Africa Defense Forum

Bien comprendre le Sahel

Au Cours Des Dernières Années, Cette Région Est Devenue Une Base Pour Les Extrémistes Violents Et Ceux Qui Les Combattent

PERSONNEL D’ADF

Le Sahel est une région semi-aride qui s’étend du Sénégal, sur la côte atlantique, à l’Érythrée et la mer Rouge. Depuis des siècles, il constitue une ligne de démarcation pour l’Afrique.

Il sépare le Sahara au Nord et les savanes au Sud, qui ont une végétation plus abondante. Il s’étend sur 5.408 kilomètres et a une superficie de 3.053.210 kilomètres carrés. Son terrain comprend des plateaux et des chaînes de montagne, des prairies et des fruticées. L’eau de surface y est rare.

La région est en général chaude et sèche toute l’année, avec des vents et quelques rares averses, habituellement de 200 à 600 millimètres au plus, entre mai et septembre. Même lorsqu’il pleut, la plupart des pluies tombent à l’extrême Sud.

À mesure que la population du Sahel augmente pendant la seconde moitié du vingtième siècle, l’érosion et la désertification augmentent aussi. Les agriculteurs et les villageois commencent à abattre les arbres et les arbustes pour obtenir du bois de chauffage et à défricher la terre pour planter des récoltes. Le bétail s’alimente du reste de la couche végétale. Le ruissellement des eaux de pluie emporte la couche arable et ne laisse que la terre aride et stérile.

Du point de vue culturel, le Sahel fait la transition avec l’Afrique du Nord, région historiquement alignée sur le Moyen-Orient en ce qui concerne la langue, l’ethnicité et la religion. Les peuples nomades du Sahara et du Nord du Sahel contrastent nettement avec les sociétés plus sédentaires de la région subsaharienne. Les pays du Sahel tels que le Mali et le Niger ont de vastes étendues non gouvernées où rôdent les Touaregs islamiques nomades.

Le terrain, le climat, la culture, la religion, l’ethnicité, l’histoire et la tradition : pour tout cela, le Sahel joue le rôle de frontière transitionnelle. Sur cette frontière s’amoncèlent de multiples défis sécuritaires, dans lesquels les forces de sécurité africaines et internationales confrontent les militants et les terroristes, depuis le Mali jusqu’au Tchad.

LES GROUPES DE MILITANTS BASÉS AU SAHEL

Soldat malien en patrouille à l’hôtel Radisson Blu de Bamako en novembre 2015, deux jours après une attaque conduite par Al-Mourabitoune qui avait tué près de deux douzaines de personnes. AFP/GETTY IMAGES

La géographie des pays du Sahel et l’éloignement de leur capitale et de leurs grandes villes permettent à de vastes étendues de territoire de rester essentiellement non gouvernées. C’est le cas pour le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger.

Parfois, en particulier pour le Mali et le Niger, les frontières nationales séparent des groupes qui sont culturellement et ethniquement similaires. Les frontières du Burkina Faso, du Mali et du Niger sont un foyer d’activité extrémiste au Sahel.

Plusieurs groupes extrémistes résident au Sahel. Beaucoup d’entre eux se sont transformés ou ont fusionné avec d’autres, pour s’aligner sur les groupes terroristes mondiaux plus vastes. Les plus importants d’hier et d’aujourd’hui sont énumérés ci-dessous :

JAMAAT NOSRAT AL-ISLAM WAL-MOUSLIMIN (JNIM) — Créé en mars 2017, le JNIM est une coalition de plusieurs groupes de militants : Ansar Dine, Front de libération du Macina, Katiba Serma, AQMI Sahara et Al-Mourabitoune. Iyad Ag Ghali, chef d’Ansar Dine, est devenu leader de la coalition. Ce groupe, dont le nom signifie « Groupe de soutien de l’Islam et des Musulmans », souhaite expulser les « envahisseurs » non musulmans d’Afrique de l’Ouest, en particulier les forces françaises et les participants à la mission de maintien de la paix des Nations unies au Mali. Le JNIM adhère aux enseignements islamiques salafistes et souhaite imposer la charia dans la région. Le groupe fait partie du réseau d’al-Qaïda et possède entre 1.000 et 2.000 combattants en date de septembre 2018, selon le Centre pour les études stratégiques et internationales. Le groupe est le plus actif au Mali et lance des attaques vers le Nord depuis Bamako jusqu’à Taoudeni. Il a aussi attaqué le Burkina Faso et le Niger.

