du Sinaï, l’État islamique en Libye, Ansar al-Charia (Tunisie), l’EIIL dans la province d’Algérie, l’État islamique dans le Grand Sahara, l’État islamique en Afrique de l’Ouest (groupe dissident de Boko Haram) et l’État islamique en Somalie (groupe dissident d’al-Shebab).

Il existe deux scénarios principaux qui pourraient concerner ces affiliés après l’effondrement du califat de l’EIIL.

Un résultat possible serait le déplacement du centre de l’EIIL vers le continent africain, le renforcement des organismes existants par les combattants étrangers et l’accroissement de la menace de l’EIIL. 

Alternativement, sans leadership central puissant ni base géographique ou territoriale, et avec la perte de sources de financement sur lesquelles le « califat » syrien s’appuyait précédemment, les provinces africaines de l’EIIL se fractionneraient et la présence de l’EIIL diminuerait ou disparaîtrait. Le deuxième scénario est à la fois le plus probable et le plus dangereux.

L’EIIL DEVIENDRA-T-IL PLUS FORT EN AFRIQUE ?

Bien que l’EIIL puisse se renforcer en Afrique, plusieurs facteurs s’y opposent.

Selon des entretiens avec des terroristes capturés, les autorités savent qu’il existe beaucoup de raisons pour lesquelles les gens rejoignent des organisations extrémistes violentes (VEO). Il s’agit en général d’une combinaison de facteurs d’incitation et d’attraction.

Les facteurs incitatifs sont les circonstances qui poussent les gens vers l’extrémisme violent : chômage, pauvreté, manque d’accès aux services de base, marginalisation et abus des droits humains par les forces de l’ordre du gouvernement.

De l’autre côté se trouvent les facteurs d’attraction : besoin d’un sentiment d’appartenance, d’un sentiment d’identité et d’estime de soi, d’une raison de vivre, d’une idéologie. L’idéologie est simplement un facteur parmi beaucoup d’autres. Souvent, ce n’est pas la principale raison pour laquelle les gens décident de combattre pour ces organismes. En outre, des études indiquent que l’influence idéologique dominante de l’islamisme militant en Afrique n’est pas l’enseignement de l’EIIL, mais celui de la secte wahhabite, qui est une branche sunnite strictement orthodoxe.

Un groupe de femmes et d’enfants dont un membre de la famille avait rejoint l’EIIL en Libye est accueilli par leurs amis et leur famille au Soudan. REUTERS

 Il existe un grand nombre de faits qui suggèrent que, dans l’ensemble, l’EIIL n’est pas bien enraciné dans les communautés où agissent les groupes islamistes violents les plus actifs d’Afrique. Les groupes islamistes violents les plus meurtriers d’Afrique sont Boko Haram et al-Shebab ; ils ont précédé l’EIIL et sont nés dans leurs communautés locales. Ils comprennent les doléances et ne comptent pas sur l’EIIL pour les ressources ou le soutien opérationnel.

L’évidence montre que les combattants étrangers quittent la Syrie pour l’Afrique, mais la plupart essaieront probablement de rejoindre un autre groupe armé et de poursuivre le combat plutôt que de rentrer dans leur pays d’origine. Toutefois, cela ne veut pas dire qu’ils rejoindront nécessairement un autre groupe affilié à l’EIIL.

Avec la perte de Syrte en Libye et le manque de ressources provenant de l’EIIL, beaucoup de ces ex-combattants de l’EIIL pourraient se rendre au Mali, au bassin du lac Tchad ou en Somalie. Il existe une probabilité élevée que l’effondrement du « califat » puisse conduire à la croissance d’autres VEO en Afrique et au renforcement de celles qui sont déjà les plus actives et les plus violentes. Donc, bien que l’EIIL puisse dépérir, la menace des autres groupes extrémistes ne le fera pas. 

Les analystes ont des doutes sur le nombre de militants africains qui sont allés combattre en Syrie et en Libye. Les estimations varient entre 5.300 et 8.500 combattants. Ce chiffre est l’équivalent de 6 à 10 bataillons de l’ONU, soit plus de soldats que le total des forces armées de certains pays. Ils représentent une menace incontestable.

Que les affiliés de l’EIIL se renforcent en Afrique, ou qu’ils s’affaiblissent et que d’autres groupes en profitent pour croître à leurs dépens, les questions à poser sont donc les suivantes : Que pouvons-nous faire pour améliorer la sécurité dans la région ? Comment réagir à l’impact et aux implications sur la sécurité africaine résultant de l’effondrement du califat de l’EIIL ? 4 suggestions viennent à l’esprit :

Améliorer la coopération multinationale sur le suivi des mouvements des terroristes, la sécurité des frontières, le partage des renseignements et les systèmes d’alerte précoce.

Continuer à améliorer la coordination internationale et la poursuite d’objectifs stratégiques communs pour répondre aux menaces en Libye, au Mali, dans le bassin du lac Tchad et en Somalie.

Améliorer les efforts de réinsertion pour les combattants qui reviennent ou qui ont été capturés. Si les conditions qui ont conduit à l’extrémisme violent ne s’améliorent pas, il est improbable que la déradicalisation produise des résultats. Des études en cours montrent un taux de récidivisme de 60 % pour les combattants étrangers qui retournent dans leur pays. Ce pourcentage est encore plus haut pour ceux qui étaient incarcérés. 

Prioriser et affecter des ressources pour créer un meilleur équilibre dans le réseau sécurité/gouvernance/développement. L’utilisation de la force seule n’est pas une solution. Ces trois composantes du réseau doivent croître simultanément et être intégrées au sein d’un plan stratégique. Ce plan doit faire partie d’une stratégie nationale et, idéalement, d’une stratégie multinationale plus vaste.

L’amélioration de la sécurité est essentiellement une question de ressources. Les ressources (argent, personnel, temps, énergie et effort) sont les meilleurs indicateurs des priorités. Toutefois, si ces ressources sont utilisées uniquement pour accroître les capacités et les aptitudes des forces de sécurité sans affronter les causes sous-jacentes du conflit, l’échec est assuré.  


Daniel Hampton, colonel de l’Armée de terre des États-Unis (à la retraite), est le chef de cabinet au Centre d’études stratégiques de l’Afrique, université de la défense nationale. Sa carrière militaire a inclus des affectations en Eswatini, au Lesotho, au Malawi, en Afrique du Sud et au Zimbabwe. Il est l’auteur de « La création d’une capacité de maintien de la paix durable en Afrique », briefing de sécurité du Centre africain pour les études stratégiques.

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