ANSAR DINE — Iyad Ag Ghali a fondé ce groupe en novembre 2011 après son échec de prise en charge du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), qui voulait faire sécession contre le Mali en 2012. Ce groupe islamique militant touareg est actif dans la région de Kidal. Le groupe salafiste, dont le nom signifie « Les défenseurs de la religion », était l’une des organisations associées qui avaient pris le contrôle du Nord du Mali en mars 2012 après un coup d’état militaire, selon le Centre pour la sécurité internationale et la coopération de l’université Stanford. En juillet 2012, Ansar Dine fait la une lorsqu’il détruit sept mausolées honorant des saints soufis à Tombouctou, en déclarant que ces sanctuaires sont idolâtres. Lorsqu’il était actif, on estimait que le groupe avait entre 100 et 1.000 membres.

FRONT DE LIBÉRATION DU MACINA (FLM) — Ce groupe, fondé par Amadou Koufa en 2015, est actif dans la région de Mopti. Le FLM, appelé aussi katiba Macina, a déclaré qu’il essaierait de « restaurer la république islamique du Macina », ce qui est une référence à l’empire du Macina, société théocratique qui existait entre 1818 et 1863 dans les régions de Mopti, Ségou et Tombouctou du Mali, selon le Centre africain pour les études stratégiques (ACSS). L’empire était composé principalement de l’ethnie peule et appliquait la loi musulmane. Le FLM utilise ces antécédents historiques dans le but d’obtenir un soutien populaire pour prendre le contrôle du centre du Mali. Certains pensent que le groupe comporte d’anciens membres du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest

MOUVEMENT POUR L’UNICITÉ ET LE JIHAD EN AFRIQUE DE L’OUEST (MUJAO) — Ahmed al-Tilemsi et Hamada Kheirou ont fondé le MUJAO en 2011 en le séparant d’AQMI. Le MUJAO commence à se faire connaître en octobre 2011 avec l’enlèvement de trois humanitaires européens à Tindouf (Algérie), selon Stanford. Le MUJAO, composé principalement de Touaregs, souhaitait établir la charia dans la région. Pendant la crise malienne de 2012, le MUJAO occupait la région autour de Gao. Environ un an plus tard, le groupe a fusionné avec la brigade Al-Mulathameen pour former Al-Mourabitoune. Il est possible que quelques combattants du MUJAO agissent toujours en utilisant ce nom.

KATIBA SERMA — Ce groupe est une division semi-autonome du FLM dirigée par Abou Jalil al Fulani, selon l’ACSS. Il est actif dans la région de Serma entre Gao et Mopti.

AL-QAÏDA AU MAGHREB ISLAMIQUE (AQMI) — Ce groupe a pour origine la guerre civile algérienne. Il est né en 1998 du Groupe islamique armé (GIA), qui avait participé à la guerre. Lorsqu’il s’était distingué du GIA, il s’appelait le Groupe salafiste pour la prédication et le combat. Il prit le nom d’AQMI en 2006 lorsqu’il s’aligna officiellement sur l’organisation terroriste mondiale. AQMI est actif dans le trafic des stupéfiants et des armes et dans la traite humaine. Il enlève souvent les Occidentaux pour les rançonner. En 2017, la branche saharienne du groupe a fusionné avec Al-Mourabitoune, Ansar Dine, le Front de libération du Macina et Katiba Serma pour former le JNIM.

AQMI SAHARA — Il s’agit de la branche d’al-Qaïda au Maghreb islamique du Mali et de la région Sud-Ouest du Niger. Il était dirigé à un moment donné par Djamel Okacha (appelé aussi Yahia Abou al-Hamman), qui est mort.

Un chef de village dogon de la communauté So du Mali rencontre un gardien de la paix sénégalais.
AFP/GETTY IMAGES

AL-MOURABITOUNE — Son nom signifie « Les sentinelles ». Le groupe est créé en août 2013 à la suite de la fusion entre le MUJAO et la brigade Al-Mulathameen. Il est actif au Mali, principalement dans la région de Gao, et a prêté allégeance à al-Qaïda vers la mi-2015. Son objectif consiste à établir la charia, unir les Musulmans et attaquer les Occidentaux en Afrique du Nord, selon Stanford. Malgré son rapprochement avec l’État islamique, le groupe est resté allié à al-Qaïda, bien qu’il agisse de façon autonome. Début 2017, Al-Mourabitoune fusionne pour former le JNIM. On estimait en 2014 que le nombre de ses combattants s’élevait à 100.

ANSARUL ISLAM — Ibrahim Malam Dicko, depuis lors décédé, avait fondé le groupe en 2016. Il est basé dans le Soum, province du Burkina Faso qui a une frontière commune avec le Sud du Mali. Ce groupe djihadiste est la première organisation de ce type à se manifester au Burkina Faso, qui n’avait pas enregistré auparavant de violence djihadiste militante importante. Ansarul Islam a annoncé sa formation à la suite d’une attaque contre un camp militaire burkinabé-français en décembre 2016, selon Stanford. Le groupe, qui est principalement actif au Burkina Faso et au Mali, souhaite restaurer le Jelgooji, ancien empire peul qui avait disparu après la colonisation française au dix-neuvième siècle. Il cible les civils, les forces anti-terroristes françaises et le personnel de sécurité burkinabé. On estime actuellement qu’il possède seulement quelques centaines de combattants actifs.

ÉTAT ISLAMIQUE DANS LE GRAND SAHARA (EIGS) — Le groupe est actif au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Il s’est séparé d’Al-Mourabitoune en mai 2015 lorsqu’Adnane Abou Walid al-Sahraoui a prêté allégeance à l’État islamique et à son chef, Abou Bakr al-Baghdadi, lequel est mort lors d’un assaut américain en octobre 2019. Bien que l’EIGS soit reconnu comme filiale, l’étendue de son soutien n’est pas claire, selon Stanford. Parmi les attaques conduites par le groupe au Sahel, on compte l’embuscade qui a tué quatre bérets verts américains et plusieurs soldats nigériens en octobre 2017. Depuis environ deux ans, le groupe affronte continuellement les forces françaises et leurs alliés dans le cadre de l’opération Barkhane. On estimait en 2018 que l’EIGS possédait 60 membres principaux.

KATIBA SALADIN — Sultan Ould Bady, ancien membre d’AQMI et co-fondateur du MUJAO, a formé le groupe en 2011. En 2016, Sultan Ould Bady s’allie avec Adnane Abou Walid al-Sahraoui, un camarade qu’il avait connu lors de sa participation au MUJAO.

NON RATTACHÉS — Certains groupes militants n’ont pas pu revendiquer, ou ont choisi de ne pas revendiquer, la responsabilité des attaques.

Des soldats mauritaniens montent la garde dans un poste de commandement de la Force conjointe du G5 Sahel au Sud-Est de la Mauritanie près de la frontière avec le Mali.
AFP/GETTY IMAGES

MISSION MULTIDIMENSIONNELLE INTÉGRÉE DES NATIONS UNIES POUR LA STABILISATION AU MALI (MINUSMA) : En janvier 2012, le Mouvement national touareg de libération de l’Azawad (MNLA) s’allie aux groupes islamiques armés Ansar Dine, al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), ainsi qu’à des déserteurs des Forces armées du Mali. Les rebelles attaquent les forces gouvernementales au Nord du Mali et sont renforcés par des combattants originaires de la Libye, dont le régime vient juste de tomber.

En mars 2012, des soldats des unités vaincues du Nord organisent un coup d’état, ce qui accélère là-bas l’effondrement de l’état. Bientôt, les extrémistes contrôlent Gao, Kidal et Tombouctou. Ansar Dine et le MUJAO avaient chassé le MNLA de la région.

Pour rétablir l’ordre, la Communauté économique des états d’Afrique de l’Ouest organise une mission internationale de soutien au Mali, conduite par les pays africains, pour soutenir le gouvernement contre les extrémistes. En avril 2013, le Conseil de sécurité des Nations unies établit la MINUSMA et assume le contrôle.

La MINUSMA soutient les processus politiques et de transition alors que les autorités stabilisent le pays. La mission assure aussi la sécurité, la stabilisation et la protection des civils ; soutient le dialogue politique national et la réconciliation ; et aide à restaurer l’autorité de l’état, reconstruire le secteur de la sécurité, et promouvoir et protéger les droits humains.

OPÉRATION BARKHANE : Cette intervention militaire conduite par la France fait suite à l’opération Serval en août 2014. Contrairement à Serval, qui était limitée au Mali, Barkhane affronte les militants dans tout le Sahel. Jusqu’à 4.500 soldats sont déployés au Burkina Faso, au Tchad, au Mali et au Niger avec un quartier général à N’Djamena (Tchad), selon le Conseil européen des relations internationales. Elle a des bases aériennes et des services de renseignement à Agadez, à Arlit, à Niamey et à Tillabéri (Niger), ainsi que des troupes au centre et au Nord du Mali. Le nom de Barkhane provient d’une dune en forme de croissant que l’on trouve au Sahara.

Un soldat français participant à l’opération Barkhane parle à un producteur maraîcher lors d’une patrouille de coopération civilo-militaire à Gossi (Mali) en juillet 2019. REUTERS

FORCE CONJOINTE DU G5 SAHEL : En 2014, le G5 Sahel commence à promouvoir la coopération économique et la sécurité entre le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, la Mauritanie et le Niger. En 2017, l’alliance crée sa force de sécurité conjointe pour affronter le terrorisme, le trafic des stupéfiants et la traite humaine. Lorsqu’elle sera pleinement opérationnelle, cette force possèdera 5.000 personnes, pour la plupart des soldats avec quelques policiers et gendarmes. Le personnel sera déployé dans trois secteurs : l’Ouest (Mali et Mauritanie), le centre (Burkina Faso, Mali et Niger) et l’Est (Tchad et Niger). Le quartier général de la force fut d’abord situé à Sévaré (Mali), puis il fut relocalisé à Bamako (Mali) à la suite d’un attentat à la bombe en juin 2018. Chaque secteur aura un poste de commandement secondaire.

La force se concentrera sur les zones frontalières. Une zone couvrira la frontière entre le Mali et le Niger, et une autre la frontière entre le Mali et la Mauritanie. La troisième assurera la sécurité dans la région des trois frontières entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger.

Alpha Barry, ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale du Burkina Faso, a déclaré au Conseil de sécurité de l’ONU le 16 mai 2019 que la Force conjointe était opérationnelle à 90 % dans l’Ouest, à 74 % au dans la région centrale et à 75 % dans l’Est. À cette date, la force avait entrepris sept opérations de défense des droits humains et des lois humanitaires.

MISSION DE FORMATION DE L’UNION EUROPÉENNE AU MALI (EUTM MALI) : Cette mission, qui avait commencé en 2013, est constituée de près de 600 soldats provenant de 22 membres de l’UE et de cinq états non membres. La stratégie militaire de l’UE au Mali concerne aussi le développement humanitaire et politique. Elle renforce la capacité des Forces armées maliennes pour que celles-ci puissent défendre le pays. EUTM Mali forme et conseille les Forces armées du Mali, améliore le système d’éducation militaire et conseille le personnel du quartier général de la Force conjointe du G5 Sahel.

MISSION UE DE SOUTIEN AUX CAPACITÉS DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE DANS LE SAHEL (EUCAP SAHEL MALI) : Cette mission civile, lancée en avril 2014, conseille et forme la gendarmerie, la police et la garde nationale du Mali, et leurs ministères associés. Fin 2018, la mission conseillait et formait aussi le personnel du Burkina Faso, du Tchad, de la Mauritanie et du Niger. Le quartier général de la mission est situé à Bamako (Mali) et possède jusqu’à 200 agents locaux et internationaux.

MISSION UE DE SOUTIEN AUX CAPACITÉS DE SÉCURITÉ INTÉRIEURE DANS LE SAHEL (EUCAP SAHEL NIGER) : Le gouvernement nigérien demanda cette mission civile en 2012. Plus de 100 experts se trouvent à Niamey pour conseiller, former et soutenir les autorités nigériennes de sécurité pour lutter contre le crime organisé et le terrorisme. La mission aide aussi les forces de sécurité à contrôler la migration clandestine et le crime associé.  

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